Cour du New Woodlands, 15 heures
La ponctualité n’a pas inventée par les Indiens. Sans surprise, nos conductrices sont en retard.
Bhavani arrive la première, vers 15h10. Elle gare son véhicule devant nous mais les voituriers de l’hôtel (enfin disons les individus en chemise bleue et casquette qui surveillent le parking) lui font signe de dégager. Pas le genre de la maison l’auto-rickshaw, on préfère laisser croire que la clientèle circule exclusivement en 4×4 aux vitres fumées.
Finalement, elle obtient le droit de stationner dans un coin. Mais voilà qu’arrive le deuxième le véhicule, celui de Devi. Albert l’accompagne.
Remue-ménage chez les voituriers. Albert parlemente. Devi se gare derrière Bavhani.
Il manque encore Guna qui, finalement, arrive en trombe. Sous le regard courroucé d’Albert, elle se lance dans une longue explication, vite interrompue par les voituriers. Cette fois, tolérance zéro, il faut lever le camp au plus vite.
Nous nous répartissons dans les auto-rickshaws et sortons de la cour…pour nous arrêter dans la rue voisine afin d’expliquer les consignes aux conductrices : se suivre et, quand c’est possible, rouler à la même hauteur que la caméra.
Puis nous revoyons ensemble l’itinéraire, d’abord le temple Kapaleeshwarar à Mylapoore, puis la cathédrale Saint Thomas et, enfin, la plage. Etant donné la difficulté à se mouvoir, en se suivant, à trois auto-rickshaws, dans les rues de Chennai, nos objectifs restent modestes.
Et c’est parti !
Élodie, Devi, Bhavani, Romain
A la première étape, pendant que Romain et Elodie visitent le temple, nous interviewons les trois jeunes femmes.
Bhavani
Bhavani a 29 ans et elle est veuve. Elle a un fils de 8 ans qui fréquente l’English Medium School. Elle travaille depuis plusieurs années pour Speed Trust et est conductrice d’auto-rickshaw depuis seulement un mois et demi.
Devi
Devi a 32 ans et d’innombrables problèmes avec son mari, qui, alcoolique invétéré, ne travaille pas. Elle a une fille de 13 ans, scolarisée. Elle aussi est une conductrice novice. Elle n’a son véhicule que depuis un mois et demi. Avant, elle faisait de petits travaux journaliers.
Guna
Guna, 30 ans, est plus expérimentée. Elle a son auto-rickshaw depuis six mois. Mère de quatre fillettes (11, 9, 7, 5) elle subvient seule à l’entretien de la famille car, à force de saouleries incessantes, son mari est devenu diabétique et ne peut plus travailler.
Trois femmes courageuses et opiniâtres, se débattant sans cesse dans les difficultés mais qui, comme des gamines, s’amusent d’un rien, plaisantent et se régalent de glaces à l’eau.
Nous passons avec elles un après-midi non seulement intéressant mais aussi très amusant.
Sur le parking de la cathédrale, elles posent gentiment devant leurs engins avant d’autoriser de jeunes coréennes à se faire tirer le portrait assises à leur place sur le siège du conducteur (de la conductrice).
Nous rions beaucoup.
En fin d’après-midi, nous nous installons sur la plage (aaaaahhh, la plage de Chennai !!!) et la discussion continue. Olivier pose les questions et traduit au fur et à mesure, Fabio filme et peu à peu un cercle de curieux nous entoure.
Bhavani est intarissable. Elle parle des rêves qu’elle nourrit pour son fils. De son mari aussi. Un « love marriage » qui s’est terminé par le veuvage. Elle aimerait bien trouver un autre époux. Un homme bien, qui ne boirait pas et ne la battrait pas. Alors elle prie Dieu, ce nouveau Dieu des chrétiens que, depuis sa conversion, elle idolâtre. Avant, elle était Hindou. Guna aussi s’est convertie.
L’église catholique indienne s’est savamment (sournoisement) adaptée à la sentimentalité et à l’imaginaire hindous. Les églises sont colorées et fleuries, comme les temples. Des fresques naïves racontant la vie des saints courent sur les murs. On célèbre particulièrement Marie et son fils Jésus. A la vision d’un Christ ensanglanté on préfère celle d’une mère aimante.
Il n’est pas bien compliqué d’inclure Jésus et sa mère dans le panthéon des dieux hindous, ils sont déjà si nombreux ! Et puis, on peut bien promettre de n’honorer qu’un seul Dieu et garder les autres dans le secret de son cœur !
Devi est plus silencieuse. Tous ses efforts sont consacrés à l’éducation de sa fille. Elle rit quand Bhavani évoque le mari idéal.
Guna, qui avait raccompagné Albert, nous rejoint. Il fait désormais presque nuit. Nos nouvelles amies doivent regagner leurs logis où de nombreuses tâches les attendent.
Nous leur demandons s’il serait possible de venir demain matin chez l’une d’entre elles, afin de filmer le début de sa journée. Elles éclatent de rire. « Nous on se lève à 5 heures, c’est trop tôt pour vous ! ». Oui, c’est très tôt mais surtout, nous ne voulons pas être indiscrets. Finalement, nous nous mettons d’accord avec Guna. Demain, chez elle, à 7 heures.
A suivre
Textes précédents: Conductrices d’auto-rickshaw, Gandhi Nagar, un bidonville au cœur de Chennai, Retrouvailles
6 commentaires sur “4. Dans les rues de Chennai”
Après le making off, vivement le film 😉
J’ai sur son site par accident, mais tres interessant. Moi aussi de la meme facon experimenté l’esprit indomptable des gens d’India.
Inde éternelle et sans doute inchangée… Merci de la faire revivre de près !
Merci, merci!
Je viens, péniblement, de publier la suite…
Mon ordi, le traitre, m’a abandonnée 🙁
Vraiment hâte de voir le film, merci
Bonjour Claude 🙂
ça prend forme, voici déjà l’intro:
https://www.celestissima.org/smallthings/des-taxis-pas-comme-les-autres-intro/
ça a été une superbe expérience!