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Tournez manèges |
En cette fin d’après-midi nous avons rendez-vous avec
Johny et Taoufik. Ils arrivent en moto, têtes nues, le port du casque
étant visiblement facultatif. Nous les suivons en auto rickshaw.
La première étape est chez les parents de Johny où on nous propose du
café et des biscuits. Sa mère est une belle femme, grande et mince, son
père un petit moustachu sympathique. Sous leurs regards ravis Johny nous
montre l’arme avec laquelle il tire et les photos de ses exploits. Avant
de repartir il m’offre gentiment une petite boîte en cuivre incrustée de
verre contenant de la poudre rouge, puis la maman fait comprendre à
Fabio, qu’il doit m’en déposer une trace sur le front.
Maintenant direction la foire. C’est une foire à la fois marchande et
foraine. Comme nous sommes samedi la foule abonde et se presse dans les
allées. A l’intérieur, sous les tentes, il fait une chaleur
invraisemblable et on se bouscule devant les stands : électroménager,
produits de nettoyage, balais magiques, serpillières, râpes à légumes
perfectionnée (j’en ai acheté une, la même, il y a 20 ans dans une
braderie sur la côte d’Azur), vêtements, bracelets, tissus. Bref, une
foire ! |
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Taoufik et Johny avec sa maman et son père |
A l’extérieur se tiennent les manèges et autres
attractions, le clou est une grande roue un peu rouillée et qui tourne
plutôt rapidement.
La foule s’amuse, surtout les enfants et les femmes. Des groupes de
musulmanes cachées sous des burquas noires (brodées de fleurs quand
même, elles n’ont pas complètement renoncé à la coquetterie) poussent
des cris de joie, emportées toutes voiles aux vent dans les dragons
colorés d’un manège.
La nuit est tombée et nous flânons en long moment parmi les odeurs de
pop corn au curry et de barbe à papa, les rires, les éclats de voix et
les rengaines qui s’échappent des hauts parleurs.
Les garçons regardent les filles qui font semblant de ne pas les voir.
Nous rencontrons d’autres élèves du Jamal Mohamed College. |
Entre deux attractions Johny nous parle de sa
girlfriend, elle aurait dû être avec nous, mais quand il est passé la
voir ce matin elle avait de la fièvre, il l’a emmenée à l’hôpital, le
médecin a diagnostiqué une rechute de la typhoïde qu’elle a eu le mois
dernier et elle est partie dans sa famille. Et oui, la typhoïde ! L’Inde
a encore beaucoup à faire sur le plan sanitaire, l’eau est souvent
souillée, les populations mal vaccinées, la nourriture non contrôlée et
les épidémies se répandent comme des traînées de poudre. Les nombreux
hôpitaux récents que l’on voit partout témoignent d’un effort dans ce
domaine, mais la route vers la santé pour tous sera encore longue.
Elle s’appelle Priya, elle fait des études d’ingénieur, elle loge dans
un foyer pour jeunes filles à Trichy car ses parents habitent dans un
endroit éloigné et elle est catholique.
Sachant que dans son College les garçons n’ont aucun contact avec les
filles qui ont cours l’après-midi alors qu’eux- mêmes fréquentent
l’établissement le matin et qu’à l’heure du changement les professeurs
et le personnel d’encadrement veillent à ce qu’aucun mot ne soit échangé
entre les deux groupes, comment Johny est-il arrivé à avoir une copine ? |
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Taoufik et Johny à la foire avec des copains |
En lui souriant dans le bus, en la suivant dans la rue,
en demandant son numéro de téléphone à une de ses amies en lui écrivant
des SMS, en lui faisant dire par Taoufik que si elle rejetait son amour
il ne saurait supporter la douleur de la revoir et disparaîtrait à
jamais de son chemin. Et ça a marché ! Chapeau Johny ! Ils ont des
rendez-vous secrets, ils se promènent dans les jardins sans même se
tenir la main mais faisant des projets d’avenir et j’espère qu’ils
s’embrassent en cachette.
Je demande à Johny : « Ce n’est pas un problème qu’elle soit catholique
? Que vont dire tes parents ? » Il me répond que tant qu’il est étudiant
il ne peut rien leur dire, mais que dès qu’il aura un emploi il leur
présentera Priya. Il dit aussi qu’il n’y aura pas de problème car ses
parents l’aiment et le soutiendront, même s’ils auraient fait un autre
choix. Il est confiant.
Et Taoufik ? Il a aussi une girlfriend Taoufik ? « Oh no !!! » et ils se
mettent tous les deux à rire. Taoufik ne croit pas à l’amour, il
épousera la jeune vierge que ces parents auront choisi pour lui et ce
sera très bien. Je lance : « Et si elle ne te plaît pas ? », et encore :
« Et si elle n’est pas jolie, ou stupide ? » Taoufik sourit de plus
belle et me répond : « It’s impossible », les parents ne peuvent pas se
tromper, les parents ne se trompent jamais, les parents lui trouveront
l’épouse idéale.
J’ai trois enfants, Fabio deux, à nous deux ça fait cinq, voilà qui nous
laisse songeurs !!!
India, le 20 juillet 2006 |
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