Malavila est une zone rurale située en bordure de la jungle à quelques kilomètres de Vellanad.
Pendant des décennies, l’unique source de revenus de ses habitants a été la fabrication de l’arak, un tord boyau à base de plantes. Bien que ce breuvage soit depuis longtemps illégal sa production, qui était tolérée, a continué jusqu’en 2003, date à laquelle elle fut rigoureusement interdite par les autorités. Les distilleries clandestines ont été détruites et les producteurs passibles d’emprisonnement. Quelques uns ont été arrêtés et purgent leur peine mais beaucoup d’entre eux ont pris la fuite s’enfonçant de plus en plus profondément dans la jungle avec leurs familles.
Traditionnellement, les hommes distillaient, vendaient et buvaient l’arak, tandis que les femmes assuraient la culture des plantes. Les enfants, livrés à eux-mêmes, étaient peu scolarisés. Désormais en fuite, les familles se terrent dans la jungle – la vraie, peuplée d’éléphants sauvages et autres animaux féroces – vivent dans des cabanes accrochées aux arbres, sans autres ressources que la chasse et la cueillette. L’eau manque et les enfants ne fréquentent pas l’école, celle-ci étant beaucoup trop loin.
Le village de Malavila est presque entièrement peuplé de femmes et d’enfants, les hommes sont soit dans la jungle, soit partis travailler ailleurs.
Les habitants de la zone sont des Cheramars, une caste déclarée très basse par le gouvernement indien. Beaucoup de familles se sont converties au christianisme, mais pas de façon officielle car d’une part les ordres catholiques qui ont opéré sur le lieu exerçaient leur foi indépendamment du clergé local, d’autre part les chrétiens, même d’une extrême pauvreté, ne bénéficient pas des mêmes droits que les intouchables ou les membres des très basses castes.
Afin de protéger les intouchables et les castes les plus basses et malgré une féroce opposition du BJP, le parti nationaliste hindou, le gouvernement indien a instauré depuis des années un système de quotas visant à leur accorder des privilèges. 20% des emplois administratifs doivent leur être attribués. Il en est de même pour les places dans les universités.
Ces mesures excluent les chrétiens et les musulmans, même si ceux-ci sont dans le dénuement.
Bien que partant d’une idée égalitaire l’application des quotas a eu pour effet pervers de pousser les hindous à déclarer leur caste ou leur statut d’intouchable. Le système de séparation des castes s’en est trouvé renforcé.
Mais il est vrai aussi que les Indiens savent, à de multiples signes, déceler du premier coup d’œil la caste ou la religion de chacun. Je commence moi aussi à savoir déchiffrer les indices.
Nous arrivons au village de Malavila à sept heures et demie du matin pour visiter la « Tuition school » que Namaste a créée dans un local prêté par la Mairie.
Les « Tuition school », très répandues en Inde, sont des écoles de soutien scolaire destinées à combler les innombrables déficits de l’école publique qui souffre de mille maux : budget de fonctionnement insuffisant, locaux en piteux état, classes surchargées, fort absentéisme des enseignants, qui pourtant jouissent de salaires plutôt confortables par rapport à la moyenne et pour finir corruption.
La « Tuition school » de Malavila, nouvellement ouverte, offre aux petits un enseignement adapté à leurs besoins mais dans des conditions sommaires. Il n’y a encore ni électricité ni pupitres.
Nous apportons aux enfants des sacs d’école et des parapluies fournis par Namaste et leurs visages s’éclairent de joie.
Puis nous nous promenons dans le village, composé de masures de palme et de boue séchée, avant de nous rendre, à l’orée de la forêt, dans une Family house tenue par un couple adorable et qui accueille uniquement des enfants de Cheramars exilés dans la jungle.
Pour finir nous allons à l’école. La directrice, une belle femme altière, nous reçoit très gentiment avant de donner le départ de la journée en s’adressant aux enfants alignés par classe devant elle. Une prière universelle est récitée en chœur puis les écoliers se dirigent sagement vers leurs classes.
L’école dégage une atmosphère de paix et de bien être, les enfants sont détendus et visiblement heureux. Malheureusement seuls les plus petits sont scolarisés, passé l’âge de douze ans les parents ne les envoient pas à l’école. Le motif le plus fréquemment invoqué étant la distance à parcourir. Mais la véritable explication tient dans le fait que pendant des années les habitants de la jungle, ignorés des autorités ont vécu en dehors de tout et ils ne voient pas la nécessité de donner maintenant une instruction à des enfants qui jusque là sont restés en dehors du système scolaire.
Namaste a initié le projet de « Tuition school » à Malavila, mais, si aucun sponsor ne vient apporter une aide financière, il sera très difficile pour l’association de continuer à le maintenir.
Ce serait vraiment dommage et nous espérons que de généreux donateurs viendront à l’aide des enfants des Cheranars.
4 commentaires sur “Malavila”
est ce qu’il n’y a pas un mouvement qui essaie de substituer des critères économiques à celui des castes ?
Ils sont racistes alors ,s’ils font comme tu dis de la discrimination entre eux: chrétien,musulman,etc…
Ca jette un froid pour ton action et ton bénévolat , non ?
les chrétiens et les musulmans n’étant pas hindous ils ne sont pas concernés par le système des castes.
impossible donc de les faire entrer dans les quotas.
le racisme n’a rien à voir dans l’histoire.
L’Inde où plus d’un milliard d’habitants de religions différentes cohabitent depuis des siècles de façon globalement pacifique est la plus grande démocratie du monde.
Ce n’est pas facile pour nous occidentaux de comprendre la société indienne, et surtout d’accepter ce mode de fonctionnement.
Difficile de ne pas émettre de jugement, c’est vrai.
Tes récits me passionnent. Merci Céleste.