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Jour de fête |
15 août, fête de l’Indépendance. Il y a 59 ans les
Anglais ont plié bagages, embarqué sur des paquebots et quitté à regret
le sous continent. Avant de partir, incapables de faire entendre raison
à l’inébranlable Jinnah, le père du Pakistan, ils avaient chargé un
obscur géomètre, fraîchement débarqué de la perfide Albion, de tracer la
frontière entre les deux nouveaux états souverains. D'un trait de crayon
l'homme coupa des villages en deux, sépara des familles et des
communautés. Quand sonna l’heure
de la liberté des millions de musulmans se précipitèrent en train,
camion, voiture, charrette, vers le Pakistan. Ils croisèrent sur leur
route d’immenses foules d’hindous et de sikhs qui effectuaient le chemin
inverse.
Tous, la peur au ventre.
Et ce fut le carnage. Des milliers de morts. Des hommes exécutant leur
femmes et leurs filles, d’un coup de sabre ou de poignard, pour ne pas
qu’elles subissent les outrages des mâles de l’autre camp. Des enfants
abandonnés. Des villes entières livrées aux flammes. Des pillages. Des
viols. L’horreur.
Le sang a séché.
Le temps est passé.
Aujourd’hui toute l’Inde fête fièrement le jour de l’Indépendance. |
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Et nous, avec Valeria et Thomas, nous partons célébrer
la liberté à Pozhiyoor, où les autorités locales et le curé, décidément
sportif, ont organisé un tournoi de foot.
Sur place nous retrouvons Eran, un grand et silencieux Israélien aux
yeux bleus qui veut créer sa propre « House Family » sous la houlette de
Namaste.
Le curé, robe au vent, nous accueille devant l’inévitable école privée
catholique du village, juste derrière l’église, comme il se doit. Les
enfants sont alignés dans la cour, prêts pour les discours et les
chants. Pas de chance, il se met à pleuvoir et une opération de repli
est improvisée dans une grande salle judicieusement munie d’une petite
scène. Il va sans dire que nous y prenons place en compagnie du curé.
Discours. Chants. Arrivée d’un Gandhi de onze ans, plus vrai que nature
derrière ses lunettes rondes, et d’un Nehru du même acabit, calotte en
papier blanc et longue kurta, entourant une charmante petite Inde fardée
comme une poupée. |
Là-dessus mes compagnons de scène m’abandonnent : Fabio pour aller filmer
et Valeria pour papoter avec Eran. Etant désormais la seule personnalité
occidentale disponible, c’est à moi que revient l’honneur de distribuer
des prix aux élèves les plus méritants. Encouragements et serrements de
mains. Le curé, qui, je ne sais toujours pas pourquoi, m’agace, hoche la
tête et fronce le sourcil.
La cérémonie terminée nous voilà embarqués dans l’inévitable défilé de
fête nationale. Les enfants agitent des petits drapeaux, des groupes
d’hommes se joignent au mouvement, les femmes nous sourient sur le pas
de leurs portes et il tombe une petite pluie traîtresse et même pas
chaude. |
Interminable le défilé. Tout ça pour arriver dans un no
man land d’une tristesse absolue, boueux, jonché de détritus, puant la
crotte, sur lequel on a aménagé le terrain de foot.
Le tournoi va-t-il commencer ?
Apparemment non car le curé nous explique que nous devons retourner à
l’église. Patience et chemin inverse. Les hommes qui nous emboîtent le
pas, les femmes qui nous sourient sur le pas de leurs portes, les
enfants qui nous crient « Hello, wheerredoyioucomefrrrom –
whatsssyiuorrrmaime ? ».
En chemin nous faisons un détour par le village de huttes, une grande
partie de celui-ci sera bientôt détruite car les maisons financées en
partie par Namaste sont en construction. Sur le seuil d’une cabane un
couple appelle Valeria. Ils sont très pauvres. Grâce à Namaste la femme
vient d’être opérée du dos, mais l’homme est malade, il ne peut pas
travailler et ils doivent faire face à d’autres problèmes insolubles. Je
ne comprends pas bien de quoi il retourne. Nous continuons notre chemin. |
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Retour à l’église. Le curé nous fait rentrer dans le
presbytère (ou la sacristie, va savoir !). L’homme de la hutte est à
nouveau là, avec son fils, un bambin d’une dizaine d’années. Il supplie
le curé qui visiblement ne veut rien savoir car il ouvre ostensiblement
un journal et se met à lire. L’homme s’adresse alors à Valeria, Thomas
traduit. Il a un urgent besoin d’argent. Peu à peu je reconstitue
l’histoire. La construction des maisonnettes est en partie financée par
l’église et Namaste, mais les nouveaux propriétaires doivent en payer
une part. Cet homme a déjà réglé l'essentiel de la somme, mais il
doit encore donner 4000 roupies (75 euros) au curé, il ne les a pas et
le digne représentant de la charité chrétienne refuse d’attendre. Si
l'homme ne paie pas il perdra ses droits sur la maison.
Atteint de tuberculose il est maigre, sa voix rauque et son
souffle difficile, il tremble. Au nom de Namaste Valeria décide d’aider
l’homme, nous vidons nos porte-monnaie pour réunir la somme. Elle tend
l’argent au curé qui l’empoche sans un mot ni un regard pour l’homme
dont le visage émacié s’est éclairé d’un sourire. |
Arrive un autre officiel qui nous enjoint de retourner au stade. « Again
?!! » s’exclame Valeria.
Et oui, again ! Cette fois en compagnie des joueurs de foot. Les hommes
grossissent les rangs, les femmes sur le pas de leurs portes rigolent de
nous voir passer une troisième fois et même les enfants renoncent à nous
interpeler. Par contre il pleut encore et toujours.
Au stade, suivant un rituel désormais rôdé, nous défilons devant les
joueurs pour leur serrer la paluche et les encourager.
Le coup d’envoi du match est donné, Arsenal en maillot rouge affronte le
Lazio en blanc et azur.
Et nous, trempés, en catimini et accompagnés d’Eran, le grand Israélien
aux yeux bleus, nous nous enfilons dans notre macaroni que Sheebu a eu
la bonne idée de conduire jusqu’au stade.
En route vers Poonthura !
(… à suivre)
India, le 23 aout 2006 |
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Vidéo: Les enfants de Namaste -
Photos:
Namaste: Les Photos |
Site Web : www.namaste-adozioni.org |
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