Dans le local la chaleur est intense.
Il est 21 heures et les clients se pressent au comptoir pour acheter des parts de pizzas « al taglio ».
Ni bonnes ni mauvaises, fabriquées avec de la pâte surgelée fournie par la chaine propriétaire de l’échoppe et qu’un homme vêtu de blanc aplatit, garnit, enfourne, aplatit, garnit, enfourne, aplatit, garnit, enfourne…
A la caisse un Pakistanais en chemise claire. Ses gestes sont précis, son visage impénétrable. Il encaisse, rend la monnaie, évalue peut-être dans sa tête les bénéfices du jour, les comptes qu’il faudra rendre.
Derrière la vitrine qui expose à l’appétit des clients de grandes plaques de pizzas fumantes, une femme en sueur, blême malgré la chaleur, distribue les morceaux déjà payés.
Les mouvements mécaniques et le regard absent.
A chaque client, d’une voix monocorde qu’effleure un léger accent slave, elle propose de réchauffer la portion.
Puis elle la glisse sur une petite pelle en fer, l’enfourne dans le micro-onde et se tourne vers un nouvel arrivant.
Elle est exténuée, des mèches blondes s’échappent du ridicule couvre-chef au nom du magasin qui cache son chignon, son menton tremble légèrement.
Ses mains aussi, des mains potelées, comme son corps, trop lourd, trop vieux pour être ainsi traité.
Alors elle serre les dents, courage, il faut travailler, travailler, travailler, travailler, travailler, travailler, travailler…
12 commentaires sur “Travailler plus, encore plus, toujours plus…”
…jusqu’à s’oublier, se dissoudre, jusqu’à en mourir…
Le servage n’est pas révolu.
On s’y croirait, Céleste ! Elle fut quand même mangeable ? Baci
Oui, l’horreur ne se manifeste plus seulement dans les grosses boites, elle atteint maintenant les petites boutiques. Jusqu’à quand se poursuivra-t-elle ?
Jusqu’à ce que des employés disent non, et, si cela ne suffit pas, cognent sur le donneur d’ordre.
Déjà, en France, les travailleurs sans papiers ont commencé à redresser la tête. Et ils sont en nombre considérable, qui cotisent, paient des impôts et n’ont droit à rien.
L’explosion se rapproche.
A ce sujet, connais-tu, de Jean Raspail, le roman intitulé “Le Camp des Saints‘ ?
Une fresque prémonitoire de l’effondrement de notre civilisation.
Je te le recommande, d’autant plus qu’il est merveilleusement écrit et que son rythme nous saisit et nous emporte dès les premières pages.
la merveilleuse “valeur travail” si merveilleuse qu’elle n’a guère de valeur marchande
Nous aussi,nous pouvons , faire que …
Je veux dire,ne pas prendre “l’autre” pour une machine, que l’autre ne fasse pas partie d’une sorte de machine qui produit qui une pizza, un verre de vin, ou un “bon moment entre amis”…un “service”.
Je pense à ça car je vois trop souvent, des gens que j’aime bien, des amis, se comporter comme de véritables salauds avec le personnel de bar…resto…de “services”.
Alors quand je suis là à la terrasse d’un bar, l’été, au soleil, je me dis ” Le salaud était le client avant moi,moi je suis le gentil…prends ton temps et mon bonjour,et mon sourire…je suis la pause…le mec cool…celui qui dit merci…”
Voilà.
Je veux dire ; essayons de ne pas rabaisser les gens à leur tâche…surtout les plus”ingrates”…
Contrairement à ce que pense les gros intellos…nous ne sommes pas ce que nous faisons.Et si nous avons tous des rêves…nous n’avons pas tous les mêmes moyens d’y parvenir…
“…son menton tremble légèrement.”
Oulala, quand j’ai vu le texte ce matin, je me suis dit qu’il faudrait y répondre calmement afin de ne vexer personne.
Comme je devais justement foncer au boulot où je sers ma clientèle, valait mieux ne pas être en retard…
Quelques précisions : j’ai 45 ans, je travaille depuis des années avec le public et j’ai une solide expérience de ce que l’on nomme les métiers de bouche. Du restau gastronomique au snack de quartier en passant par le fast-food de luxe et le merdique, j’ai bossé à la fabrication, la vente, l’encadrement, le ménage, l’administration et le reste ! 🙂
Aussi et de suite une petite précision : je n’ai jamais vu de lieux de travail alimentaire qui ne soientt pas hyper speeds.
Quand le client a faim ou soif, tu ne te poses pas trop de question, ça s’appelle le coup de feu et t’en chie !
Bien sûr, suivant l’endroit, c’est plus ou moins éprouvant physiquement et nerveusement.
Mais, c’est toujours mal payé et rarement valorisant.
@Aedia : faut pas pousser quand même, on est loin du servage et ce n’est pas d’aujourd’hui que ces rythmes existent.
@Michel : compte tenu des relents bizarre de J.Raspail, je me méfie, les anars de droite à tendance communautaristes, c’est pas vraiment mon truc.
