La parade des bigots

Alors que nous longeons la procession du vendredi saint un murmure de désapprobation  lentement se propage. Les encapuchonnés nous fustigent du regard et les femmes marmonnent « vergogna, vergogna ».
Nous progressons en file indienne, silencieux et rapides sans un regard pour le barbu ensanglanté dont la douleur glorifiée défile dans les rues, portée par des épaules soumises aux lois divines.

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Immobile, muette, la foule semble figée dans la bigoterie que lui dicte une voix féminine relayée par des haut-parleurs.
« obéir au seigneur », « remercier notre père », « espérer ».
La voix dérape dans les aigus pour enjoindre à l’immobilité, totale. C’est à nous qu’elle s’adresse. Nous l’ignorons et continuons notre progression, dépassant les encapuchonnés rouges, puis les jaunes, les verts.

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Nous avons coutume, à chacun de nos séjours à Santeramo, de retrouver quelques amis autour d’une platée de viande.
Ici, de tout temps, on a fabriqué des mozzarelle et des tarallini, les femmes ont pétri la pâte, porté à cuire au «forno » le pain et la focaccia et les bouchers ont cuisiné la viande. C’est une particularité de la ville. Le soir, après avoir longuement tourné sur la « villa » (la place) palabré avec les amis et maté les jeunes filles, les hommes choisissaient des morceaux d’agneau, de bœuf, ou de cheval que le boucher cuisait sur un feu de bois. Puis ils ramenaient à la maison la viande encore fumante enveloppée dans du papier grossier.
La richesse des habitants de la ville ayant nettement augmenté ces dernières décennies grâce à l’implantation de l’usine « Divani Divani » sur la commune, le papier gras et rugueux a disparu et les fameuses boucheries de Santeramo sont devenues de véritables restaurants. Le client choisit toujours sur l’étal ce qui fera son régal mais ensuite il le consomme sur place, bien attablé, avec des fenouils coupés en quatre en accompagnement et une carafe de vin rouge.

Hélas, cette année, aucun des athées que nous sommes n’a pensé que ce vendredi-là était le vendredi saint et que,  dans la  ville  confite en dévotion,  manger de la viande pourrait se révéler être une mission difficile à accomplir.

La premier boucher nous a lancé un regard sévère, a écarté les bras et déclaré : « venerdì santo ! ». Le deuxième était fermé et, comme le premier, d’autres étaient ouverts à la vente mais pas à la consommation.
Même le vendeur de kebab, unique musulman d’une ville qui n’accueille pas volontiers l’étranger venu d’ailleurs, a jugé prudent de fermer ses portes.

Finalement, un autre mécréant nous rejoint, porteur d’une bonne nouvelle : une boucherie a résisté à l’onde pieuse.
Mais pour y aller, il faut remonter toute la procession.

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Et nous voila marchant à la queue leu leu au milieu d’une foule statufiée par la foi.
« C’est fou, dit Nole, la procession a toujours existé mais avant elle n’avait pas cette tristesse et cette solennité.  C’était une fête, pas un défilé mortuaire. »

Même si le nombre de fidèles n’a pas augmenté la mainmise de l’église sur la ville se fait de plus en plus en sentir, comme dans l’ensemble de la société italienne.

Hostiles aux migrants à qui ils ne veulent pas même jeter les miettes de leurs richesses, les Italiens ont déployé des trésors de solidarité pour aider les victimes du tremblement de terre des Abruzzes.
Solidaires, oui, mais seulement des leurs. Charité bien ordonnée commence toujours par soi-même et n’hésite pas à exclure qui « commet la faute » de penser ou de croire différemment.
Une charité sans pitié qui divise, discrimine, mène au repli identitaire et éloigne de la démocratie.
Une charité providentielle pour un gouvernement avide et manipulateur.

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