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Le jeune homme du train |
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Nous allons à Mayanoor, rendre visite à Riaz Ahmed, le
jeune homme du train qui porte doublement bien son surnom car son père
est… chef de gare. Il habite un petit village au bord de la Cauvery, le
fleuve sacré qui traverse le Tamil Nadu et que les hindous considèrent
comme une déesse.
Riaz Ahmed nous attend sur le quai de la gare, il porte les attributs de
quasiment tous les hommes tamils : la moustache et la chemise à
carreaux. Il a un visage rond et sérieux de premier de la classe, ce
qu’il est, comme en témoignent les nombreux diplômes et récompenses
qu’il a obtenus à l’école et qu’il nous montre fièrement. Actuellement
il a 20 ans, il étudie le droit à l’Université de Chennai et nous le
trouvons chez ses parents car il est en attente d’un examen.
La maison est petite et franchement sommaire. C’est un logement de
fonction que son père doit occuper à cause de son emploi de chef de
gare. Il se compose de 2 petites pièces, et d’une cuisine, les toilettes
sont à l’extérieur, dans la cour située à l’arrière. Il y a
l’électricité, mais pas l’eau courante, ni bien sûr de réfrigérateur, ni
de cuisinière. Abida Begam, la maman, cuisine sur un feu de bois dans la
cour.
Sommaire ! |
Riaz Ahmed |
A la place de Sheik Abdullah, le papa, on aurait
démissionné vite fait bien fait, d’autant qu’il possède une grande
maison à Tanjore, dont on nous montre les photos et où vit le
grand-père.
Eux non, ils sont indiens, ils s’adaptent à tout et la petitesse et la
modestie du logis n’ont pas empêché Riaz Ahmed de parler un anglais de
lettré des années 50 (autant que je puisse en juger) et d’être un
brillant étudiant en droit. Basmeer Ahmed, son frère que nous ne
rencontrerons pas, étudie la médecine à Tanjore.
Comme quoi !
Abida Began est une beauté callipyge à la peau très sombre et aux
cheveux crépus qu’elle dissimule en partie sous le pan de son sari. Elle
ne parle pas anglais et paraît peu valorisée.
Sheik Abdullah a un visage rieur et sympathique, il est simplement vêtu
d’un dhoti à carreaux et d’un marcel défraîchi. Il parle bien l’anglais
qu’il a étudié à l’université, il sort de l’armoire un diplôme en
sciences du cinéma et vidéo, en ce moment, comme passe temps, il étudie
la sociologie. Il n’a pas choisi d’être chef de gare, c’est son père qui
le lui a imposé afin de suivre la tradition familiale, lui-même ayant
été employé au chemin de fer du temps des anglais.
Le grand-père est le héros de la famille, il vit à Tanjore, dans la
maison neuve alors que la grand-mère, une créature effacée et très mal
en point qui peut à peine marcher, passe le plus clair de son temps à
somnoler assise à même le sol dans le recoin le plus sombre de la maison
de Mayanoor. Comme la mère elle est de toute évidence un personnage
secondaire.
Par contre, Riaz Ahmed et Sheikh Abdullah sont intarissables sur le
grand-père qui est un érudit. Il parle, lit et écrit 12 langues, langues
utilisées en Inde, comme l’hindi, l’ourdou, le télougou, le malayalam,
mais aussi l’arabe, l’anglais et il est capable de lire en latin. Il vit
seul et consacre son temps à la prière et à l’étude. Visiblement la
famille est très religieuse.
Je demande à Riaz Ahmed, s’il choisira lui-même sa future épouse où s’il
laissera ce soin à ses parents. Il répond sans hésiter qu’il obéira aux
vœux de son père. J’insiste et je demande à Sheikh Abdullah qu’elle
serait sa réaction si l’un de fils souhaitait (un coup de folie) épouser
une jeune fille d’une autre confession. Il me répond en souriant « Pas
de problème, il suffit qu’elle se convertisse !». |
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Nous déjeunons chez eux, tous ensemble (sauf la
mère qui fait le service et la grand-mère qui mange dans son coin)
assis sur une natte et avec les doigts malhabiles, car peu habitués
à l’exercice et répugnant à s’enfoncer dans le riz baigné de sauce,
de notre seule main droite.
Puis Riaz Ahmed nous montre sa collection de timbres, nickel, bien
rangée, bien classée, et sa collection de devises. Il a des billets
rares et anciens. Fabio est ravi, il se revoit petit garçon classer
ses timbres sur la table de la cuisine.
Et moi je pense que lorsque j’étais enfant, au début des années
soixante, dans ma commune berrichonne, tout le monde n’avait pas
l’eau courante et l’électricité, les fermes les plus reculées en
était privées, et mon père a mis son point d’honneur de Maire à
faire en sorte que tous puissent en disposer. |
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Abida Begam |
la grand-mère |
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Nous repartons en milieu d’après-midi après avoir eu une très intéressante
discussion sur l’Inde et son avenir avec notre ami et son père. Tous les
deux sont intelligents, cultivés et ouverts, quoique très attachés aux
traditions. Dans le train qui nous ramène vers Trichy, je repense à mon enfance, à
ces sombres et sales maisons de paysans, à leurs étables crasseuses
imprégnées d’odeur de purin, et à moi, timide et maigrichonne, mon pot
au lait à la main, attendant, le plus loin possible des grosses vaches
dont j’avais tant peur, que la fermière veuille remplir mon pot.
Je pense à mes rêves de petite fille et à la joie de Fabio devant les
timbres bien classés du jeune homme du train, et je me dis que l’Inde,
ensorcelante, nous rend notre enfance.
Nous sommes à nouveau deux gamins, deux gamins qu’un rien amuse, deux
gamins qui se tiennent par la main pour traverser la route (en Inde
c’est une opération périlleuse !), deux gamins amoureux avides de découvrir
le monde des autres, et qu’est-ce que c’est bien !
India, le 18 juillet 2006 |
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Sheikh Abdullah et Abida Begam |
Plus de photos:
Riaz Ahmed |
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