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Sur la plage de Chennai |
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Dimanche, je suis assise sur la plage de Chennai, je
laisse le sable filer entre mes doigts, doucement et tendrement Fabio
filme les innombrables personnes qui vaquent sur le bord des flots. Les
femmes regardent en souriant cette étrangère blanche et presque blonde,
vêtue à l’indienne et dont l’écharpe indisciplinée se refuse à rester en
bonne place sur les épaules. Elles sourient en voyant mes bracelets
colorés, mes « anklet » tintinnabulantes et mes bijoux indiens.
Un petit garçon s’approche et se plante devant moi : « Where do you come
frrrom ? ». Je réponds : « I am frrrrench. What’s yourrr naime ? » Et il
détale en riant pour se cacher derrière sa mère qui me décoche un
magnifique sourire.
Je souris moi aussi.
Alors elle charge le petit garçon de m’apporter une poignée de
cacahouètes, qu’il dépose dans ma main gauche, puisque c’est seulement
avec la droite que je dois porter la nourriture à ma bouche. |
Nouveaux sourires et balancements de tête (maintenant
je sais très bien le faire, moi aussi, ce gracieux balancement).
Sur la plage, la foule est encore plus nombreuse que les autres dimanches.
C’est la fête de Ganesh et chacun vient jeter une statuette en argile
fraîche du dieu à la tête d’éléphant dans les vagues. Faire un puja aussi,
brûler un peu d’encens, offrir des fleurs et prier. Ganesh est un petit
dieu, mais très populaire, un dieu de proximité. Il est le fils de Parvati
et du grand Shiva, mais celui-ci jaloux comme un tigre et doutant de sa
paternité (de mauvaises langues prétendent que Parvati, lasse d’attendre
son époux, aurait fabriqué son enfant avec de la glaise), lui tranche la
tête, schlack, d’un coup de sabre. Parvati voit rouge, c’est le moins, et
flanque au dieu coléreux une raclée mémorable (c’est ma version, dans
l’officielle elle pleure). Celui-ci, couvert d’hématomes et de peur de ne
plus jamais avoir accès à la « porte des plaisirs de Parvati », promet de
mettre sur le corps de l’enfant la tête du premier être vivant rencontré
dans la rue. Et ce fut un éléphant. |
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Ganesh est le dieu du savoir et de la vertu, mais il
est aussi porteur de chance. D’où son immense popularité.
Pour le prier il convient, pieds et bras croisés, de se tenir les lobes
des oreilles et de plier plusieurs fois les genoux en se concentrant sur…
ce qu’on veut.
Pendant que je mange mes cacahouètes (hyper hot, courage) en souriant à la
gentille dame, Fabio discute avec deux adorables petites filles,
churindars trempés, nœuds dans les cheveux, et leur papa.
Les petites filles viennent vers moi. Elles s’appellent Shalini et
Lakshmi, nous échangeons trois mots d’anglais. Puis elles me prennent par
la main et veulent m’entraîner dans les vagues. Je dis « Noooo ! ».
Elles disent « Yeeeessss ».
Je dis encore « Nooooooo », je n’ai pas l’habitude, moi, de sauter dans
les vagues en churindar, après je serai mouillée, pleine de sable et d’eau
salée. |
Et elles : « Pleeeeeease », têtes penchées et yeux
brillants.
Et moi, dans ma tête : « c’est le dernier jour, demain tu prends l’avion,
ne te sens-tu pas extraordinairement reliée à tous ces gens qui
t’entourent ? N’as-tu pas à cet instant la certitude totale et absolue
d’appartenir à l’humanité, d’en être, comme chacun, une infime partie et
le centre ? Et tu as peur de mouiller tes vêtements, peur du sable qui
colle et de l’inconfort ? »
Alors je dis « Yes ! » et nous courons vers l’eau. Et je saute, je saute,
je saute en riant dans les vagues. Et je suis trempée et les petites
filles poussent des cris de joie.
Et les mamans, assises sur la plage, balancent la tête en souriant.
India, le 28 aout 2006
(… à suivre) |
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Vidéo: Chennai Beach - Photos:
Chennai (Madras) - Wedding
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