Blogosphère : étrons et pépites

On ne découvre une saveur aux jours que lorsqu’on se dérobe à l’obligation d’avoir un destin” Cioran  (Syllogismes de l’amertume)

Jeune, j’ai  rêvé de gloire. Je voulais être actrice ou écrivain.
Je sais aujourd’hui la vacuité de ces aspirations nées d’un énorme besoin de reconnaissance. J’étais avide d’amour. Dépendante du regard et de l’appréciation d’autrui, je doutais de ma propre existence.
Depuis, j’ai tourné la page des chimères.
Ce détachement s’est construit au fil des ans, nourri de lectures, de rencontres, de voyages, de la confrontation avec la souffrance, celle d’autrui, la mienne.
Prendre conscience d’être une petite part de l’univers, d’appartenir à l’humanité, à cette humanité si mal traitée, bafouée, est plus précieux qu’une éphémère célébrité.
Et puis, mieux vaut être aimée par quelques proches sincères que vaguement appréciée par une multitude versatile.

« Qu’est-ce que le bonheur sinon l’accord vrai entre un homme et l’existence qu’il mène ? »
Albert Camus

Ma nouvelle vie est très agréable. Je flâne. Je rêve. Je peins. J’écris. Je lis. J’observe la blogosphère, bocal transparent où s’agitent frénétiquement moult individus plus guidés par l’envie de gloriole que par la nécessité d’écrire, le désir de communication, le partage des idées ou la réflexion.

Exister aux yeux des autres, en être obsédé, ne déchiffrer le monde qu’à travers ce prisme est une affliction commune, banale.
Le pouvoir le sait bien qui balance sans cesse des arguments secondaires, promus essentiels par les médias serviles et repris par la frivole et bavarde blogosphère.

Frivole ou manipulée par des esprits malveillants chargés de détruire ce magnifique espace de liberté ou chacun peut s’exprimer sans transaction financière à la clé ?

D’ailleurs, cet espace, comment se fait-il que l’on nous l’ait accordé ? Par négligence ? Sous évaluation  de la capacité d’expression des anonymes ?
Ou alors Internet n’est-il qu’un immense piège destiné à nous ficher, nous cataloguer, engranger mille et un détails sur nous, nos pensées, nos opinions, nos amitiés que nous livrons en toute imprudence et qui feront les délices du régime autoritaire qui s’installe dans nos contrées européennes ?

Toujours est-il que dans ce jardin ou nous pourrions (ou nous aurions pu ?) semer les graines d’une société différente, la censure s’est infiltrée.

Perverse, elle ne s’est pas affichée comme telle. Le nouveau fascisme est sournois. Rien n’est interdit mais seules les paroles conformes sont promues. Les fausses indignations, les colères éphémères sur des arguments secondaires, les provocations mesquines sont relayées à l’infini étouffant la voix de la dissidence.

Internet est menacé, torpillé de l’intérieur par les blogueurs qui rentabilisent leurs productions, soit en monnaie sonnante et trébuchante par le biais de la publicité ou par la publication de leurs écrits par les sites appartenant aux grands médias, soit par la gratification de leurs égos affamés de reconnaissance.

Du copinage virtuel effréné, basé sur des échanges de liens permettant de grimper dans un classement – il semble que le blogueur moyen soit nostalgique du “bon temps” de l’école élémentaire conservatrice-  ne sort finalement et sans surprise qu’une bouillie informe, dénuée de réel sens politique.

La  féministe fait la belle chez le réac misogyne qui n’hésite pas à copiner avec le gauchiste mou ou avec l’écolo -bayrouiste. Tout est bon pourvu qu’on ait des liens.

En parlant de liens, voilà qui nous amène au mot  « religion ». Celui-ci a deux sources étymologiques : relegere (cueillir, rassembler) et religare (lier, relier).

Et pour rassembler, relier entre eux les croyants d’une même obédience, quoi de plus efficace que la lutte contre les fidèles d’une autre chapelle, en l’occurrence un minaret ?
Largement entretenue tant par les médias dominants affidés aux pouvoirs politiques et financiers que par la blogosphère, la lutte contre l’Islam a le vent en poupe. Ses guerriers, allègres à la plume légère ou ombrageux au trait grossier, se sont infiltrés dans l’univers du web, déversant des éclats de haine, des germes de peur.
Sus aux musulmans !
Sus aux immigrés à qui nous avons si aimablement confié les plus durs labeurs, que nous avons accueillis à bras fermés, les cantonnant dans des cités où désormais le taux de chômage atteint les 40%, que notre fière police nationale contrôle à tout va, contre lesquels les « petites phrases » humiliantes se multiplient et que l’on voudrait invisibles.

Dans le brouet blogosphérique, tels des étrons, flottent les propos racistes, xénophobes, haineux que les nageurs du web chassent d’une main rapide et qu’importe si un peu de merde reste collée entre leurs doigts, la renommée, même ténue, a un prix.

Mais si la situation est grave elle est loin d’être désespérée, de nombreuses pépites brillent encore dans l’océan du web et certaines peuvent être lues, aussi, sur du papier. Deux exemples :
Sébastien Fontenelle (co auteur des Editocrates) publie aux éditions Le Chien Rouge CQFD, “Vive le Feu “une sélection de chroniques parues sur son blog éponyme, jubilatoire.
Et Agnès Maillard qui propose « Le Syndrome du poisson rouge », premier opus des excellentes chroniques du Monolecte « 150 textes classés par ordre chronologique, avec références et renvois divers, 440 pages bien tassées, à picorer au gré des humeurs, avec les carnets du chômage ordinaire, le microcosme politique, la diarrhée télévisuelle, mais aussi de petits récits sur le temps qui passe, les petits malheurs et les grandes joies de la vie ordinaire, des critiques cinéma et même des recettes de cuisine. »

Dans la catégorie « cadeau de Noël », outre ces deux ouvrages on peut aussi offrir des abonnements à de saines lectures, des journaux peu diffusés qui ont besoin d’être soutenus, faute quoi leur existence sera menacée :
CQFD : le mensuel de critique sociale
Fakir, né en Picardie, désormais publié dans tout l’hexagone et qui propose ce mois-ci un remarquable dossier intitulé « Ecobouffons : la fabrique de l’hypocrisie »
Le Plan B, critique des médias et enquêtes sociales.

à lire en complément, chez mon ami Oh91

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