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L’histoire de Doctor M. |
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Doctor M. est à la retraite, avant il était médecin
anesthésiste, aujourd’hui il habite à Calicut, la ville de sa naissance
et, nous précise-t-il immédiatement une « house keeper » veille à la
bonne marche de sa maison.
Il se souvient avec émotion du temps béni de son enfance quand les
Anglais régissaient le pays. Comme Calicut était belle en ce temps là !
On n’y souffrait d’aucuns des maux actuels : corruption, vulgarité,
égoïsme, communautarisme, horribles constructions urbaines, délinquance
et autres plaies suppurantes dans lesquels les Indiens, ignares et
paresseux, se complaisent.
A peine fût-il ordonné Docteur en médecine par la faculté de Madras que
son père, un riche médecin hindou, le mit dans un bateau en direction de
la terre promise : la mythique Angleterre.
Il débarqua sur le sol britannique le cœur gonflé de joie et d’espoir
bien décidé à y exercer sa profession. Mais son bonheur n’était pas tout
à fait complet. Bien que plaisant, ordonné et verdoyant le pays ne
répondait pas tout à fait à ses attentes, il manquait quelque chose, le
petit rien qui rend la vie si belle.
Puis ce fut le coup de foudre, instantané et éternel, dès l’instant où
il la foula de son mocassin bien ciré Doctor M. sut qu’il avait trouvé
sa terre : la riante Ecosse. |
Doctor Menon |
Ah ! Les pubs où l’on écluse en joyeuse compagnie
d’innombrables chopes de bière et godets de whisky, où l’on chante et
l’où l’on danse, où l’on s’amuse des heures durant tandis qu’au dehors
une brume glacée se répand dans les rues.
Connaissons-nous l’Ecosse ? Très peu malheureusement. Comme c’est
dommage nous assure-t-il, le regard vague, c’est le plus bel endroit du
monde.
Lui s’y est installé avec bonheur, y a découvert Elvis Presley et trouvé
femme. Une grande et belle infirmière brune dont le père, mineur,
partageait avec le jeune docteur un net penchant pour la bière fraîche,
dorée, mousseuse, qui ruisselle dans la gorge, emportant sur son passage
tous les soucis quotidiens. |
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Je demande : « Et vos parents ? Comment ont-ils réagi à
l’annonce de votre mariage ? »
Et lui, l’œil malicieux, nous explique qu’il s’est marié en Ecosse, sans
rien dire à ses parents. Puis il leur a envoyé une lettre disant
simplement : j’arrive dans une semaine avec ma femme.
Et alors ?
Et alors son père leur a ouvert ses bras et dit « God bless you »
Et votre mère ?
Elle a détourné le regard, elle est sortie de la pièce, elle a nié
jusqu’à son dernier souffle l’existence de cette bru à la peau blanche.
Je dis « Oh ! C’était à cause de la différence de religion ? »
« - Foutaises, il n’y a qu’un Dieu. Je suis né hindou, mais il n’y a
qu’un Dieu et je le prie chez moi. » Là-dessus il se lance sur une
longue diatribe dans laquelle il se demande pourquoi il faut enlever ses
chaussures pour prier dans certains lieux de culte et pas dans d’autres.
Foutaises ! (Ou quelque chose d’approchant que je ne comprends pas tout
à fait).
Peu lui importait l’insensibilité de sa mère, il est retourné en Ecosse
couler de joyeux jours paisibles et arrosés en compagnie de sa belle.
Une jolie petite fille est née qu’ils ont nommée Sujata en souvenir
d’amis.
Puis le temps est passé et a emporté la belle dans un cercueil plombé.
Puis un grave accident l’a immobilisé de longs mois.
Puis il a pris sa retraite. |
Le Doctor Menon avec sa femme et sa fille Sujata |
Il est revenu à Calicut, Sujata est restée en Ecosse.
Elle est devenue hôtesse de l’air, chef de cabine, elle parle neuf
langues, nous dit son père emplit de tendre fierté. Elle lui téléphone
tous les jours. Elle a acheté une petite maison non de loin de chez lui,
elle vient de temps à autres. Elle va bientôt se marier, avec, quelle
coïncidence, un joueur de l’équipe nationale italienne de rugby qui
habite à côté de Parme, à cent kilomètres de chez nous.
Je lui demande s’il est content d’être revenu vivre en Inde.
Sa réponse fuse : « Oh no, no, no ! »
Alors, pourquoi ne va-t-il pas vivre en Ecosse, près de sa fille?
Impossible, ici à Calicut il a des biens à faire fructifier, et s’il ne
les surveille pas savoir de quoi les fainéants qui sont supposés les
gérer seraient capables. Mais il va souvent en Ecosse, il a une maison
là-bas qui l’attend.
Nous lui demandons s’il veut que nous lui posions quelques questions
pour notre documentaire. Il accepte avec enthousiasme et nous propose de
venir chez lui. Mais avant dit-il, il doit téléphoner à sa « house
keeper ». Il tente de nous expliquer pourquoi c’est important mais
est-ce l’effet des deux bières et du whisky qui a gâté son élocution ou
celui de la chaleur qui a ramolli nos esprits, toujours est-il que
l’explication nous échappe.
Mais je crois avoir compris quelque chose : la « house keeper » n’est
certainement pas un personnage secondaire.
(… à suivre)
India, le 3 aout 2006 |
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