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Sur la plage de Chennai (suite) |
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La plage est immense, la plus grande du monde, après
celle de Rio.
Mais elle est bien différente des plages occidentales. Ici point de chair
dénudée, point de corps offerts au soleil, point de concours de strings ni
de muscles et pas non plus de Club Mickey pour amuser les enfants pendant
que leurs géniteurs se consacrent au bronzage.
A midi, la plage, écrasée de soleil, est déserte. Peut-être un touriste
égaré brave-t-il les flots dangereux…
Au fur à mesure que l’astre décline, arrivent les promeneurs : groupes de
jeunes garçons joueurs ou de jeunes filles rieuses qui sautent joyeusement
dans les vagues, familles hindoues venues faire un petit puja du soir,
espoir, familles musulmanes, et la brise, qui s’engouffre sous les voiles,
découvre des mèches folles et des sandales dorées, parsis, adorateurs du
feu, debout, droits et immobiles, le regard fixé sur les rayons mordorés,
vendeurs ambulants de cacahouètes, de thé, de barbe à papa enfermée dans
des sachets en plastique, diseuses de bonne aventure qui déchiffrent
l’avenir dans les lignes de la main, tourneurs manuels de manèges où les
bébés crient de plaisir, toute une foule débonnaire, qui profite de la
douceur du soir. |
A peine suis-je sortie de l’eau, le churindar blanc
collé aux jambes, (heureusement il fait chaud) qu’une autre petite fille
m’aborde, dans un très bon anglais, sous l’œil fier de papa et maman, un
jeune couple bien mis.
Ils vivent à Chennai car Monsieur travaille dans une banque, mais ils ne
sont pas Tamils, non non non, ils viennent du Rajasthan (pensée émue pour
les Rajpoutes) et aspirent à y retourner. En attendant, leur fillette
étudie dans une English Medium School et, le soir, ils viennent flâner sur
la plage. Dans la nuit tombante, ils me posent de nombreuses questions,
surtout Madame, sur moi, sur la France, sur l’Occident.
Du coin de l’œil, je vois s’approcher un bel homme d’un certain âge, il
s’immobilise, légèrement en retrait et écoute la conversation en souriant. |
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Mes interlocuteurs me saluant, je me tourne vers lui,
et je dis : « Hi ! », il me répond : « Hi ! » et nous nous regardons.
Alors je lui tends la main : « My name is Claudine, I’m french » et il me
répond : « Nice to meet you ! ».
Puis il se présente. Jeune, il a été gradé dans l’armée indienne, il est
allé guerroyer au Vietnam, au Laos, au Cambodge, puis il a quitté l’armée
et travaillé pour une association pacifiste, quel parcours ! Contrairement
à la plupart des Indiens il ne parle pas un mélange approximatif de langue
locale et d’anglais, mais une langue parfaite, qui me rappelle celle de
Doctor M.. Je lui en fais la remarque. « Oh !, me répond-il d’une voix
d’une exquise douceur teintée de tristesse, it’s because I am an
anglo-indian ».
Silence compatissant de ma part, les anglo-indiens, je le sais, ont
longtemps eu la vie dure. |
Souvent rejetés par les deux communautés avant
l’Indépendance, leur sort s’est peu amélioré après, même lorsqu’ils sont
fortunés et cultivés, comme ce charmant Monsieur.
Je le lui dis et il approuve.
Nous parlons du temps qui passe et des blessures qui cicatrisent.
Des barrières qui séparent et des portes qui s’ouvrent.
Du parfum du jasmin.
De l’infini plaisir d’être là, ensemble.
Mais la nuit, la nuit tropicale qui tombe si vite, se fait noire et nous
partons demain. Il griffonne son adresse sur une page de mon carnet.
Rendez-vous dans un an.
India, le 28 aout 2006 |
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Vidéo: Chennai Beach - Photos:
Chennai (Madras) - Wedding
in Chennai |
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