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Une journée à Mysore |
La journée à Mysore commence sous de mauvais auspices.
Nous avons mal dormi, Fabio à cause de la présence indésirable d’une
multitude de petits cafards dans notre chambre et moi à cause du chicken
Masala de la veille qui m’est resté coincé sur l’estomac.
Le petit déjeuner n’apporte malheureusement pas le réconfort souhaité.
Le jus d’ananas est pisseux, les toasts caoutchouteux, le beurre limite
rance et la confiture comme ailleurs c'est-à-dire rouge, gélatineuse et
sans saveur. De plus le serveur a oublié les tasses et nous devons
attendre un bon quart d’heure, pendant qu’un café au lait clairet se
fige dans son pot, pour les obtenir. Je chasse tant bien que mal de mon
esprit une vision de croissants, de café noir et de baguette
croustillante, et m’efforce de trouver quelque attrait au breuvage
désormais froid qui est posé devant moi.
Après une douche dont la température est impossible à régler, ou froide
ou bouillante, nous partons à la découverte de la ville. Nous avons
réservé la visite du Palais pour la fin de l’après-midi. Ancienne
résidence des Maharadjas, la splendeur de son architecture
indo-sarrasine domine la ville. |
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Nous prenons la direction du marché. J’adore les
marchés, je peux y rester des heures et en tirer toutes sortes de
réflexions: sur le mode d’alimentation des habitants de la ville, sur
l’état de leurs finances, sur le choix et le prix des aliments proposés.
De plus comme ce sont généralement les femmes qui font les courses, les
observer choisir les fruits et les légumes et négocier âprement les
prix, superbes dans leurs saris aux couleurs éclatantes, les cheveux
embaumant le jasmin frais du matin, est un véritable plaisir qui procure
aussi à Fabio l’occasion de filmer et de photographier.
Il fait beau, la température est agréable et les enfants qui vont à
l’école vêtus de leurs uniformes à l’anglaise (shorts longs, jupes
plissées, cravates, chaussettes blanches plus ou moins bien tirées) nous
nous crient « Hello ! Hello ! Wherrre do you come frrrom ? ». Notre
humeur commence à s’améliorer.
Pas pour longtemps. Au coin de la rue, une bande de jeunes adolescents
attend visiblement l’arrivée des touristes occidentaux qui viennent en
grand nombre à Mysore pout visiter le palais.
L’un d’entre eux se jette sur nous, après l’habituel questionnaire :
whats-yourrr-name-wherrre-do-you-come-from il continue avec les trois
mots de français dont il dispose :
« - Vieux marché, aller vieux marché ? »
Quel vieux marché ? Méfiance ! Il insiste :
« - Vieux marché, old market, moi accompagner, viens, viens ! ». Nous
déclinons aimablement sa proposition. Il persiste, attrape familièrement
Fabio par le bras et essaie de toucher l’appareil photo, tout en nous
criant dans les oreilles :
« - Moi pas guide, moi pas guide ! » |
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Agacée je lui lance :
« - École ! School ! Si toi pas guide toi école ! »
Il s’arrête net, la mine offensée et me rétorque :
« - Pas école, no school, festival, festival !! ». Ce qui est bien
évidemment un mensonge éhonté. Comprenant que sa cause est mal engagée
il se met à débiter des expressions françaises plus ou moins raffinées
que des touristes peu scrupuleux lui ont enseignées. Comme nous nous
éloignons à grands pas pour nous débarrasser de lui il termine sa tirade
par sa tirade par un « hou la la ! » moqueur.
A peine libérés de celui-ci il en arrive un autre, puis un autre et
encore un autre et encore un autre, toujours aussi collants et proposant
la visite du vieux marché, qui comme nous finissons par le comprendre,
n’en est pas un mais une fabrique d’encens qui utilise ces gamins comme
rabatteurs.
