Terres d’Italie

Quitter la riche et grasse terre de l’Emilie, plantée et exploitée à merci, semée d’usines et de coopératives pour emprunter la longue autoroute qui mène vers le sud.
Un ruban uniforme déroulé le long de l’Adriatique.
Le ciel et la mer fondus dans le gris.
Gris comme l’asphalte.

En Romagne le sol se vallonne.  Les pins maritimes ombragent la terre découpée en parcelles . Les cerisiers sont en fleurs.

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Plus loin, les hautes collines des Marches, terre escarpée, collines cultivées, longues plages sablonneuses, toute l’Italie concentrée dans une région. Mais « mieux vaut un mort dans la maison qu’un Marchigiano à la porte » disent les Italiens. Fidèles parmi les plus fidèles à la papauté les hommes des Marches ont longtemps été en charge de relever les impôts de l’église dans l’Italie d’antan.
Plantés aux sommets des collines, les villages impassibles regardent s’écouler le flot continu des camions et des voitures. Pâques se fête en famille, alors dans les grandes villes du nord, on a bouclé les valises pour descendre dans le sud, on reviendra lundi, le coffre rempli de tomates sèches, de mozzarella, de pâtisseries au miel  et aux amandes, de mets à la saveur épicée.

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L’autoroute s’en fiche mais, là haut dans les montagnes, elle tremble encore la terre des Abruzzes. Elle a tué, écrasé, emprisonné sous des monceaux de gravats. Elle a endeuillé les familles, les a jetées dans la rue, contraintes à dormir dans des camps de toile. Elle a réduit en poussière les immeubles construits à la va vite dans les années soixante, sans fondations, posés sur le sol. Elle a abattu les murs des antiques églises et crevé les coupoles.
Elle a affirmé sa force et sa suprématie sur ces petits humains fragiles qui se croient si forts et qui la maltraitent tant.
Ce matin la foule s’est pressée aux funérailles des victimes : parents meurtris, voisins attristés, badauds voyeurs venus contempler la souffrance d’autrui et oscillant entre « Quelle horreur, les pauvres, ce pourrait-être moi ! » et « Quelle chance je n’y étais pas ! ».
Les politiques ont discouru. Berlusconi-près-du-peuple a serré dans ses bras des mères en larmes et promis à tout vent. Les promesses, c’est bien connu, ne coûtent rien.
Dans son palais le pape a prié et appelé au « courage de l’espérance ».
Espérance de quoi ?
Et puis quel courage faut-il pour espérer ? Il aurait tout aussi bien pu appeler à « l’espérance du courage ».
Paroles vides destinées, comme les promesses, à  étouffer la souffrance des familles amputées.

Dans les Pouilles le soleil nous attendait.
Sous les oliviers, en somptueux tapis masquant la terre rouge, les boutons d’or brillaient.
« C’est ta terre.
– Je la connais bien, elle m’est familière mais je ne lui appartiens pas et elle ne m’appartient pas non plus. »

Nous longeâmes la banlieue de Bari, blanche et sale. Immeubles bas parsemés sur de vagues terrains, forêts d’antennes et herbes folles.
Santeramo in Colle, dans les maisons blanches et carrées aux balcons de fer forgé, dans les églises et sur les places on préparait déjà Pâques, la procession, les messes, les boulettes aux œufs pour remplacer la viande le vendredi saint.

Santeramo, le but de notre voyage.

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