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Marie Claire, Inde

Début Juillet, à Chennai, j’avais tenu entre mes mains, le premier exemplaire de Marie Claire Inde, daté de Juin 2006. Poussée par la curiosité je l’avais feuilleté, rapidement j’en conviens. Je me souviens d’un article sur les Japonaises qui payent de beaux mâles vigoureux pour leur défloraison, palpitant et remarquablement bien adapté à la psychologie féminine indienne, et d’une double page, non moins passionnante, sur Karl Lagerfeld. Je m’étais alors demandée combien d’Indiens, sur la bagatelle d’un milliard et cent millions, avaient une idée, même vague, de qui est l’homme au catogan. Par ailleurs qui donc en Inde pouvait bien acheter un canard tellement occidental, stéréotypé et cher ?

Et bien voilà que la réponse à ma question vient de s’asseoir juste en face de moi, dans un wagon plutôt coûteux (dans les wagons économiques les rats font la courses aux cafards, on a du mal à s’y habituer), du train de nuit Ernakulam-Trichy, le magazine sous le bras. Elles sont deux, deux jeunes et jolies femmes vêtues de churindars raffinés et bien coupés. L’une est en jaune, l’autre en gris pâle délicatement brodé.

A peine arrivées dans le train, mécontentes de leurs couchettes, elles ont demandé en anglais à l’employé des chemins de fer de les leur changer vite bien fait. C’est fait, elles sont maintenant en face de moi destinées à s’étendre l’une sur la couchette du haut, l’autre sur celle du bas où elles se sont assises.
Le petit gros à moustaches et lunettes qui somnolait sur la couchette située sous la mienne, se redresse d’un coup, soudain ragaillardi. La jeune femme en jaune m’adresse gentiment quelques mots en français. Nous discutons cinq minutes. J’apprends qu’elle travaille à Bombay, dans une société de design dont elle me recommande le site web et que son amie vient de Bangalore. Le petit gros se frise les moustaches et intervient dans la discussion. Comme je suis au-dessus et qu’ils parlent en très bon anglais la teneur de la discussion échappe malheureusement à mes oreilles curieuses. Mais, les entendant rire, surtout lui, je comprends qu’ils sympathisent.

Dix minutes plus tard, alors qu’ayant renoncé à suivre leur discussion, qui par ailleurs ne me regarde pas, je suis immergée dans l’extraordinaire Bombay parsie de Rohinton Mistry, j’entends les deux jeunes femmes remercier chaleureusement le petit gros à moustache et hop, celui-ci, galant homme, libère sa couchette pour l’offrir à Miss Jaune. Il grimpe ensuite fièrement à l’échelle pour venir, avec le sourire, s’étendre sur la couchette du haut.

Le lendemain matin, arrivé à Trichy, il trotte devant elles et les aide à porter leurs valises.

Nous nous retrouvons tous à la réception du même hôtel. Miss Jaune, sûre d’elle, s’adresse aux employés d’un ton autoritaire, elle veut ci et ça et autre chose. Le petit gros intervient pour transmettre en tamil les propos de l’élégante. Puis il les accompagne à l’agence de voyage où il négocie pour elles la location d’un taxi. La chose faite, un dernier sourire et un hochement de tête (hochement, pas balancement, les Indiens riches ne balancent plus la tête et ne s’asseyent plus sur leurs talons) et les deux belles s’en vont, le laissant, gros nigaud dépité, seul sur le trottoir.

Chapeau les filles !
Vous avez un tout petit peu vengé les Princy.

Attention, je ne veux pas dire que la lecture de Marie Claire permet aux femmes de se libérer de la soumission imposée par le mâle dominateur. Si c’était le cas, ça se saurait.

Mais, pour la première fois depuis que je voyage en Inde, j’ai rencontré des jeunes femmes dont le comportement est différent. Des jeunes femmes qui lisent des magazines occidentaux, qui travaillent dans des sociétés internationales, qui parlent anglais entre elles et qui sont à des années lumières de la petite Mary de chez Rajesh.

L’Inde a un taux de croissance annuel de 8% mais, pour permettre à une élite de s’enrichir encore et encore, 79,9% des Indiens se contentent de moins de deux dollars par jour. Ici et là, la révolte commence à gronder et les terroristes se posent aussi comme sauveurs des pauvres.

India, le 27 aout 2006

   
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Claudine Tissier & Fabio Campo