Sur la plage de Nice

Nice, jeudi  28 mai 2009

9 heures
Grise sous le soleil, la plage est presque déserte. Quelques baigneurs s’ébattent dans l’eau limpide. Dans le ciel, un avion a laissé une longue trace dont le blanc laiteux doucement se fond dans l’azur.
C’est superbe.

J’étale ma natte sur les galets. Tout près du rivage mais pas trop, je me méfie des vagues que provoquent les bateaux.

Allongée au soleil, j’entame la lecture du Siné Hebdo que je viens d’acheter au kiosque de la Promenade.

Soupir d’aise.

9 heures 30
Petit à petit, la partie inférieure de la plage se remplit. Poussés par quelque immémorial instinct grégaire, les nouveaux arrivants s’installent de préférence à côté de moi. J’ai désormais à ma gauche des touristes nordiques décidés à offrir en pâture aux rayons du soleil la blancheur rosée de leurs épidermes et à ma droite une femme dont je devine au bronzage doré qu’elle est une habituée des lieux. Elle se tartine consciencieusement d’une lotion huileuse ; son odeur, qui parvient jusqu’à mes narines, indique sans doute possible qu’elle est à base de noix de coco.

9 heures 45
Une petite famille russe, maman, papa et joli bébé blond, s’installe avec armes et bagages dans le peu d’espace que j’avais laissé entre l’onde et moi. Un peu agacée par cette intrusion dans ce que je considérais bêtement comme mon espace, je ricane intérieurement en pensant à la vague qui inévitablement viendra tremper leurs serviettes.

10 heures
J’ai fini la lecture de mon journal et, alors que la partie supérieure de la plage reste résolument vide, la partie inférieure affiche complet.
Derrière mes lunettes de soleil, j’observe mes congénères.

10 heures10
Comme prévu une vague attaque la petite famille russe emportant deux serviettes et une paire de savates. Le papa se précipite pour les repêcher tandis que la maman rigole avec bébé. Puis sans la moindre hésitation, hop, ils reculent de deux mètres. Ils sont maintenant assis juste au bout de ma natte. Bien que contrariée par cette invasion je tente un sourire mais impossible de croiser un regard. Même le bébé a l’air de me snober.

10 heures15
Résolue à ne pas me laisser gagner par la mauvaise humeur, je décide d’aller me baigner. Je pose un pied dans l’eau, fraîche, puis deux. J’avance lentement, me tordant les chevilles sur les galets. Immergée jusqu’à la taille, je prends de l’eau dans ma main pour la laisser couler dans ma nuque et sur ma poitrine, comme ma maman m’a toujours dit de le faire. Brrrr !
Immobile je m’accorde quelques instants de répit, le plus dur, l’immersion totale, reste à faire. Hors de question de reculer. Je me concentre sur l’objectif puis ne pense plus à rien et me laisse emporter par une vague. Froid, saisie, froid. Brasse rapide.
Bientôt le bien être m’envahit. L’eau est claire et douce. Je nage longuement vers le large.
Allongée, les bras en croix, je dérive lentement, comme en équilibre entre l’eau et le ciel, le regard perdu dans le bleu.
Et comme à chaque fois que je m’abandonne ainsi, à n’être qu’un corps balloté par les vagues, j’éprouve une intense sensation de félicité et me revois, encore adolescente, flottant dans la tiédeur salée de la méditerranée, au sud de la Turquie. Je sais pourquoi ce souvenir me revient toujours, j’avais à cet instant là eu la fugace conscience du bonheur et décidé de ne jamais l’oublier.

10 heures 35
Je sors de l’eau pour constater qu’un couple de dames âgées a pris place juste derrière ma natte. Elles sont allongées sur le dos, lourdes masses silencieuses et immobiles et l’une d’elle a le pied posé sur mon paréo. Je tire sans ménagement pour récupérer mon bien. La masse bouge à peine, pousse un vague grognement.

Couchée sur ma natte, la tête entre les pieds de la dame et les pieds à trois centimètres du dos de la maman russe, je confie au soleil le soin de sécher mon maillot et mes cheveux.
Je pense aussi.
A la plage de Chennai, si différente, où les femmes en sari sautent joyeusement dans les vagues, où leurs enfants, trempés comme des oisillons après la pluie, se poursuivent en riant, où l’on se promène lentement dans le crépuscule, où l’on se rencontre pour bavarder, faire un puja, grignoter des cacahuètes au curry qui arrachent les papilles.
Une plage conviviale et animée. Le contraire de celle où je suis.

Ici les corps allongés, parfois impudiquement exposés au soleil, sont étrangers les uns aux autres. Proches à se toucher mais méticuleusement séparés afin qu’aucune communication ne soit possible.
Ni regard ni sourire.

11heures
Cernée de toute part, la peau déjà rosie par le soleil, je décide de quitter les lieux. A peine ai-je enfilé ma robe et replié ma natte qu’un couple se précipite pour prendre ma place.

De loin je jette un dernier coup d’œil à la plage, aux corps échoués sous le soleil, muets, figés.

Drôle d’humanité !

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