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Pas facile de jouer à l’Indienne ! |
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L’année dernière, quand nous étions chez les parents de
Sini, il y avait aussi Princie, une jeune cousine de 17 ans, venue
passer quelques jours à Kaippattoor. Aujourd’hui on célèbre ses
fiançailles et nous sommes invités à nous y rendre avec Mary, Chappakan
et Monu. Princie a découvert son fiancé il y a deux semaines quand
celui-ci est venu, en compagnie de ses parents, faire la demande
officielle. Elle l’a ensuite revu deux fois, évidemment pas en tête à
tête, et elle est absolument ravie. « She is very happy, me dit Monu,
she loves him very much ». Quelle chance !
Nous nous entassons dans la voiture d’Anil, trois à l’avant trois à
l’arrière, pour nous rendre dans le village de Princie distant d’une
trentaine de kilomètres.
Sur la route nous faisons halte sur les rives du Periyar. Il fait très
chaud, sur une petite plage des familles pique-niquent et se baignent,
enfin, les enfants et les hommes se baignent, les femmes, restées sur le
rivage, regardent en riant leurs progénitures s’ébattre gaiement. Les
maris, assis dans l’eau le verre à la main, sirotent en toute quiétude
du whisky que le soleil a réchauffé. Le liquide doré brille dans les
gobelets en plastique et fait tourner les têtes. Un des hommes part
bravement à l’aventure, il parcourt quelques mètres d’un pas vacillant
avant d’entreprendre l’escalade d’un rocher, sur lequel, après plusieurs
tentatives, il parvient à s’asseoir sous les applaudissements de ses
pairs. |
Le Periyar |
Le Periyar est un fleuve dangereux et ces hommes sont
d’une totale imprudence, régulièrement l’un d’entre eux, plein comme un
œuf, disparaît emporté par le courant. Le fleuve est large, parsemé de
bancs de plantes aquatiques aux fleurs violettes. Les couleurs
changeantes de ses eaux, du bleu au gris et au vert, indiquent les
vastes et dangereux courants qui le traversent. Parfois lisse comme de
l’huile, parfois moutonneux et impatient, il avance, irrésistiblement.
Nous sommes à une trentaine de kilomètres d’Ayamanam, le village où a
grandi Arundhati Roy, l’auteur de l’inoubliable « Dieu des petits riens
» et je pense au fleuve tant aimé des jumeaux et des amants interdits
qui les a trahis en engloutissant dans ses tourbillons l’étrangère
blanche et rose, la petite cousine anglaise, la jolie Sophie Mol, semant
l’horreur et la désolation. Etait-ce le Periyar ? |
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Princie, ravissante dans un sari orange et vert est
enchantée de notre présence. Toute la famille maternelle de Sini est
réunie dans la maison des parents de la fiancée, nous avons rencontré la
plupart de ses membres l’année dernière et nous sommes ravis de les
retrouver. Après son mariage Princie n’ira pas vivre chez ses beaux
parents mais dans sa propre maison, dont la construction sera terminée
pour le mariage, à côté de celle de ses parents. Les femmes portent des
saris en soie brillants et colorés et les hommes des dhottis blancs.
Prince, le frère aîné de Princie, s’agite d’un groupe à l’autre, mais le
véritable maître de cérémonie, c’est le photographe. Armé d’une énorme
caméra et de plusieurs appareils photos, accompagné d’éclairagistes, il
met en scène selon sa fantaisie les moindres étapes de la fête, et
Princie, impassible et souriante prend la pose.
Puis nous allons à l’église où attendent le fiancé et sa famille. Le
futur mari est charmant, le jeune couple semble parfaitement assorti et
Princie rayonne de bonheur. Une brève cérémonie religieuse scelle les
fiançailles. S’ensuit une interminable séance de photos durant laquelle
le photographe, sans le moindre tact, enjoint aux deux tourtereaux, qui
se rencontrent pour la quatrième fois seulement, de se tenir par la main
ou par l’épaule. Ils obéissent de bonne grâce, quoique visiblement mal à
l’aise, surtout Princie, qui, j’en suis sûre, n’a jamais touché d’autres
garçons que ses frères. |
Princie |
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Ensuite tout le monde, y compris la future
belle-famille, revient chez les parents de Princie pour une collation.
Et à nouveau l’omniprésent photographe organise et mitraille, ce qui
fait que la pauvre Princie, rouge de chaleur sous les flashes, passe
plus de temps devant l’objectif qu’à se réjouir avec sa famille. Le
fiancé s’en va, les futurs mariés ne se reverront pas avant le mariage,
dans deux semaines. Et après avoir filmé un dernier salut romantique le
photographe range son matériel.
Princie nous invite à son mariage, cela change un peu nos plans mais
nous acceptons avec plaisir.
Sur le chemin du retour, afin de faire honneur à la
si gentille Princie je décide de porter un sari pour la cérémonie. C’est
pour moi une façon de manifester le respect que j’éprouve pour les
traditions de nos hôtes, de célébrer la beauté du vêtement et de laisser
libre cours à ma coquetterie. Nous nous arrêtons dans un magasin pour
acheter le tissu. Conseillée par Monu Mary et sous le regard amusé de
Fabio j’ai la dure tâche de choisir entre une époustouflante quantité
d’étoffes, toutes plus belles les une que les autres. J’élimine la soie
apprêtée qu’affectionnent les indiennes, j’ai déjà essayé à Kumbakonam
et m’étais sentie trop engoncée. |
Princie et son fiancé |
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Comme ce sari sera certainement le seul que je
n’achèterai jamais, la responsabilité est importante, je ne veux pas
bloquer tout le monde pendant trois heures (Anil et Chappakan attendent
dehors), j’aimerais autant éviter d’être ridicule en me laissant séduire
par une de ces couleurs vives, si seyantes sur les peaux sombres et qui
se transforment en véritables repoussoirs sur les carnations pâles des
occidentales, il fait une chaleur étouffante dans le magasin, je me
mélange les pinceaux entre les roupies et les euros et le tourbillon des
vendeuses achève de me confondre. Finalement, après maintes
tergiversations, et pour la somme de 2000 roupies (36 euros) je fixe mon
choix sur un sari en crêpe de soie vaporeux rouge, brodé de strass
multicolores.
Pas facile de jouer à l’Indienne !
India, le 14 aout 2006 |
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