Depuis des kilomètres, nous les voyons marcher sur la chaussée. Beaucoup de femmes, pieds nus, la démarche altière, rapide, un sac posé sur la tête. Quelques hommes.
Comme nous, ils vont à Orchha mais pas pour la même raison. Nous allons visiter les palais, ils accomplissent un pèlerinage.
C’est le mois de Shravan consacré à Shiva et les fidèles affluent dans les temples qui lui sont dédiés.
A Orchha, la foule, bigarrée et grouillante, se presse dans les rues. Sur la place du marché de nombreux étals proposent des colifichets, du matériel de cuisine, des fruits et légumes recouverts de mouches.
Les vaches ont du mal à se frayer un chemin, elles zigzaguent parmi les saris et crottent où bon leur semble.
Shiva est lié à la reproduction, son symbole est le lingam, une représentation du phallus, fiché dans le yoni, sexe féminin. Ce qui explique la présence massive de femmes à ce festival. Elles tournent autour du mur extérieur du temple, l’embrassent, se prosternent sur le sol, adressent à leur dieu de muettes suppliques, les mains jointes, le regard extatique.
Mais le grand Shiva, venu du cosmos, a plusieurs casquettes, il est aussi le seigneur des ascètes, les sâdhus qui ont renoncé à la vie en société et parcourent inlassablement le pays, mendiant leur nourriture et dormant à la belle étoile. Ils sont vêtus d’orange ou de jaune, leurs longs cheveux retenus par des turbans ou tombant en dreadlocks sur leurs épaules. Ils se couvrent le corps de cendres et se teignent le front de poudre orange.
Le regard du saddhu effleure sans le voir le touriste, son esprit est ailleurs, celui du mendiant se fixe sur l’étranger à qui il demande « paisa !» en désignant sa bouche ou « photo ! ». Une fois la photo prise il dit : « ten roupies ! ».
Sur la place du temple, un orchestre joue, ponctuant l’interminable discours d’un brahmane. De nombreuses femmes sont assises, drapées dans leurs saris. Parfois l’une d’elles se lève danse.
Elles me regardent avec bienveillance et curiosité. Certaines demandent à être photographiées, mais pas pour quelques roupies, pour le plaisir de se voir sur le petit écran de l’appareil.
Plus loin, un orchestre de rue, les musiciens sont assis par terre. Ils jouent des airs lancinants, ponctués par les tablas. Les regards sont vagues et l’odeur de la ganja entêtante. Une femme danse.
Dans le temple désaffecté, les pèlerins se reposent, couchés dans les niches, à même le sol, assis ici et là ou accroupis sur leurs talons.
Plus tard, dans la nuit, ce sera transes et extase. La ferveur hindoue peut-être spectaculaire.