Il y a fort longtemps Vasco de Gama débarqua à quelques
kilomètres de Calicut, ville côtière du Kerala, réputée dans tout le
Moyen Orient car étant le principal port d’exportation des épices,
richesse ancestrale de la région. Soucieux d’affirmer sa nouvelle
autorité conquérante il fit monter les dignitaires de la ville sur sa
goélette et les zigouilla en un temps trois mouvements. Par la suite les
Portugais établirent sur le sous continent des comptoirs, dont Goa,
destinés à récupérer à leur compte le lucratif marché des épices. Ils
apportèrent aussi dans leur sillage de nombreux missionnaires qui
s’acharnèrent à transformer les indigènes hindous en bons catholiques
pratiquants. La campagne de conversion fonctionna plutôt bien,
particulièrement au Kerala, et de nombreux membres des castes les plus
basses, ainsi que des intouchables, profitèrent de l’aubaine pour se
dégager des pattes arrogantes et souvent cruelles des brahmanes.
Puis les anglais sont arrivés, et sont repartis, sans laisser de traces
notables dans la ville. Ce fut du moins notre première impression.
Marchant dans les ruelles encombrées et boueuses de la ville, où sévit
la mousson, nous voyons, émergeant d’un auto rickshaw, un bras tatoué
d’un drapeau écossais qui nous salue, le pouce levé.
Quelques mètres plus loin, le véhicule étant immobilisé par le trafic,
nous retrouvons l’homme du rickshaw et nous échangeons des sourires. A
première vue il a un certain âge, il porte un teeshirt noir barré de
l’inscription Bacardi rentré dans un pantalon clair, tenue inusuelle
pour un Indien. A vue d’œil, on dirait un occidental.
Peu après le rickshaw nous double et s’arrête à notre hauteur. Son
occupant, très gentleman, dans un anglais parfait teinté d’une pointe
d’accent écossais, se présente et nous invite à monter dans son véhicule
pour aller boire un verre. Au feeling et sans hésiter, nous acceptons sa
proposition. Nous avons raison : nous venons de faire la connaissance de
l’étonnant Doctor M.
Malgré son look, sa moustache « so british », ses tatouages et son
diamant dans l’oreille Doctor M. n’est pas Britannique, mais Indien.
Grand et mince, il a un beau visage doux et affable, il parle agitant
les mains et un nuage de malice et de sympathie l’enveloppe.
Il nous emmène dans un agréable restaurant et nous prenons place autour
d’une table, sur une terrasse ombragée donnant sur une pelouse
verdoyante et bien entretenue, à l’anglaise.
Aux courbettes empressées que lui prodiguent les serveurs qui
l’appellent « Doctor », nous comprenons vite que notre gentleman est un
habitué assidu des lieux.
Tandis que nous sirotons des jus de fruits en grignotant des sandwichs
au poulet, Doctor M. siffle allègrement d’abord une bière puis un whisky
et, ô merveille, il nous raconte sa vie.
(… à suivre).
India, le 2 aout 2006 |