Au petit matin clair, comme chaque jour, j’écoute France Inter.
Tout n’est pas passionnant, loin de là, mais je persiste et je tends l’oreille.
Etant donnée la tonalité libérale des propos tenus à longueur de journée, ou presque, je n’espère pas beaucoup de satisfaction mais comment s’engager si on ne sait pas contre quoi lutter ?
Donc j’écoute France Inter, consciencieusement, jour près jour. Ce qui est diffusé sur une radio publique, de grande écoute, ne peut en aucun cas être considéré comme anodin.
Ce matin, c’est Nicolas Beytout qui retient mon attention.
Beytout: les Echos, le Figaro, pote avec Dassault et Sarkozy, membre de la Commission Trilatérale etc etc…
Enfourchant l’actualité, il commente ce matin le rapport publié par l’Oxfam à la veille du forum économique mondial de Davos, ce raout ultra select où les riches décideurs internationaux se tapent jovialement dans le dos en faisant semblant de s’intéresser à ce qui pourrit la vie de milliards d’habitants de la planète et dont ils sont les principaux responsables.
Ce matin, 25 janvier 2014, la chronique s’intitule « Encore plus de riches ».
Titre justifié, en effet, le rapport de l’Oxfam dévoile cette consternante réalité : les 85 personnes les plus riches de la planète possèdent autant d’argent que les 3,5 milliards de terriens les plus pauvres.
Consternant ?
Nicolas Beytout a une autre vision de la chose. Il n’est pas consterné, lui, il trouve ces chiffres « frappants », « impressionnants » et il souligne une « disproportion folle ».
Mais point de consternation.
D’autant moins que, si on se penche, comme lui, sérieusement sur la question, « Ce genre de statistiques masque aussi un autre phénomène (…) beaucoup plus important, le nombre des pauvres diminue sans cesse dans le monde … »
Et de citer alors l’Observatoire des Inégalités, qui écrit effectivement que « Le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté dans le monde s’est réduit de 1,9 à un peu moins de 1,3 milliard entre 1981 et 2008. Une évolution d’autant plus positive que dans le même temps la population mondiale s’est accrue. Du coup, le taux d’extrême pauvreté a été réduit de moitié : 22,4 % de la population mondiale vit aujourd’hui avec moins de 1,25 dollar par jour contre 52,2 % au début des années 1980. »
Mais alors que le site nuance « Les dernières observations sur la pauvreté dans le monde datent de 2008 » et précise que « Le seuil d’extrême pauvreté considéré est particulièrement bas : en prenant un seuil à 2 dollars par jour, on compte toujours près de 2,5 milliards de pauvres, soit 43 % de la population de la planète. » Nicolas Beytout trouve ces résultats tout à fait positifs et même s’il concède que « c’est évidemment beaucoup trop », il estime que, somme toute, la croissance, comprenez par là le libéralisme effréné, ça a vraiment du bon.
Alors certes, continue le chroniqueur « la richesse est de plus en plus captée par un petit nombre de personnes » et ce « sentiment de captation est difficile à combattre ».
Le sentiment, pas la captation.
« Et il (le sentiment) est même dangereux, tellement la richesse de certains s’étale ouvertement »
Dangereux pour qui ?
Pour les miséreux qui crèvent la dalle ou pour les nantis qui ont peur que les gueux finissent par se rebeller ?
On ne saura pas mais, nous dit-on, le forum de Davos s’en préoccupe, car « ça fait plus de 10 ans que le forum se mobilise sur les problèmes de pauvreté, d’accès à l’eau, d’éducation, de santé, tout ce qui peut exclure, tout ce qui peut aggraver la fracture entre deux mondes, un monde développé et riche d’un côté et un monde laissé pour compte et pauvre de l’autre. »
Des humanistes, les membres du Forum de Davos !
Des philanthropes !
Oui oui, d’ailleurs, poursuit Nicolas Beytout « un peu partout sur la planète les ultra riches sont petit à petit devenus des grands donateurs »
Oh les braves gens que voilà !
Malheureusement, précise le chroniqueur, « C’est pas le cas en France »
Pourquoi ? Nos riches seraient-ils pingres ?
