Peter est beau, quand il se déplace entre les tables du
restaurant français qu’il dirige, dans une calme rue ombragée du
quartier français de Pondy, il semble glisser, souriant et aérien, mais
son regard est vif et rien ne lui échappe.
Les femmes le suivent langoureusement des yeux, séduites par sa grâce et
sa jeunesse, il a 24 ans, mais les serveurs indiens, toujours prompts à
la taquinerie et au laisser aller, le respectent.
Les sourires qu’il adresse aux clients n’ont rien d’artificiel, Peter
l’Indien, fils d’un couple de missionnaires évangélistes protestants
moitié Sri Lankais, moitié anglo-indien descendant d’esclaves émigrés à
Trinidad pour trimer dans les plantations de canne à sucre, est peut
être un ange, un Krishna, sensuel et rieur, à la voix douce et au regard
malicieux, ou un Mowgli innocent qui à 17 ans, pour honorer une promesse
faite à une jeune fille a décidé de quitter Pondichéry pour affronter
Paris.
Quand je lui demande quel accueil il a reçu en France, il me répond en
riant : « No comment !! », puis il m’explique, dans un français
chantant, qu’il y a du bon et du mauvais partout, et que les difficultés
l’ont aidé à comprendre et aimer les autres. Il affectionne une formule
: « no gain without pain».
Il a déjà vécu plus d’expériences que d’autres en une vie entière et il
les raconte simplement, joyeusement, comme de simples épisodes.
Il a préparé un BTS de restauration au prestigieux Maxime de Paris, une
famille africaine fortunée lui a prêté un appartement dont il laisse la
porte ouverte pour qui a besoin, il est parti pour le Chili rejoindre
une fille française qu’il aimait, avec dans ses bagages un gâteau pour
son anniversaire, mais la belle avait déjà un autre amoureux, son cœur
s’est brisé et il a erré dans les rues de Santiago avant d’être
recueilli par des enfants avec qui il est resté 8 mois, avant de revenir
en France finir son BTS, et travailler à l’ambassade, et filmer avec son
frère un documentaire sur la célébration de Pangal, cette fête sacrée où
l’on saoule les vaches et faire des photos de mode et rencontrer une
Chilienne avec qui il va dans quelques mois monter un restaurant indien,
à Santiago, le premier dit-il fièrement avec la joie d’un gamin, parce
qu’il a donné sans compter et que le destin le lui rend, et être
sollicité par le patron français du Satsanga de Pondy pour superviser le
restaurant, enseigner la cuisine et le service aux employés, apporter,
dans ce cadre verdoyant la lumière qu’il irradie.
Toutes les filles lui tournent autour, mais il aime les blondes,
nordiques, libres et fortes. Il veut que celle qui partagera sa vie
partage aussi sa croyance et ses convictions, qu’elle aime les enfants
et son voisin, comme le dit la bible qu’il aime citer.
La vie parisienne lui a appris la tolérance, et à respecter et aimer les
femmes, avant une épaule dénudée le choquait, maintenant il accepte et
comprend, et c’est le modèle de soumission féminine indienne qui lui
semble injuste et obsolète.
Quand il voudra se marier, il suivra le conseil de sa mère, il emmènera
la future candidate au marché et il regardera avec quelle attention elle
choisira les produits, comment elle saura doser autorité et humilité
pour négocier les prix. Une belle Walkyrie saura-t-elle franchir cette
épreuve? |
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Et puis avec les gains du restaurant de Santiago il voudrait monter une
association pour venir en aide aux enfants démunis, et aussi écrire et
réaliser avec son frère un film bollywoodien qui retracerait sa
difficile vie en France, par pour la gloire, non, Peter se fiche de la
célébrité, ce n’est pas son problème qu’on le reconnaisse dans la rue,
mais pour faire comprendre aux jeunes indiens tentés par l’immigration
européenne, que c’est un miroir aux alouettes et que contre quelques
euros ils pourraient bien y perdre la sérénité de leur âme.
Et il me parle encore et encore et je suis fascinée par ce mélange de
douceur et de force, d’ingénuité et de détermination et il m’explique
qu’il faut prendre le meilleur de l’Occident et le meilleur de l’Asie,
pour enfin trouver la paix que chacun porte au fond de son cœur, même si
il ne le sait pas encore et je le crois parce que j’ai envie de le
croire, et qu’un monde qui lui ressemblerait serait doux à vivre.
India, le 2 juillet 2006 |