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Retour à Kaippattoor |
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Un an après nous retrouvons Mary, Chappakan, Monu, leur
troisième fille, et la mère de Chappakan, une minuscule vieille dame de
87 ans que lors de notre séjour avec Sini nous avions baptisée à
l’italienne : la nonna.
Monu a 21 ans et est adorable. Depuis six ans elle a un « boy friend »,
Anil, un charmant jeune homme de 26 ans, qui entretient d’excellents
rapports avec ses futurs beaux-parents. Monu ne fera pas un mariage
arrangé, elle épousera, avec l’accord de ses parents, échaudés par la
douloureuse expérience de Sini, le garçon qu’elle a choisi. Monu et Anil
veulent venir travailler en Italie, nous avons accompli pour eux toutes
sortes de démarches longues et compliquées et nous attendons tous
l’accord du gouvernement italien. Si celui-ci ne délivre pas
l’indispensable sésame Anil devra suivre les traces de son père et aller
travailler dans le golfe persique, son jeune frère a déjà pris le chemin
de l’exil. Il partira alors pour deux ans, sans retour au pays, et Monu
ne pourra pas le rejoindre avant plusieurs années. |
Anil et Monu |
Autant dire que la réponse du gouvernement italien est
attendue avec impatience, leur avenir en dépend. Nous leur avons
expliqué qu’en Italie seules les tâches les plus humbles leur seront
proposées et que leurs diplômes universitaires seront inutiles, mais ça
ne fait rien, pour eux, c’est le meilleur choix possible.
La nonna est une délicieuse vielle dame mais ce ne fut pas toujours le
cas. Quand Mary, jeune épouse de Chappakan, est arrivée, la nonna,
occupée à pondre un enfant tous les deux ans s’est déchargée sur elle de
toutes les tâches domestiques, et ceci malgré les trois grossesses de sa
bru. Aujourd’hui, très âgée, redevenue une petite fille qui ne peut
rester seule, elle occupe peu d’espace et passe beaucoup de temps à la
messe. |
Elle est ravie de nous revoir et nous manifeste sa joie
par de longs discours en malayalam, je lui réponds en français, nous
balançons toutes les deux la tête, elle est contente et moi aussi.
Entièrement vêtue de blanc, elle porte le costume traditionnel des
chrétiennes du Kerala : long tissu enroulé autour de la taille, simple
corsage, et, ô merveille, d’extraordinaires anneaux aux oreilles. Les
anneaux « normaux », accrochés au lobe de l’oreille, pendent
nonchalamment le long du cou et, de face on les voit de profil, de
profil on les voit de face. La Vache qui rit, par contre, a de célèbres
boucles d’oreilles rondes, connues dans le monde entier, et que, en
dépit de toute logique, on voit toujours de face. Transformons les
fromages de la Vache qui rit en gros anneaux d’or, montons les en haut
des oreilles, un poil avant la pointe, et fixons les bien solidement, le
résultat donne aux mémés Kéralais un petit air d’extra-terrestre
absolument irrésistible. Leurs visages ridés, leurs bouches édentées
sans dentiers et leurs petits chignons blancs accentuant encore la
ressemblance il est difficiles de les regarder, surtout quand elles sont
en groupe, sans avoir envie de rire. |
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Nous nous installons avec plaisir dans « notre chambre
», rien n’a changé mais malheureusement il manque Sini.
L’église est toute proche et, en fin d’après-midi, Fabio ne peut
résister à l’envie d’aller filmer les fidèles qui vont à la messe.
L’église, est presque pleine, les personnes âgées, dont la nonna, sont
assises sur des bancs le long des murs, les autres debout car il n’y a
pas de sièges. Pendant que Fabio tourne et vire, sa caméra à la main, au
milieu des paroissiens surpris, je prends place au milieu des femmes, au
fond et proche de l’allée pour pouvoir partir facilement. Hélas pour
moi, l’église se remplit et je me trouve coincée entre des matrones en
saris. L’office commence, ponctués de joyeux chants bibliques
interprétés avec talent par un couple de chanteurs. Le prêtre, par
contre, chante comme une casserole et j’ai du mal à ne pas rire, ce qui
serait, à juste titre, très mal vu. Puis les fidèles s’asseyent à même
le sol et moi aussi. L’église est blanche, lumineuse, l’autel est peint
de couleurs vives comme celles des saris. Il y a des fleurs, la douce
voix du chanteur s’élève dans la nef, je regarde ces femmes et ces
hommes assis autour de moi et je me sens bien. Je me sens proche d’eux,
liée à eux, reliée à eux. |
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L'église de Kaippattoor |
Religion : qui relie. Mais pourquoi les êtres humains
ont-ils dû inventer une bande de dangereux psychopathes, qu’ils ont
appelés dieux, pour se sentir reliés les uns aux autres ? Voilà qui
m’échappe. Les fidèles de l’un n’en finissent pas de se dévaloriser ,«
Priez pour nous pauvres pêcheurs », ou de supplier que la divinité
veuille bien leur pardonner « Pardonnez-nous nos offenses », laquelle
divinité n’a rien trouver de mieux que d’envoyer son fils se faire
massacrer par les impies. Sous un invraisemblable prétexte de terre
promise et dans le total mépris et des populations occupant le
territoire depuis des siècles et des accords internationaux dûment
signés par des grands de ce monde, ceux d’un autre s’acharnent sur un
bout de terre aride, au risque de mettre en péril la paix mondiale. Un
troisième, ombrageux, susceptible et particulièrement misogyne veut tout
contrôler, de la sphère privée à la sphère publique, et ses écrits sont
tellement impénétrables que toutes les interprétations, y compris les
plus dangereusement farfelues, sont possibles. Mais c’est sans aucun
doute le grand Brahma qui détient le pompon de la perversité, décidant
sur un caprice que certains individus, les chouchous brahmanes,
sortiraient de sa bouche, d’autres, les guerriers, de ses bras, et ainsi
de suite jusqu’aux pieds, qui fourniraient évidemment les individus des
plus basses castes. Quant aux intouchables, qu’on ne doit jamais toucher
parce qu’impurs, mieux vaut ne pas se demander d’où le créateur a eu
l’idée saugrenue de les faire sortir.
Et moi, et moi, et moi, assise dans l’église, je me dis que je n’ai
besoin ni de l’un des autres pour savoir que nous appartenons tous à la
même humanité et à en être heureuse.
India, le 13 aout 2006 (... à
suivre) |
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