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Une journée avec Sasikala

Nous partons au Tamil Nadu pour la journée. Dans Macaroni : Valeria, Rama, Sasikala et nous. Objectif : inspection par Sasikala de l’école maternelle, négociations en vue de l’achat d’un terrain pour la construction d’un dispensaire et visite du tout nouveau village des intouchables. Du chappatti sur la planche !
Notre destination est seulement à une centaine de kilomètres, mais vu l’état des routes (nids de poules géantes, vaches vagabondes, bus déjantés, camions poussifs) il faut compter deux bonnes heures de trajet dans la chaleur et l’incessante rumeur des klaxons (tuuuuuuuut ! pouet pouet ! tou-tou-toum tou-tou-toum). Mais Sasikala s’en fiche, une journée au Tamil Nadu, c’est partir en vacances.
Si l’on considère les exigeants canons de beauté occidentaux on dira que Sasikala a une dizaine de kilos en trop, pour les canons indiens, par contre, elle est superbe. Grande, la démarche fière, le pan du sari flottant dans son dos, quelque chose en elle vibre que d’autres n’ont pas, ce doit être la grâce. Mais au-delà de sa beauté, sa vivacité d’esprit fascine. Valeria dit d’elle qu’elle est la femme la plus intelligente qu’elle connaisse, celle dont la réflexion est la plus proche de la pensée occidentale.
Pourtant sa vie n’est pas une partie de plaisir.




Née hindoue dans une famille de caste supérieure mais peu argentée, son père meurt quand elle est enfant. Grâce à de nombreux efforts et sacrifices de la part de sa mère Sasikala parvient à étudier et devient enseignante dans une « English medium ». C’est alors que l’amour se manifeste sous la forme d’un chauffeur de bus scolaire catholique. Qu’à cela ne tienne Sasikala est un être libre et le mariage, contre vents, marées, pressions familiales, anathèmes religieux, poids des traditions et qu’en dira-t-on, se fait. Elle se convertit au catholicisme, « Mais, dit-elle, dans mon cœur je suis hindoue ».
Hélas, parfois la chance ne sourit pas aux audacieuses, et le chauffeur de car catholique se révèle être un piètre mari, jaloux, possessif, violent. Sans parler de la belle famille, la belle-mère acariâtre, le beau-père alcoolique. Trois médiocres qui se sont acharnés contre elle pour la soumettre, pour éteindre le feu de joie qui brûle en elle.

 

En Inde, les femmes ne divorcent pas, surtout si, comme Sasikala, elles ont deux enfants. Elles s’adaptent et souffrent en silence.
En rencontrant Valeria, qu’elle a aidée à créer Namaste, un espace de liberté s’est ouvert à elle. Bien qu’irascible et d’une jalousie maladive le mari, intéressé par les espèces sonnantes et trébuchantes, ne s’est pas opposé à ce qu’elle travaille au sein de l’association. Il est par contre d’une totale et odieuse intransigeance sur les horaires. Quand elle dépasse l’heure par lui fixée il la viole. Mais Sasikala ne renonce à rien et certainement pas à d’autres frissons.
Les enfants sont presque grands et si l’occasion de partir se présente elle bouclera ses valises. En attendant elle relève la tête, ajuste son sari et illumine Namaste de sa présence.

Dans Macaroni elle plaisante avec Rama, comme peu d’Indiennes peuvent le faire. Elle ne minaude pas, elle éclate d’un rire si contagieux que nous rions nous aussi sans avoir rien compris.

La classe maternelle du Tamil Nadu est un enchantement. Seize adorables marmots, entre trois et cinq ans, nous fixent de leurs immenses yeux noirs. Ils sont calmes et sereins. Les bébés indiens ne pleurent jamais. C’est étonnamment vrai, ce n’est pas l’amour qui m’emporte, c’est une constatation. Entrer dans une classe maternelle petite section en France ou en Italie, est une épreuve. Pleurs intarissables, hurlements, cris de désespoir « Mamaaaaaan !!! » bagarres, griffures, morsures, enfants qui se roulent sur le sol et font pipi dans leur culotte est le quotidien de l’institutrice. Pour un quart d’heure de tranquillité, deux heures de galère. Je le sais, dans une autre vie, j’ai été maîtresse.
Rien de tout cela ici. Et pourtant, la salle est minuscule, traversée sans arrêt par les femmes de l’atelier d’apprentissage de la couture situé au-dessus, pas de coin dînette ou petites voitures, pas de lego géant, rien de tout le matériel dont regorgent nos écoles et que nos charmants bambins détruisent avec une stupéfiante énergie.

La jeune enseignante, un peu gourde quand même et du genre ennuyeux, ne les emmène jamais dehors et passe la journée à leur apprendre à lire et à compter, en malayalam et en anglais, conformément aux programmes scolaires en vigueur. Sasikala lui explique que les enfants ont besoin de sortir, de jouer, de courir. Et voilà qu’elle se met à chanter et à danser devant les petits fascinés qui bientôt cherchent à imiter ses gestes. Puis elle les entraîne dans la cour et joue avec eux avec un naturel et une énergie incomparable : leçon de pédagogie !
En deux minutes, tchic tchac, elle fabrique une petite hélice avec une feuille de palmier, qui tourne quand on court. C’est magique.

Elle rit, elle s’amuse. Merci Namaste !

(… à suivre)

India, le 25 aout 2006

Vidéo: Les enfants de Namaste - Photos: Namaste: Les Photos
Site Web : www.namaste-adozioni.org
   
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Claudine Tissier & Fabio Campo