Résultat, attirés par le gain de nombreux garçons de la ville ne vont
pas à l’école et aucune structure officielle ne veille à empêcher ce qui
est finalement un travail. |
Le travail des enfants est une des nombreuses plaies de
l’Inde, occupés à tisser, à laver, à porter, à vendre, à fabriquer, des
milliers d’entre eux souffrent en silence.
Au Tamil Nadu je ne connais pas le taux de scolarisation, mais dans la
journée on voit peu d’enfants dans les rues, ils sont à l’école. Au
Kerala, je sais qu’il est le plus élevé du pays, environ 95%, avec
égalité entre les filles et les garçons. Ici au Karnataka, il doit être
beaucoup plus bas, comme celles de Bangalore, les rues de Mysore sont
pleines de gamins employés à d’humbles tâches.
Le marché est magnifique, mais truffé de rabatteurs, adultes ou enfants,
ou de vendeurs qui tentent à tout prix (je dirai mieux, à n’importe quel
prix !) de nous vendre n’importe quoi. C’est fatiguant et ça n’arrange
pas mon humeur.
Le passage massif des touristes engendre toutes sortes de comportements
basés sur de fausses espérances. Perçu comme un portefeuille ambulant
l’occidental est une ressource quasi naturelle dont il faut absolument
extraire un maximum de roupies, au détriment de toute autre activité.
Plus loin une fillette titube sous le poids d’un énorme plateau de
jasmin. |
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Vers 15 heures nous partons vers le Palais. En chemin
un chauffeur d’auto rickshaw nous interpelle. Tout sourire il nous
explique que le Palais n’est pas encore ouvert, aujourd’hui,
exceptionnellement, il n’ouvre qu’à 18 heures parce que c’est « festival
day » mais que lui, en attendant se ferait un plaisir de nous
accompagner au « Old market ! », ou, si nous en exprimons le désir dans
un Emporium (magasin) ou nous pourrons nous livrer à la frénésie
acheteuse qui caractérise les westerns people que nous sommes.
Le coup du « Festival day » et du « old market » on nous l’a déjà fait
ce matin, ça agace !
Nous nous défaisons non sans peine de son baratin et continuons notre
chemin jusqu’au Palais qui est bien sûr… ouvert !
Ouvert et bondé, on n’en visite qu’une partie, coincés entre deux rangs
de corde, et au milieu d’indiens venus admirer sans rancune la splendeur
des exploiteurs de leurs ancêtres. Sans le labeur acharné de milliers de
paysans les excentriques Maharadjas de Mysore auraient bien eu du mal à
financer leurs folies.
Le Palais est grandiose. Il resplendit d’or et d’éclats de verre
colorés. Des galeries finement ciselées, autrefois réservées aux femmes,
surplombent des salles d’apparat dont les colonnades turquoise,
reflétées par de grands miroirs muraux, semblent infinies.
Je me laisse prendre par la beauté des lieux mais Fabio, qu’on a privé
de l’usage de sa caméra ET de son appareil photo (interdits) traîne des
pieds et ronchonne que bon, d’accord, c’est pas mal, mais que ça n’a
rien, mais alors rien à voir avec les somptuosités de la Renaissance
italienne.
Devant les grilles du palais, un groupe de touristes occidentaux
s’émerveille devant le charmant spectacle d'une petite fille
maigrichonne vendant des tresses de jasmin. Ces dames, la mine
attendrie, se font photographier avec la fillette, tout le monde rit et
s’esclaffe. Une grande bringue en short lui achète royalement pour 5
roupies de fleurs. Ils s’en vont en agitant la main et la petite fille
les suit d’un regard un peu dépité.
De toute évidence l’idée que leur attitude favorise le travail des
enfants ne les a pas effleurés. Ils sont touristes, ils sont riches, je
crois qu’ils auraient tout aussi bien fêté un petit singe.
La journée se termine, finalement ce sont les touristes qui m’ont le
plus agacée. La magie de l’Inde joue à nouveau et je sais très bien que
le plus dur dans ce voyage, sera sa fin.
India, le 1er aout |
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Le Palais de Mysore |
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