Que nenni, s’ils ne mettent pas la main au portefeuille, c’est à cause de « l’impôt sur la fortune », cette abomination « et à la fiscalité sur la succession », autre horreur sans nom.
« Ben oui ! » ajoute le journaliste d’un petit ton contrit.
Et Beytout de conclure « C’est le contre-effet des logiques de redistribution ».
Voilà comment au petit matin, sur France Inter, on vante paisiblement les bienfaits de la charité en les opposant, sans complexe aucun, à la justice sociale et au partage des biens.
Photo illustrant le contre-effet des logiques de charité érigée en modèle économique:
8 commentaires sur “De la charité érigée en modèle économique…”
Vous avez bien raison, chère Céleste, de pointer cette question du “sentiment” de captation : le sentiment, c’est subjectif, dont tout à faire relatif…
Heureusement, les riches, eux pleins de “bons” sentiments, pratiquent la charité (l’aumône ?) pour réduire la misère.
Par exemple les entreprises avec le mécénat (en France, on parle de RSE, Responsabilité Sociétale des Entreprises). Avantage : ça permet de redorer son blason et, accessoirement bien sûr, de déduire de ses impôts 60% des sommes ainsi reversées.
Et pour qui (j’en fais partie) est contraint de demander de telles subventions pour mener des actions visant à remédier aux conséquences sociales du libéralisme, sachant que les subventions publiques ne cessent de fondre, austérité budgétaire oblige, on constate que, la plupart du temps, les financements accordés sont de simple rustines et, en aucun cas, des moyens pour transformer réellement la situation.
Merci Tintin Rapporteur pour votre commentaire. Oui, la charité, l’aumône, des rustines, de quoi fonctionner petitement en étant dépendant du bon vouloir des sponsors…
Céleste, toutes les radios privilégient ce genre de discours et l’on sait pourquoi, elles sont dans les mains des marchands et des financiers. On a beau le savoir mais le venin réactionnaire camouflé sous un language pseudo-progressiste, s’infiltre dans les consciences. Je le constate depuis des années dans mon entourage , je suis choqué de voir à quel point on trouve supportable de plonger des gens dans la misère et de voir comment on en vient à justifier l’arrêt des allocations chômages ou des aides sociales. Comme si on voulait éliminer physiquement les pauvres, surtout quand il s’agit d’immigrés.
Robert, je suis tout à fait d’accord avec vous! Leur propagande fonctionne et les mentalités changent, malheureusement.
C’est insidieux, rampant et de très mauvais augure pour l’avenir.
Celestissima je vous aime, car la chose est bien dite. Outre la confiscation de la parole par les médias, force est de constater que l’indécence n’est même plus relevée. Il faut avoir recours à l’hyperbole pour la relever. Par exemple le préjudice “morale” d’un Bernard Tapie est plus élevé que l’aide de la CEE pour la dernière famine en Ethiopie. Le revenu d’un Carlos Ghosn en 2012 est de 2.7 millions d’€ en admettant qu’il soit vraiment au taquet, bossant 24h sur 24 ,365j/an cela fait du 5.13€ la minute: 10 minutes sur les chiottes: 51€ et c’est un gonze qui droit dans ses bottes préconise d’abaisser les coûts. Il en restera toujours cette fascination pour ce côté insatiable de ces dirigeants auxquels il faudrait peut-être faire remarquer que de crouler sous le pognon ne les empêchera pas de mourir. Mais sans doute leurs motivations sont ailleurs, genre gratter une place dans le magazine Forbes!
Merci Astegiano!
Les exemples que vous citez sont hallucinants, immoraux!
Tout est fait pour endormir, embrouiller les peuples, empêcher les prises de conscience. C’est un jeu extrêmement dangereux.
On va vers le chaos, vers le naufrage. Quelques uns dansent sur le pont mais le navire humanité est en perdition.
Je déteste ce constat!
Je ne peux plus écouter la matinale de France inter. Insupportables ses chroniqueurs qui diffusent la même musique néolibérale. C’est devenu au-dessus de mes forces.
Je comprends!
Mais je continue, c’est plus fort que moi, il faut que sache ce qui se dit, ce que tout le monde entend! (enfin tous les auditeurs)
Merci de ton passage 🙂