Genèse d’un avortement

 

J’ai écrit ce texte en suite à l’appel “IVG, je vais bien, merci” rédigé par le collectif “Les filles des 343 salopes” et je l’ai publié sur leur tout nouveau blog: Je vais bien merci!

1981, j’ai 25 ans et deux bébés, l’aîné a vingt mois, le second cinq. Tout mon temps leur est consacré. Nuits agitées, journées épuisantes, père décevant.

Je ne veux pas retourner chez le médecin qui a assisté à mes accouchements. D’ailleurs il n’a fait que ça: assister, les dernières minutes. C’est un homme chic, pédant et expéditif. Dans sa salle d’attente on patiente des heures, y compris pour passer une échographie, la vessie pleine à éclater, pétrifiée de trouille à l’idée qu’elle puisse se vider inopinément, là, devant tout le monde.

Donc je vais au Centre de Protection Maternelle et Infantile. Le temps file, il faut penser à un moyen de contraception. Ce sera un stérilet.

Pas de bol, le jour de la pose, c’est la stagiaire qui s’y colle. Le médecin observe du coin de l’œil. Pour elle, comme pour moi, c’est le premier stérilet. Elle tâtonne, tremblote, me fait mal. Je devrais dire stop mais je reste muette, raide comme un piquet, les ongles enfoncés dans les paumes.

Les semaines suivantes une douleur persistante grandit dans mon ventre. Je retourne au centre. On me retire le stérilet. Puis on m’annonce que j’ai une inflammation du col de l’utérus et qu’il faut cautériser. Sur le champ. Chair brûlée. Douleur intense.

Je saigne, des jours et des jours. Je ne saigne plus. Je saigne à nouveau. Les règles sans doute. Comme si j’avais le temps de noter les dates! Je saigne encore. Finalement je consulte le médecin de famille qui m’annonce que je suis enceinte. Stupéfaction. De combien? Environ deux mois. C’est à dire au moins trois semaines avant la pose du stérilet. Chapeau le Centre de protection maternelle et infantile!

Immédiatement je décide d’avorter. J’adore mes enfants mais il est hors de question d’en pondre un tous les ans. Ni mon corps ni mon mental ne le supporteraient . Ce serait au détriment de mes deux bébés, injuste pour eux. Leur père approuve illico.
La décision prise il ne reste plus qu’à pratiquer l’IVG.
Malheureusement  les choses, qui n’étaient déjà pas simples, se compliquent quand l’infirmière de l’hôpital me déclare:
« Désolée, Madame, la liste d’attente est trop importante nous ne pouvons pas pratiquer l’IVG dans les délais impartis par la loi »
Là-dessus elle m’indique deux solutions: aller chez un médecin privé ou garder le bébé après tout vous êtes jeune.

Jeune d’accord mais déterminée à avorter me voilà à la recherche d’un gynécologue. Qui ne me fasse pas attendre encore des semaines. Qui pratique un tarif abordable. Qui soit fiable.

Pas si facile. Finalement par le truchement de la copine d’une copine d’une copine, je débarque un samedi après-midi dans le cabinet d’un gynécologue antibois. Ses prétentions financières sont loin d’être négligeables  mais au téléphone sa secrétaire m’a assuré que je ne sentirais rien, ou presque et que tout se passerait bien. De toutes façons,  je n’ai pas le choix.

L’homme est froid, peu aimable. Quand il parle, il s’adresse plus souvent à mon mari qu’à moi. Il explique brièvement, la piqure pour l’anesthésie locale, l’avortement par aspiration.

Et c’est parti!
Mal, très mal! À l’évidence la piquouse ne provoque pas l’effet escompté. Ou peut-être, ai-je pensé beaucoup plus tard, le dosage était-il trop faible. La douleur est atroce. Je crie. Le médecin me lance un regard sévère. J’ai les larmes aux yeux. Je m’agrippe au lit, les ongles dans le plastique.

Une heure plus tard je quitte le cabinet. Sonnée. Le ventre en feu mais soulagée d’en avoir fini avec cette grossesse que je désirais pas.

Depuis, je vais très bien, merci! Jamais je n’ai regretté cet avortement. L’acte ne m’a pas traumatisée, la douleur,si! Cette souffrance inutile, injuste aurait pu être évitée.

Huit ans plus tard j’ai donné naissance à ma fille. Une grossesse choisie, sereinement vécue.

J’ai avorté il y a trente ans.  L’année suivante l’IVG a été remboursée par la sécurité sociale. Pendant des années j’ai pensé avec satisfaction que les femmes pouvaient désormais avorter dans de bonnes conditions.
Je me suis trompée. Depuis quelque temps, les difficultés se dressent autour de l’avortement. En Italie c’est devenu presque impossible.
C’est pourquoi il faut à nouveau lutter pour préserver ce droit que nos mères ont acquis. Ne pas le faire serait les trahir et prendre le risque de retourner à l’époque des faiseuses d’anges!

 

 

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