Pour Valeria, ex enseignante, l’éducation est fondamentale. Offrir aux enfants de familles keralaises très déshéritées un enseignement de qualité est un défi de Namaste, l’association qu’elle a créée.
Aujourd’hui, je passe la matinée dans une des écoles maternelles, “nursery”, de l’association. Située dans l’enceinte du siège, exposée aux regards des sponsors de passage, « La casa degli angeli di Daniele » du nom du principal donateur, bénéficie de toutes les attentions.
Quand j’arrive dans la classe, les dix-neuf bambins me saluent gaiement. « Mummy ! Mummy ! » La plupart d’entre eux me connaissent déjà. Ils ont entre trois et cinq ans et deux maitresses s’occupent deux : la « teacher » principale et une aide.
Sasikala, la responsable de l’éducation de Namaste, elle-même ex enseignante de maternelle ayant, il y a des années, fait un stage Montessori, la petite école revendique officieusement une lointaine parenté avec la méthode. A dire la vérité, elle est vraiment très éloignée. Mais pas totalement absente.
Contrairement aux écoles traditionnelles indiennes, où l’enseignant dispense un cours magistral sans se préoccuper de l’intérêt des enfants, les deux maîtresses de l’école maternelle de Namaste répartissent les enfants en petits groupes et passent de l’un à l’autre. Elles sont attentives et joyeuses. Elles expliquent, corrigent, encouragent. Tous les enfants bénéficient de la même sollicitude.
Sur ce plan-là, le travail des enseignantes est exemplaire.
Bravo pour la forme mais le contenu me laisse dubitative.
Pendant une heure, les petits écrivent, en anglais. Ceux de trois ans copient des lettres, ceux de quatre, des mots et ceux de cinq, des phrases.
Des pleines pages d’écriture, rayées de rouge par les maîtresses lorsque les lettres sont mal formées.
Tout en écrivant, ils épellent.
« W.H.E.E.L. »
« T.H.I.S.I.S.A.B.O.O.K. »
Inlassable murmure de leurs voix fluettes.
Ils répètent encore et encore. Celles ou ceux qui n’ont pas envie d’écrire, qui sont trop petits pour le faire, ou incapables de se concentrer suffisamment pour passer une heure à dessiner entre des lignes des signes incompréhensibles qu’une maitresse de petite section de maternelle française ou italienne ne présenterait jamais à des élèves de cet âge, bref, ceux qui décrochent, sont sagement assis sur des chaises. Ils attendent paisiblement que la séance se termine.
Les enfants sont remarquablement calmes et obéissants. La discipline s’effectue en douceur et avec le sourire.
Parfois de façon surprenante et… indélicate (pour le dire gentiment).
A 11h35, Anand, un petit de trois ans, lâche sur le sol un généreux jet d’urine. La maitresse, le déshabille, le laisse les fesses à l’air et passe rapidement la serpillière. Puis elle se tourne vers les autres enfants et leur désigne Anand.
« Shame ! Shame ! (honte, honte) » S’écrient-ils tous en chœur.
La séance d’écriture terminée, les maîtresses sortent les jouets. Jeux de constructions, de tris par forme ou couleur, fruits et légumes en plastique, animaux etc… un choix conforme à l’âge des enfants.
De nouveau, elles passent d’un groupe à l’autre. A un des ateliers, les enfants doivent associer les fruits avec leurs noms écrits sur des étiquettes. Sharah, une des grandes, attrape une étiquette à l’envers, épelle néanmoins les lettres, lit le mot « banana » et le dépose à côté de la banane, Sunita, par contre tient l’étiquette « apple » dans le bon sens et effectue la même prouesse.
Elles illustrent parfaitement la caractéristique principale de ce type d’enseignement: l’entrainement intensif de la mémoire. On répète, on répète, on répète. La phase analytique n’est pas expliquée, elle se met en place elle-même. Je schématise, bien sûr !
Au final, ça fonctionne, les enfants indiens qui fréquentent une école maternelle savent presque tous lire en anglais avant six ans.
Donc ils lisent, comprennent-ils ce qu’ils lisent ? Il semble que oui (sans certitude de ma part).
C’est un lieu commun de dire que l’école forme des sujets compatibles avec la société dans laquelle ils vivent et pourtant, comment ne pas noter que la créativité de l’enfant est totalement délaissée dans le système scolaire indien.
Même dans la maternelle modèle de Namaste, malgré les injonctions répétées de Valeria et les miennes, annuelles et insistantes, rien n’y fait, les enfants ne dessinent pas ou très peu. A diverses reprises j’ai enseigné aux maîtresses la technique de la pâte à sel, idéale pour le modelage mais jamais elle n’a été mise en pratique.
Pas un dessin d’enfant sur les murs de la classe mais des alphabets, des affiches de fruits, véhicules, animaux en anglais, un portrait de Gandhi, un autre de Nehru et de niaises photos géantes de bébés blonds.
Après la séquence jeu, les enfants déclament de courts poèmes et chantent à mon attention, toujours en anglais. Ils connaissent plusieurs chansons qu’ils accompagnent de gestes et mimiques.
Je les félicite et les encourage. Ils sont ravis, les maîtresses aussi !
Dès demain j’entreprends la tournée de toutes les “nursery” de Namaste.