1.
Ce matin, en sortant de la messe, Mary m’a fait un petit signe de tête, j’en ai été tellement surprise que je ne lui ai même pas répondu. Voilà bientôt deux ans que nous nous évitons, que nous détournons le regard quand nous nous croisons et que je sens sa désapprobation peser sur moi. Tout ça à cause de Deepty, ma fille insoumise.
Mais tout à l’heure elle m’a saluée, de loin, fugitivement et j’ai vu dans son attitude que quelque chose avait changé. Je me demande bien pourquoi. Elle semblait moins fière. Son sari était mal ajusté ce qui ne lui ressemble pas et puis des petites mèches s’échappaient de son chignon.
J’y ai pensé toute la matinée, à Deepty aussi, qui là bas en Italie, si loin du Kerala, a quitté Dennis, son mari devant Dieu, pour vivre avec un autre homme. Mais je l’ai vite chassée de mes pensées, par sa faute Priya ne vit plus avec nous et il y a plus de deux ans que je ne l’ai pas vue.
Elle me manque, à chaque instant, surtout le matin. Quand j’allais la réveiller, elle entourait ses petits bras autour de mon cou pour que je la soulève de son lit, et leur douceur était comme le frôlement de l’aile d’un ange.
Depuis que Dennis nous l’a enlevée, à cause de cette égoïste de Deepty, qui veut vivre comme les femmes occidentales et ne respecte ni Dieu ni les convenances en vivant dans le péché, la vie est partie de la maison et moi je tourne en rond entre Antony qui passe ses journées devant la télé et sa mère qui perd la tête. Maintenant qu’elle est vieille, elle me suit partout et pleurniche sans arrêt en répétant que je ne l’aime pas.
C’est vrai que je ne l’aime pas. Comment le pourrais-je ?
Il y a 35 ans, quand je suis arrivée dans sa maison, à peine terminée la cérémonie du mariage, elle me traitait déjà comme une servante.
Je sais que Deepty nous en veut de lui avoir choisi Dennis comme mari et de ne pas suffisamment la soutenir aujourd’hui. Je ne le lui ai jamais dit mais je n’étais pas d’accord avec cette union. C’était le choix d’Antony et de ses parents, pas le mien et on ne m’a pas demandé mon avis.
Pour mon propre mariage non plus d’ailleurs. Sinon, est-ce que j’aurais choisi de passer ma vie avec ce petit homme rondouillard, laconique dans l’intimité et bavard avec ses amis quand l’effet de l’alcool se fait sentir ?
Ici ce n’est pas l’Italie, on ne fait pas des mariages d’amour. On unit des familles, les femmes s’adaptent, et c’est bien ainsi.
En Occident au nom de l’amour tout le monde divorce, alors les enfants se droguent, abandonnent leurs parents quand ils sont âgés et malades et les laissent mourir seuls.
Moi je sais où est mon devoir, auprès de mon mari et de ma belle-mère, c’est comme ça et pas autrement.
11 commentaires sur “L’anniversaire”
Lu. Apprécié. Intéressant cross-over.
Un nouveau voyage est-il en préparation ?
@salut Joël
merci d’avoir lu cette nouvelle 🙂
oui, le prochain voyage est programmé de fin juin à fin aout…et je suis impatiente.
et toi?
Merci Céleste pour ce joli et triste voyage. Cette nouvelle aborde les violences faites aux femmes, même si les époux ne sont pas imposés par des traditions ou des intérêts financiers (cela existe aussi dans les pays occidentaux, les mariages de raison), le trait le plus remarquable de cette histoire est de ne pas respecter le choix, la liberté d’une femme à rompre une relation pour des raisons qui lui appartiennent. J’ai beaucoup aimé.
@merci beaucoup Agathe, d’avoir pris le temps de lire cette nouvelle et de l’avoir si bien comprise.
c’est une fiction mais elle est basée sur des situations réelles.
baci 🙂
Tu as parfaitement exprimé également les réactions guidées par la détresse des enfants, ces ruptures qui séparent les familles. Cela suffit souvent à altérer le jugement, à attendre d’un être de se sacrifier pour sauver les apparences. Ton texte remue le coeur.
@agathe
effectivement, j’ai situé mon récit en Inde, au Kerala, mais à quelques détails près j’aurais pu raconter la même histoire dans une famille occidentale, italienne par exemple.
> et toi?
De la dernière semaine de juillet à fin août ; cette fois-ci, je serai dans le Nord.
Bon voyage !
@Joël
Bon voyage à toi aussi 🙂
Nous nous serons dans le sud, trop de projets cette année pour avoir le temps de retourner dans le nord.
Bon déjà on peut se demander si les hommes et les femmes sont vraiment faits pour vivre ensemble !
Emouvant .
Texte bien triste qui nous montre une fois de +, que lorque les parents se séparent, ce sont les enfants qui trinquent..et les séparations des parents qui font que les grands-parents ne revoient + leurs petits enfants, bcp connaissent ça..
ps : ça m’a bien fait marrer les rapports femme-mari au bout de 30 ans de mariage…Je passe mon temps à reprocher à mon mari de ne + être le gentil mari amoureux de nos 20 ans….Et l’homme taciturne, assis dans son fauteuil à lire son journal, à dormir ou à regarder la télé n’est pas une légende….Ma pôv dame, ça se passe comme ça dans not tite vie de tous les jours à nous toutes….enfin, doit bien exister exceptions…soupir…j’espère…..
Ca me fait penser à une de nos clientes de 80 ans qui s’est séparée de son mari parce qu’elle ne supportait + son silence….Quand ça arrive, ce sont les enfants qui sont les plus choqués….