Comme Ranjeet, Govind aimerait bien venir en France. Pour faire du tourisme, pas pour y vivre non non non. Il ne lui viendrait pas à l’idée d’abandonner pour des années sa femme, ses enfants, sa famille. (Au passage, quand bien même Ranjeet et Govind choisiraient de vivre en France, le pays y gagnerait deux jeunes hommes brillants, parlant très bien français, dynamiques et enthousiastes.)
J’avais gardé le souvenir d’un jeune homme mince, sérieux mais plein d’humour, très attentif aux leçons, posant beaucoup de questions. Conservateur, il nous avait longuement expliqué les coutumes des rajpoutes. Il y a six ans, il avait 21 ans, il était déjà marié et père d’une fillette.
Au fil des années, il s’est nettement enveloppé mais je retrouve son regard malicieux, le sérieux de ses paroles et de ses convictions, son sens de la dérision. Désormais, il a deux enfants. En attendant que sa maison soit construite, dans deux ans, à côté de celle de Ranjeet, il loue un petit appartement dans la banlieue de Jaipur.
Sa femme y passe toute l’année scolaire, avec les enfants.
Dans son village, les structures scolaires sont médiocres, or, fournir à ses enfants une éducation de qualité, en anglais, est un devoir pour les parents même si pour cela il faut quitter la maison familiale où, tous ensemble, on coule des jours heureux.
Conformément à la coutume, dès le jour de son mariage, la femme de Govind est venue vivre chez ses beaux-parents. Elle ne connaissait de son futur mari qu’une photo, elle avait 15 ans. Mais elle n’était pas isolée car le frère de Govind, a épousé sa sœur.
Très gentiment, Govind nous invite à dîner chez lui. Sa femme est charmante et ses enfants adorables.
Il loue deux pièces dans une villa ou vivent les propriétaires : parents, fils, belle-fille et deux petits-enfants. Entre la famille de Govind et ses propriétaires, les relations sont excellentes, particulièrement entre les deux jeunes couples. A peine sommes-nous assis que la jeune et jolie voisine débarque avec ses enfants. Elle parle anglais car elle a grandi et étudié à Delhi. Titulaire d’un master, elle a été enseignante au College. Puis elle a mis sa carrière entre parenthèses pour revenir au Rajasthan, se marier et mener une vie traditionnelle.
Oui, c’est un choix, et elle en est très heureuse.
Arrive une autre jeune femme, un nourrisson dans les bras. C’est la fille des propriétaires, temporairement de retour à la maison. Elle a accouché il y a peu et, suivant la tradition, elle a donné le jour à son premier enfant chez ses propres parents.
Son père, justement, vient nous saluer. Hop hop, les jeunes femmes se cachent le visage avec un pan du sari. Toutes, sauf une.
Le père parti, je demande :
« Pourquoi, elle ne s’est pas couvert le visage ? »
Govind rit : « C’est sa fille, il l’a vue toute nue quand elle née ! Les femmes ne se cachent pas le visage devant leur père ! »
– Quand est-ce qu’elles le cachent ?
– Devant les hommes et devant les femmes plus âgées.
– Mais pas devant nous !
– Non, vous êtes étrangers, pour vous ça n’a pas d’importance, vous ne pensez pas qu’elles vous manquent de respect. Cette coutume, elle est importante pour nos personnes âgées. C’est une marque de respect envers les anciens.
– Et les femmes, ça ne les dérange pas ? »
Les rires des jeunes femmes fusent.
« -Non ! C’est juste une coutume ! Pour ma grand-mère, par exemple, c’est très important. Et je ne vois pas pourquoi on ne respecterait pas sa parole. Sans elle, je n’existerais pas et mes enfants non plus.
– Tu crois que ce mode de vie familial, ces coutumes, vont continuer dans le futur ?
– Ce sera différent, ça l’est déjà. Je ne vis pas comme mes parents et pour mes enfants ce sera encore autre chose. C’est inévitable, c’est comme ça ! Mais tant que les anciens seront en vie, nous continuerons. »
Le fils des propriétaires nous rejoint. Il travaille dans une banque mais apprend le français pour, lui aussi, devenir guide et il est heureux de discuter avec nous.
Nous posons à Govind des questions sur son travail.
– « Ils sont comment les Français ?
– Gentils…mais râleurs !
– Qu’est-ce qui les fait râler ?
– La bouffe ! Il y en a qui réclament des crevettes en plein désert !
– Et les visites ? Les monuments ?
– Au premier fort, ils sont très contents, au deuxième un peu moins, au troisième ils sont fatigués ! Alors je propose autre chose, ça dépend des groupes. Si il y a plus de jeunes on peut marcher, si il y a beaucoup de vieux, c’est autre chose !
– Il ya des gens qui posent des problèmes ?
– Les emmerdeurs ? Oui, parfois il y en a! On les repère vite et on les signale tout de suite à l’agence. On dit celui-là il va créer des problèmes, il a déjà commencé. Comme ça, si après il porte plainte, pour se faire rembourser le séjour, ça arrive, on est couverts ! mais généralement tout se passe bien et c’est sympa. Je me suis fait beaucoup d’amis.
– Et les questions ?
– Ils demandent pourquoi les enfants travaillent, pourquoi on ne dit rien. Ils ne comprennent pas que parfois l’école est très loin, qu’elle coûte cher, même l’école publique et si elle est à plusieurs kilomètres et qu’on a rien, même pas un vélo, comment on fait ? Alors que peut-être il y a du travail pour aider les parents. Bon, on discute !
Govind nous explique aussi le problème des pourboires. Les touristes ne savent pas, d’autres font semblant de ne pas comprendre, que les salaires du chauffeur de bus, de son assistant, des porteurs de valises et des serveurs sont très bas. Pour vivre décemment, ils ont besoin de recevoir des pourboires. Quand les clients ne sont pas assez généreux (ou trop radins) c’est Govind qui complète, pour assurer un bon accueil avec un prochain groupe. Alors, certes, il est bien payé mais il y a tous ces frais annexes !
Parfois, il est très agacé, il se souvient d’un petit groupe, six couples. Tous les soirs ils buvaient de la bière et du vin. Chaque soir, le salaire d’un serveur ! Le dernier jour, il fait passer une enveloppe pour le chauffeur du bus. Il la récupère, l’ouvre : elle est presque vide !
Il fait remarquer aux touristes que ce n’est pas sympa, pas correct. Que le chauffeur est peu payé, qu’il a dû se loger, se nourrir. Les Français se regardent entre eux, mines surprises et, tous d’affirmer que si si si ils ont mis de l’argent dans l’enveloppe !
L’anecdote se passe de commentaires !
Je ressens bien, à travers toutes ces petites histoires, cette détestable autoproclamée supériorité occidentale. La civilisation, c’est nous ! Le message est trop souvent limpide !
Nous sommes enchantés d’avoir revu Ranjeet et Govind et prêts à écrire pour eux des lettres d’invitation en France.
Namaste !