Moi, Gaetano C.

Quand nous nous promenons au jardin, moi accroché à son bras, tout le monde nous regarde et je vois l’envie pétiller dans les yeux de mes congénères.
Ils regardent se balancer son cul dont je jurerais qu’il a la fermeté d’une pomme.
Ils salivent en biglant la rondeur de ses nichons.
Sa blondeur les aveugle, sa blancheur les excite.
Mais elle ne les voit pas car je suis son seul souci.

Je l’aime.
Elle a réveillé en moi des désirs que je croyais disparus, avalés par la vieillesse.

Quand elle me lave, ma vieille bite se tend et se gonfle. Elle ignore son raidissement, astique, soulève, frotte, assèche.
Ses gestes sont précis, efficaces, excitants.

Jamais je n’ai eu à mes côtés une créature aussi parfaite. Ma femme, Dieu ait son âme, n’était pas une beauté. Les grossesses et les soucis avaient vite eu raison de sa fraîcheur.
Nous n’avons pas eu la vie facile.
Elle voulait que les enfants étudient et pour cela nous avons multiplié les sacrifices.
Je travaillais le jour, je travaillais la nuit, je travaillais toujours. Je n’étais jamais à la maison.
Elle si.
Résultat quand elle est morte ils ont pleuré comme des veaux et mis fin à leurs visites dominicales.

Nous n’avions rien à nous dire. Ni avec l’ingénieur, ni avec l’avocat et encore moins avec leurs femmes, la godiche et la pimbêche.

On a vécu comme ça pendant quelques années. Je m’en foutais bien qu’ils ne viennent pas me voir, je passais mes matinées dans mon bout de jardin potager et mes soirées au “circolo” à taper le carton avec mes copains.

De temps en temps les petits-enfants venaient me rendre visite, je leur filais un billet et ils repartaient au bout de dix minutes.

Puis j’ai eu mon attaque. Le médecin leur a dit que j’étais incapable de vivre seul. C’est sûr avec un bras et une jambe paralysés ! Il leur a suggéré de me prendre chez eux.
Je n’ai pas assisté à la scène mais j’imagine très bien les regards ennuyés qu’ils ont dû échanger à l’idée de se taper le vieux à la maison.

Alors ils m’ont offert Ludmilla et j’ai arrêté de regretter d’avoir tant bossé pour qu’ils « réussissent dans la vie », comme disait Concetta, Dieu ait son âme.

Ludmilla est mon soleil. Je fais semblant de m’assoupir dans mon fauteuil et les yeux mi-clos je la regarde vaquer aux tâches ménagères.

Nous parlons peu, je veux dire que nous n’avons pas de discussions. Mon élocution est difficile et je crois qu’elle préfère le silence. De toute façon, je n’ai jamais été très causant.

Parfois elle est triste Ludmilla.
Elle pense à sa fille et son mari qui sont restés dans son pays, la Moldavie. Avant de la connaître je ne savais même pas que ça existait, la Moldavie. Il paraît qu’ils ont été communistes.

Je l’aime mais elle ne m’aime pas.
Je le sais.

Pourtant jamais personne ne s’est aussi bien occupé de moi. Même pas ma mère, la pauvre femme avait autre chose à faire que de me torcher les fesses.

Un jour, au jardin, je somnolais sur un banc et Ludmilla parlait avec une autre “badante”, roumaine celle-là.
Je l’ai entendue dire qu’elle voudrait partir ou trouver un autre travail.

Hier l’avocat est venu. Ludmilla lui a demandé de lui rendre son passeport. Là-bas en Moldavie, sa fille est malade. Elle voudrait rentrer chez elle.

Il a pris ses grands airs et il a refusé. Pas question. Elle s’est engagée à travailler pour eux, elle doit rester.
Il parlait fort, d’un ton méprisant.

Évidemment il ne m’a pas demandé mon avis. Comme j’ai du mal à parler tout le monde s’imagine que je suis sourd et gâteux.
Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je fais semblant, pour avoir la paix.

Après son départ elle a pleuré.

Ce matin, elle avait encore les yeux rouges. Elle m’a donné mon bain, comme à un bébé, sauf qu’avec un bébé elle aurait souri et eu des gestes tendres.

Ensuite elle a pris le chariot pour aller faire les courses. Avant de partir elle m’a regardé, longuement. J’ai cru qu’elle allait me demander quelque chose. Dans ses yeux couleur d’azur je devinais une requête.
Mais elle a dû penser que ça ne servirait à rien de me parler car elle tourné les talons et s’en est allée.

Alors, le plus vigoureusement que je pouvais, je me suis arrimé à mon déambulateur. Lent comme une limace, gauche et empêtré, je suis allé dans ma chambre.
J’ai ouvert le coffre caché derrière le lit, j’y ai pris son passeport et je l’ai mis dans la poche de ma robe de chambre.
Je suis retourné péniblement à mon fauteuil, chaque pas m’arrachant des douleurs atroces dans les hanches.

Elle est revenue et a commencé à ranger les achats dans la cuisine.
Comme elle ne me regardait pas je l’ai appelée, d’un grognement.
Elle s’est approchée de moi.

J’ai sorti le passeport de ma poche et le lui ai tendu d’une main tremblante.
Et, pour la première fois, elle m’a souri. Puis elle s’est penchée et a doucement posé ses lèvres fraîches sur ma joue.

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