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Jayanthi

Je n’ai pas demandé son âge à Jayanthi, mais je pense qu’elle a peu plus de 40 ans. Elle a un joli visage rond qu’éclaire souvent un sourire éclatant et quelques fils blancs adoucissent le noir de la natte qui se balance dans son dos. Tous les matins elle met un sari coloré dont les couleurs claires tranchent sur sa peau brune. Une fois mariées, les femmes doivent porter le sari. Au Tamil Nadu cette tradition semble très respectée, en dehors de Chennai et de Pondichéry les femmes vêtues à l’occidentales sont rarissimes.
A Karaikal seules les jeunes filles (et moi mais je suis excusée) portent l’ensemble kutta (tunique) shawal (pantalon) et dupatta (écharpe). Ce n’est pas seulement la coquetterie, bien qu’elle en soit largement à l’origine, ni le sens du confort qui font que je m’habille toujours ainsi quand nous sommes en Inde, le port de ce vêtement crée entre les femmes et moi un lien immédiat, elles perçoivent une forme de reconnaissance de leur culture qui leur fait plaisir. Parfois elles me suggèrent de mettre un sari, mais elles et moi sachons très bien que se serait une mauvaise idée, seules les femmes indiennes savent le porter, c’est leur vêtement, leur identité, leurs mouvements y sont adaptés, quand elle marchent le pallo (le pan libre) flotte élégamment derrière elles et quand elles travaillent elles le replient vers l’avant et le fixent sur leur ventre dans un repli du tissu. Je suis absolument incapable de me mouvoir avec la même grâce entortillée dans au moins 3 mètres d’étoffe, mes gestes sont trop brusques et mes pas trop grands. Pour une occidentale il faut être Sonia Gandhi pour y parvenir !
Sans en avoir l’air, Jayanthi est une femme étonnamment moderne, non seulement elle travaille, comme prof de maths dans un lycée public, mais de plus son mari, Subramanian, en est très fier. « My wife, me dit-il debout dans la cuisine devant le four à micro ondes, is a working woman », par conséquent, elle n’a pas le temps de cuisiner, donc très souvent ils achètent leurs repas dans des gargotes et ils les réchauffent dans le fameux micro ondes dont il m’explique les multiples avantages.
Tous les jours, une demie douzaine de petites filles et d’adolescentes viennent chez Jayanthi pour des cours de soutien. Elles s’asseyent par terre et penchées en avant, d’une jolie écriture aux lettres bien formées elles s’attachent à résoudre des problèmes ou des équations. Parfois elles psalmodient en chœur des leçons ou des formules mathématiques. Assise au centre Jayanthi vérifie les cahiers, corrige, fait répéter. Notre présence provoque de petits rires chantants et des échanges de regards amusés. Les petites me fixent de leurs grands yeux noirs et vifs, elle m’adressent des sourires d’une gentillesse et d’une fraîcheur incomparables, et je pense une fois de plus que les petites filles sont les plus belles créations de l’espèce humaine, quelque soient leur pays, leur ethnie ou leur religion, elles sont la grâce et l’intelligence, la douceur et le courage, et c’est bien par peur de leur extraordinaire vivacité d’esprit comme de corps que les hommes des religions les plus obscurantistes, relayés par des femmes ayant oublié leur enfance, vont s’acharner à soumettre ces trésors, à les bafouer, à les voiler, à les violer. Quand donc comprendront-ils qu’il serait plus sage pour le bien être de l’humanité entière de les laisser s’épanouir ? Quand donc comprendront-elles qu’il faut lutter de toutes leurs forces pour sauvegarder l’essence même de leur féminité ?
Jayanthi, elle, a su tirer le meilleur de sa situation de femme de brahmane, quand je la regarde je vois en elle une petite fille forte et déterminée, décidée à être heureuse. Elle est la fille préférée de Pandjanadane, il me l’a dit tout de suite, comme il m’a dit aussi que Subramanian est son gendre favori.
Il adore aussi leurs deux filles, Jaya Priya et Jaya Sudha. Priya fait des études d’ingénieur, elle est ronde, dolente et silencieuse, et passe son temps à envoyer et recevoir des SMS, Sudha va au collège, elle a de ravissants sourcils en accent circonflexe et un sourire malicieux, elle aime ses parents, son grand-père, son oncle et écouter des chansons.
Jayanthi est heureuse, je le vois, je le ressens. Le hasard, ou les astrologues, ou les marieuses, ou les familles, allez savoir, lui ont trouvé un mari qu’elle aime, qui l’aime, qui la respecte et ils élèvent leurs filles dans une belle harmonie.
Chapeau !

(... à  suivre)

India, le 5 juillet 2006

Jayanthi et Pandjanadame

Jaya Sudha entre deux copines

Plus de photos: Chez Pandjanadane
   
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Claudine Tissier & Fabio Campo