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Jour de repos à Calicut |
Jour de repos à Calicut. Doctor M. et Baby passeront nous prendre ce
soir en taxi pour dîner ensemble.
Avant l’aube le chant du muezzin m’a tiré du sommeil. L’incantation n’a
rien de doux ni de mélodieux, c’est une litanie gutturale et heurtée qui
troue la nuit et contraint le musulman à s’agenouiller, le visage contre
le sol et l’arrière train pointant vers le ciel, dans une position de
totale soumission, qui vu de l’extérieur paraît à la limite du ridicule.
Les rites religieux, quelque soit leur étiquette, me sont impénétrables.
Sur la promenade du bord de mer, que je regarde de la fenêtre de ma
chambre, des silhouettes se profilent dans l’obscurité. Ce sont les
marcheurs du matin. |
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Il ne sont encore peu nombreux mais au fur à mesure que la nuit se fait
moins dense et que le soleil se lève leur nombre augmente. Ils marchent,
vite. Les premiers sont les musulmans, à peine finie la première prière
ils s’attaquent, l’âme en paix, à l’entretien de leurs corps en
parcourant la promenade d’un pas vigoureux. Je distingue même parmi le
flot quelques burquas chaussées de tennis. Puis arrivent tous les
autres, les hommes en lunghi long ou court que j’appelle les hommes en
jupette (le lunghi est, comme le dhotti un tissu que les hommes
s’enroulent autour de la taille), les femmes en sari ou en ensemble
shalwar, des jeunes, des moins jeunes, en silence, ils marchent.
Parfois l’un d’entre eux s’arrête et effectue face à l’océan quelques
mouvements de gymnastique.
Certains marchent seuls, d’autres en couple, entre amis ou en famille.
La promenade n’étant pas très longue je les vois passer et repasser
devant ma fenêtre.
Le jour se lève à toute vitesse. Au fur à mesure que la chaleur augmente
la promenade se vide de ses marcheurs et moi, qui n’ai rien à faire de
la journée, je retourne me coucher.
Plus tard il fait beau et nous marchons dans la ville. |
Sur la plage de Calicut |
Le temps se couvre, nous rentrons à l’hôtel. C’est l’après-midi, la
promenade est à nouveau animée. De jeunes couples d’amoureux, assis sur
le muret face à l’Océan, roucoulent à bonne distance l’un de l’autre.
Les embrassades publiques ou autres démonstration de tendresse, sont non
seulement mal vues, mais interdites. Tout au plus les tourtereaux
peuvent-ils se tenir par la main, et encore faut-il qu’ils soient mariés
ou en passe de l’être.
Le ciel est désormais sombre. L’humidité et la chaleur sont telles qu’on
a l’impression d’être prisonnier d’une éponge géante imprégnée d’eau
tiède.
Puis une vague de fraîcheur annonce la pluie. Une fine brume s’étale sur
la promenade et le vent se lève. Les promeneurs se dispersent, cherchant
à s’abriter sous les arbres et les auvents des boutiques.
Et le ciel se vide, l’eau ruisselle, frappant violemment les vitres de
la chambre, renversant les chaises de la terrasse jardin du restaurant,
cassant des branches des arbustes.
A six heures Doctor M., très élégant, en chemise rose, pantalon bien
coupé et mocassin et Baby, couverte d’or, superbe dans un sari en soie
rose nous attendent à la réception. |
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Sur la plage de Calicut |
Baby et les deux filles |
Doctor M. nous explique qu’avant de dîner Baby
aimerait que nous rendions ensemble visite à une amie dont les
enfants seraient heureux de nous rencontrer.
Elle habite une toute petite maison sombre enfouie sous les
palmiers. Le mobilier est pauvre et sommaire. L’amie de Baby est une
jolie jeune femme et ses deux filles sont absolument ravissantes.
Mais timides, elles se cachent l’une derrière l’autre en nous
dévorant de leurs grands yeux sombres. « C’est la première fois
qu’elles voient des occidentaux » nous dit Doctor M.
Dans cette humble maisonnette Baby semble chez elle. Elle plaisante,
prend affectueusement les filles par le cou. Je ressens toute la
tendresse qu’elle leur porte. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai
l’intuition que le père n’est pas là, peut-être, comme des milliers
d’hommes kéralais travaille-t-il dans un pays du golf, peut-être
est-il parti ou mort (ou peut-être que je me trompe complètement).
Quoiqu’il en soit Baby veille. Dans le meilleur restaurant de la ville, ambiance
feutrée, orchestre indien, mobilier raffiné, nourriture délicieuse,
quoique extrêmement pimentée, nous parlons de l’Italie ou ils
viendront bientôt assister au mariage de Sujata. Nous les invitons à
nous rendre visite, nous pourrions aller ensemble à Venise ou à
Florence. Et je les imagine, lui qui pourrait presque passer pour un
Italien raffiné (ou pour un Anglais trop bronzé) et elle,
majestueuse comme la caravelle de Vasco de Gama, dans un sari
soyeux, déambuler dans les rues de Venise ou siroter un verre de
vodka sur la Place Saint Marc.
Namastè Doctor M.
Namastè Baby.
India, le 5 aout 2006 |
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Plus de photos:
Doctor Menon et
Calicut |
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