Traverser en train la Birmanie c’est en découvrir à la fois la splendeur et la misère.
Beauté des paysages, extrême pauvreté des villages, cabanes branlantes, enfants en guenilles, bétail efflanqué, champs envahis d’herbes folles.
A la gare de Yangon, les passagers, assis dans le hall, patientent paisiblement. L’accès aux quais n’est autorisé qu’à l’arrivée du train.
J’aime les gares, lieux de brassage de population, jeunes et vieux, familles, moines, pauvres et moins pauvres, ici, les riches ne prennent pas le train, valises élimées, ballots, cartons ficelés, sacs en plastique bourrés.
Je suis des yeux les allées et venues des voyageurs, ceux qui repartent dans leur région lointaine, venus à la ville pour rendre visite à la famille, ou pour travailler, ceux qui quittent des êtres chers et dont les regards échangés tristement se prolongent, ceux qui partent à l’aventure, le sourire aux lèvres.
Il est presque 15 heures et nous attendons le train de nuit qui, en 17 heures de voyage, rejoint Mandalay. Par rapport au niveau de vie birman, le prix de nos billets de première classe est très élevé : environ 45 euros. Pour ce tarif nous espérons un minimum de confort, disons au moins équivalent à celui des trains indiens.
Hélas, dès l’arrivée du train nos modestes espoirs de confort s’envolent. Dans un vacarme de ferraille fatiguée, de vieux wagons rouillés et sales s’alignent le long du quai. Le seul avantage d’être en première classe est d’avoir un compartiment pour quatre, nanti de couchettes.
Pour le reste, pas de vitres aux fenêtres, pas de barreaux non plus contrairement aux trains indiens, c’est appréciable mais une bonne couche de poussière mêlée de crasse collée à la moleskine, des draps et des oreillers tachés.
A peine ébranlé, le train commence à tanguer, bringuebalant sur ses rails. Chaque cahot, c’est à dire continuellement, nous fait sauter sur la banquette. Heureusement, la vitesse est assez réduite.
Nous traversons les faubourgs de Yangon. Plus nous nous éloignons du centre et plus apparaît la pauvreté.
Dans la campagne, l’habitat est misérable, cabanes perchées sur des pilotis usés par le temps et les intempéries, huttes de palme.
Des terres peu cultivées, envahies par les broussailles, où des vaches et des zébus faméliques tirent d’antiques chars en bois, émane une impression d’abandon.
Un peuple, un territoire, délaissés par l’Etat.
Toutes les structures publiques en témoignent : le système ferroviaire, vétuste et dangereux (cahotés et assourdis pendant 17 heures nous prenons toute la mesure de la dangerosité des trains birmans pour lesquels aucune mesure de sécurité n’est respectée), le réseau routier en piteux état, les étendues de terres désertes, les façades lépreuses des hôpitaux et des écoles
Parfois, l’éclat verdoyant d’une rizière rompt la monotonie des espaces arides et poussiéreux. C’est la saison sèche, des filets d’eau serpentent dans le lit des rivières, des fissures ravinent la terre et les feuillages des arbustes sont jaunis par le soleil.
Nous traversons des villages. A chaque ralentissement ou arrêt du train, les passagers jettent par les fenêtres leurs bouteilles en plastique vides que les enfants attrapent au vol, comme des biens précieux. Des vendeuses et des vendeurs ambulants grimpent prestement dans le train, proposant des fruits, des boissons, des biscuits, des plats cuisinés, du thé ou du café. A l’arrêt suivant, ayant gagné quelques kyats, ils sautent du train.
C’est le crépuscule, le soleil rougeoie derrière les palmiers. L’air est doux et sans l’incessant fracas nous pourrions entendre chanter les oiseaux qui folâtrent d’un arbre à l’autre.
La nuit tombe rapidement, comme un voile qui d’un instant à l’autre recouvre la teinte orangée du ciel.
Le temps passe, les villages se succèdent. Nous somnolons sur nos couchettes.
Vers minuit, à un arrêt, des enfants envahissent à grand bruit notre wagon. Un petit se précipite dans notre compartiment, dont la porte refuse obstinément de se fermer .
Il désigne du doigt un sac poubelle posé sur le sol et où nous avons jeté les barquettes de notre dîner et une bouteille d’eau vide. Le temps de comprendre sa demande et il a déjà saisi le sac. Je me lève pour lui tendre un paquet de biscuit, trop tard, il a déjà filé, serrant le sac contre lui.
Dehors, c’est la nuit noire.
Plus loin, le train stoppe dans une gare flambant neuve, extraordinairement éclairée mais vide, à l’exception de quelques soldats armés. Nous sommes à Naypyidaw, la nouvelle capitale, construite en 2005 dans une zone déserte.
Naypyidaw, « demeure des rois ». Durant toute son histoire la Birmanie a connu différentes capitales, suivant les caprices des monarques qui marquaient ainsi leur grandeur. Les généraux ont fait pareil, bâtissant une ville complètement isolée, difficile d’accès. Le peuple, ont-il pensé, ne viendra jamais les déloger.
En fait, ce n’est pas une ville mais un ensemble de zones, reliées les unes aux autres par des voies très surveillées. Les ministères sont sous haute protection, la richissime oligarchie aussi.
Dans cette ville-là, les enfants ne mendient pas les poubelles.
Enfin l’aube, j’ai le dos rompu et la tête douloureuse mais le ciel bleuit au dessus des champs, des enfants à demi nus agitent la main au passage du train et, par la fenêtre, je vois les fillettes du compartiment voisin, les mignonnes petites bavardes qui ont pépié toute la nuit, joindre les mains à chaque fois qu’une pagode se profile.
Dans les rues poussiéreuses les moines défilent, recueillant dans de grands bols les offrandes des fidèles.
Et, enfin, Mandalay, la cité des derniers rois, chassés du pouvoir en 1885 par l’armée britannique.
La vidéo du trajet:
2 commentaires sur “6. Birmanie: en train de Yangon à Mandalay”
A un moment dans ton film, ils jouent sur le bas-côté avec une balle, l’image est fugitive mais je croie que c’est au Takraw ( j’ai cherché le nom je ne l’avais pas retenu ).
Je me suis confronté aux gamins dans ce sport qui tient des arts martiaux, du volley…
ça rend humble !
Belles images .
Ah, la Birmanie, j’y suis passée il y a vingt ans, c’était encore plus bucolique ..