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Le tournoi de Volley

Un généreux, et sportif, donateur italien avait exprimé à Valeria son désir de sponsoriser des équipes de volley dans les villages les plus pauvres afin d’occuper les adolescents, de les distraire de l’ennui, de leur inculquer des règles simples, et, éventuellement, de leur ouvrir, par le biais du sport, de nouveaux débouchés. Quatre terrain ont été aménagés et quatre équipes formées, trois au Kerala et une au Tamil Nadu. Aujourd’hui, pour la première fois, l’équipe de Pozhiyoor reçoit l’équipe tamile. L’enjeu est d’importance.
Pozhiyoor est un village de pêcheurs, tellement pauvre que le reste de l’humanité semble l’avoir oublié. Les petites maisons aux murs sales n’ont pas l’eau courante, et les femmes remplissent leurs amphores en plastique coloré aux différents points d’eau. Bien sûr les habitations n’ont pas de sanitaires et Namaste a fait construire des toilettes et bains publics car les indiens se lavent continuellement. En ce qui concerne leurs corps ils sont d’une extrême propreté, même si leurs vêtements sont tachés ils sont toujours lavés de frais.

Le village de Pozhiyoor

Je me souviens, quand j’étais enfant, des écœurantes odeurs corporelles, des relents de crasse qui remplissaient les maisons des plus pauvres fermiers de mon village berrichon. Rien de tel ici. L’intérieur sombre des habitations ne sent ni le vieux caca ni la graisse refroidie, il faut dire que souvent les femmes cuisinent dehors, à côté de la porte, sur un feu de bois, la casserole en équilibre sur trois pierres. Les besoins naturels se font dans la nature, les hommes déposant leurs étrons n’importe où et les femmes, pudiques, dans un espace réservé.
La plupart des maisonnettes sont en dur, mais il reste encore des huttes de palme à l’orée du village. Le gouvernement avait accordé un terrain aux plus pauvres mais celui-ci étant en permanence inondé durant la mousson les constructions n’avaient jamais commencé et ceci pendant des années. Les nouveaux propriétaires du terrain sont restés entassés dans leurs huttes, à deux pas de là où ils auraient dû avoir des maisons de briques.

Jusqu’au moment où Valéria s’est avisée que le terrain voisin, propriété de la paroisse et de nature semblable, avait été comblé avec du sable ce qui avait mis fin au problème de l’eau. Personne avant elle n’avait eu l’idée, pourtant simple et évidente, d’appliquer le même traitement à l’espace réservé au futur lotissement. Depuis le terrain a été comblé et les maisons sont en construction, financées en partie par Namaste et en partie par l’église.
L’église, qui se dresse fièrement sur le sable, en concurrence directe avec la mosquée voisine et le temple hindou, paraît par contre nettement moins pauvre que le village. Elle est tenue par un jeune et fringant curé, qui, malgré sa beauté, a un je ne sais quoi dans l’expression et les attitudes qui ne me plaît guère. Il est le maître de cérémonie car propriétaire du terrain de volley. C’est lui qui nous accueille en compagnie de quelques autorités locales.

Le terrain de volley à coté de l'église

Avant le début du match nous défilons devant les joueurs pour leur serrer la pince, de manière tout à fait officielle et sous les applaudissements du public.
Côté kéralais, c’est une équipe de bric-à-brac, jambes courtes, musclées ou tordues, épaules étroites, tenues rouges trop grandes et sourires éclatants dans des visages hétéroclites et enthousiastes.
Coté tamil, belles tenues orange, longues jambes, épaules carrées et sourires non moins éclatants dans des visages concentrés. Valeria nous explique que, dans leur village, le terrain de volley étant situé juste à côté d’une école privée, les joueurs viennent de familles beaucoup plus fortunées. La différence entre les deux équipes est flagrante. Les tamils sont venus pour gagner et ils gagnent malgré une belle défense des rouges encouragés par les cris du nombreux public, masculin, venu assister au tournoi.
Masculin ? Presque, mais pas tout à fait car, seule au milieu des hommes, Suzanna Ma joue des coudes pour parvenir jusqu’à nous.

Le curé entre Valeria et moi

Nous l’avions connue l’année dernière car elle était « aya » (servante, aide maternelle) à l’école maternelle Namaste du village et nous avions sympathisé avec cette forte femme au verbe haut et au rire éclatant, bien différente de ses discrètes et soumises consœurs. Mais un an les choses ont changé, après avoir martyrisé la maitresse d’école au point de l’envoyer à l’hôpital et commis d’autres indélicatesse envers Namaste, elle a été licenciée par Valeria. A regret, nous confie cette dernière qui a un faible pour les femmes qui marchent la tête haute. Car elle est fière Suzanna Ma et ne baisse pas les yeux, même lorsqu’elle pleure et supplie. Sa vie ? Un mari qui la frappe avant de l’abandonner (peut être en a-t-il eu marre qu’elle lui rende ses coups en hurlant à la cantonade) avec deux enfants que, désormais, elle élève seule, par tous les moyens, y compris en louant sa maison à des couples illégitimes et semble-t-il en monnayant parfois ses charmes.
Namaste lui donne un travail et une maison, à peine installée elle s’endette jusqu’au cou pour en acheter une autre. « Pour la dot de ma fille » dit-elle. La jalousie grandit chez les villageois qui grognent à l’injustice. Pourquoi tant de faveurs pour cette créature de mauvaise vie ? Valeria tient bon, jusqu’au moment où Suzanna Ma dépasse les bornes et mérite son licenciement.
La voilà qui se lamente et fait mine de pleurer, le visage tordu et l’œil sec « You are my mother, you are my mother » répète-t-elle à Valeria. Elle explique que sans travail elle n’a pas d’argent pour payer son crédit. « Vend ta maison », lui répond Valeria en s’engouffrant dans la voiture. Une foule d’hommes aux regards hostiles se presse autour de la rebelle, de celle qui ne joue pas le jeu de la soumission.

Sur le trajet du retour je m’inquiète de cette hostilité. Valeria dit qu’il ne lui arrivera rien, elle sait se défendre, mais Namaste ne peut plus l’aider, se serait injuste vis-à-vis des autres, elle a franchi les limites en maltraitant la maitresse et c’est évidemment inexcusable.

Le soir je pense encore à elle qui se bat comme une lionne dans cet univers désolé où les hommes s’accrochent à leur dérisoire pouvoir.

India, le 21 aout 2006

(… à suivre)

Suzanna Ma

Vidéo: Les enfants de Namaste - Photos: Namaste: Les Photos
Site Web : www.namaste-adozioni.org
   
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