« J’ai été un soldat, US army! » s’écrie, bombant le torse, l’homme en chemise hawaïenne. Son visage rougeaud dégouline de sueur. Il titube, agitant des bras noueux et tatoués recouverts de poils blanchis par les ans. La jeune femme qui l’accompagne, frêle créature perchée sur de hauts talons, le tire par le coude. Le service de sécurité du bar dans lequel a éclaté la rixe les encercle.
« Come on, come on ! » dit la femme en l’entrainant. Finalement, maugréant entre ses dents, l’homme la suit.
Ils sont nombreux comme lui, vieux soldats nostalgiques du temps où, entre deux campagnes dans l’enfer vert, ils frottaient en échange de quelques dollars leurs peaux tannées contre les corps soyeux des jeunes prostituées thaïlandaises, à décliner sans fin dans les quartiers chauds de Bangkok. En ce temps-là Pattaya et Bangkok étaient d’immenses bordels destinés au repos des guerriers. Le royaume se taisait, l’argent coulait à flot et la liberté d’une nation a un prix.
Jamais la Thaïlande n’a été colonisée. Prête à tout pour conserver sa souveraineté : négocier avec les envahisseurs anglais ou français, leur vendre des territoires (y compris ceux des voisins, comme le Laos), accepter la présence des bases américaines, fermer les yeux sur les bombardements, vendre ses filles, ses éphèbes, ses enfants.
Quand les américains sont partis, les touristes sexuels sont arrivés. Des charters entiers de mâles en rut se sont déversés sur le royaume. Dans un pays où la sexualité n’est pas, comme en occident, enchainée par des tabous religieux ou moraux, la prostitution a longtemps été une importante source de revenus. Elle l’est toujours mais en moindre proportion et, heureusement, la pédophilie a reculé de manière considérable.
Réduire la Thaïlande à un lupanar géant est une erreur trop souvent diffusée en occident. Le pays bouge, se développe et se modernise à un rythme rapide. Vitrine du royaume, en vingt ans Bangkok est devenue méconnaissable. Si le quartier de Thomburi, sillonné de klongs sur lesquels glissent de longues barques a conservé ses maisons en bois et ses temples colorés le reste de la ville est constellé d’immeubles et le Sky train se faufile en silence entre le verre et l’acier. Les énormes embouteillages qui paralysaient le trafic se sont réduits, le nombre de tuk-tuk aussi, des taxis de couleur vives ont pris leur place.
La ville est propre et le nombre de sans-abris dormant sur les trottoirs a considérablement diminué. On ne croise presque plus de mendiants.
A première vue, les conséquences de la crise économique mondiale ne semblent pas visibles mais peut-être n’est-ce qu’un leurre. Le système ultra libéral choisi et appliqué par le gouvernement est cruel, avide d’ énergie, de matières premières. Lorsque celles-ci viendront en manquer, lorsque la pollution deviendra insupportable, quel sera l’avenir du peuple thaï ?
Dans les rues, décorées en prévision du nouvel an chinois, les gens vont et viennent, le téléphone collé à l’oreille. En quelques générations, les femmes ont délaissé les sarongs pour les jeans, les shorts, les mini-jupes qui dévoilent leurs jolies jambes fines. Coquettes sans être aguicheuses. Gracieuses, belles pour le plaisir de l’être.
En harmonie avec leurs corps. Bouddhistes.
3 commentaires sur “Bangkok, les Gi’s ont vieilli, mal”
ça me parle tout ça, j’y passais souvent quand je bossais au Myanmar .
Ah! L’Asie!
Jolie visite. Merci Céleste.