Et il ne faut pas confondre les conditions de travail ordinaires dans le domaine de la restauration et des services avec les problèmes des sans papiers même s’ils y travaillent très souvent.
@Dom : c’est gentil à toi et pour le sourire à la commande tu as plus que raison. Maintenant, faut pas pousser, y’a des métiers bien plus durs et sans aucune compensation.
Je ne veux pas paraitre méprisante ou inhumaine mais la pitié n’est pas toujours de mise.
Le plaisir de la montée de l’adrénaline pendant un service, même et surtout s’il est épuisant, existe.
De même que le sentiment de bloc que l’on ressent au sein d’une brigade (oui, ça s’appelle comme ça) est l’un des plus fort que je connaisse.
Pour résumer, les choses ne sont pas aussi simples que vous sembler les voir et même s’il ya dix milles trucs à faire avancer dans ces métiers, je les préfererai toujours à une caisse d’hypermarche, degré zéro du bonheur au travail et réel asservissement d el’homme (enfin, surtout de la femme…)
@Sardine
Tout ce que tu dis des métiers de bouche est exact mais si j’ai écrit ce petit billet, c’est justement parce que dans le cas de cette pizzeria al taglio c’est différent.
comme dans la plupart des échoppes de la même chaîne.
les conditions de travail sont très dures, pas seulement speed, mais tristes.
l’employé n’accomplit qu’une seule tâche, répétitive, mécanique, programmée.
la pâte est surgelée, il suffit de disposer dessus différents ingrédients et d’enfourner.
aucune touche personnelle de la part du cuisinier.
l’employée qui distribue les parts (la dame blonde) est debout pendant des heures, le dos au four.
les clients sont rarement aimables (merci Dom de sourire c’est le minimum, et le maximum, que puisse faire un client).
elle répète toujours la même question, obéit aux mêmes ordres, accomplit les mêmes gestes.
étant donné les conditions de travail en Italie elle doit gagner au mieux 800 euros par mois, si toutefois elle est payée au mois, sinon, 6 ou 7 euros de l’heure.
il est plus que probable qu’elle a un CDD.
on ne peut pas parler de service car le magasin , (l’échoppe) est ouvert toute la journée, ce n’est pas non plus une boulangerie ou une pâtisserie où l’on peut être fier des produits que l’on vend car ici, comme dans tous les officines de la chaîne, les pizzas sont absolument identiques, ni bonnes ni mauvaises, neutres.
donc pas de poussée d’adrénaline, mais le même geste du matin au soir car la clientèle vient à toute heure et
il n’y a en aucun cas le côté festif de la bouffe
en regardant cette femme exténuée, triste, j’ai justement pensé aux caissières des hypermarchés et je me suis dit que ce n’était pas mieux.
après nous sommes allés dans un autre bar spécialisé dans les apéritifs avec buffet;
un jeune couple qui travaille énormément mais qui est propriétaire de son affaire.
ambiance complètement différente: des amuse-gueules délicieux, de la musique, des discussions, des éclats de rire;
à 10 heures du soir la jeune patronne était crevée, mais souriante;
à la même heure la dame blonde était encore derrière sa vitrine, le regard vide et le menton tremblant.
la chaine pour laquelle elle travaille appartient à un riche bolognais, de plus en plus en plus riche.
Rassure-toi Céleste, j’avais compris la nuance mais malgré tout, d’expérience, rien n’est pire qu’une caisse.
J’ai bossé dans des snacks à frites infames, des sandwicheries à 1000 clients par service, etc et je sais que ce que vit cette femme est loin d’être une rigolade.
La paie et le respect minimum de la sécurité et de la personne, là, tu as raison c’est là qu’il faut se battre.
Travailler jusqu’à l’épuisement, de façon constante et sans aucun plaisir, avec en plus l’angoisse de ne pas pouvoir boucler un budget de famine, peut-être de se faire embarquer parce qu’on n’a pas les papiers adéquats, c’est pas du servage.
C’est du désespoir.
oui, c’est du désespoir!
Tiens cela vient d arriver en France ….
http://next.liberation.fr/article/al-taglio-ou-la-pizza-sur-mesure?xtor=RSS-493
travailler, travailler, travailler… ce leitmotiv revient sans cesse. Dis par toi, il restitue la réalité humaine de la vision qu’ils ont d’une humanité à deux vitesse avec des formes modernes d’esclavagisme, dis par eux, ça sonne comme une évidence, l’idéologie de la régression, ils en oublient aujourd’hui le fameux “pour gagner plus” (“quand-même, quand on connaît la gravité de la crise financière”, vient de dire Sarkozy aux fonctionnaires qui manifestaient hier…). Et Serge Dassaud, député maire UMP de Corbeil-Essonnes, de prôner le modèle chinois où les ouvriers restent même dormir sur leur lieu de travail…! Voilà où ils veulent nous conduire et où mènent les reculs sur les conquêtes sociales.