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La femme au ventre inutile |
De retour chez Jayanthi, Pandjanadane, assis à mes
côtés sur le plastique du canapé, me demande comment j’ai trouvé Madame.
Je module ma réponse : « Je crois que c’est une femme forte, qui paraît
un peu dure, un peu méfiante au premier abord, mais qui, lorsqu’elle
accorde sa confiance, est capable de beaucoup de gentillesse. » Il opine
du chef et ajoute, une pointe de fierté dans la voix : « Elle est très
intelligente ! ». Puisque nous en sommes aux confidences j’en profite
pour essayer de percer l’énigme de Parvadame, la douloureuse
belle-fille. J’attaque de biais en parlant des charmants petits garçons
du second fils, puis, de là, mine de rien :
« Et Natarajane, il a des grands enfants ?
- Oh non ! » me répond-il.
Puis il se penche vers moi et me raconte la triste histoire de Parvadame. |
Dans la tradition indienne, lorsque une jeune fille se marie elle quitte
définitivement sa famille pour aller vivre dans celle de son époux. Un
jour, Parvadame, petit oiseau fragile aux grands yeux fébriles est
arrivée chez Pandjanadame.
Il y a longtemps, très longtemps, 30 ans peut être, alors qu’elle était
encore jeune mariée, Parvadame a été enceinte. Mais à peine son ventre
avait-il pris quelques rondeurs, qu’une angoisse irrépressible s’était
emparée d’elle. Sans rien dire à son jeune et fringant époux elle est
partie quelques jours rendre visite à ses parents. Elle est allée
consulter une gynécologue, et là, seule, guidée par sa peur, elle a
commis « quelque chose d’horrible » dit mon ami, quelque chose
d’incompréhensible, d’inexcusable, de criminel: elle a demandé au
médecin de la débarrasser de cet enfant qui croissait dans son ventre.
Quand elle est revenue auprès de son mari son ventre était vide et plat,
et sa belle famille refusant de croire à la thèse de la fausse couche
n’a pas tardé à découvrir la vérité.
Leur réprobation s’est abattue sur elle, implacable et cruelle. |
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Parvadame, Jayanthi et Madame |
Puis le sort s’est acharné, à la suite de cet avortement, il lui fut à
jamais impossible de procréer.
Alors la réprobation s’est faite de plus en plus forte, de plus en plus
lourde et la haine s’est installée.
Il est impossible pour une femme mariée de revenir dans sa propre
famille, pour celle-ci ce serait le déshonneur.
Parvadame est condamnée à vie au mépris et à la servitude. C’est
désormais son destin et rien ne le changera.
Oui, l’Inde est aussi cruelle et injuste et le poids des traditions pèse
sur la plupart des femmes comme une lourde chape.
J’ai de la peine pour Parvadame, qui paye au prix fort un acte que
commettent bien des femmes occidentales, un acte pour lequel nous nous
sommes battues, un acte qui nous appartient, qui est notre droit, notre
liberté de donner ou non la vie.
(... à suivre)
India, le 12 Juillet 2006 |
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Chez
Pandjanadane |
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