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Priya et sa famille

A 20 heures nous retrouvons Priya et sa famille dans le hall de notre hôtel.
Kannan, le père, gros nez surplombant une grande bouche volubile et oreilles décollées, a une cinquantaine d’années et il est très sympathique. On l’appelle Daddy et il parle, en volume maximum comme le lui font souvent remarquer sa femme et ses filles, un anglais fluide mais que sa prononciation à l’indienne nous rend quasiment incompréhensible.

Il nous salue chaleureusement. Priya semble tétanisée par le plaisir de nous revoir, elle nous fixe de ses grands yeux sombres, un sourire au lèvres, mais ne dit mot. Elle a 20 ans et elle ressemble à Daddy. Quand elle est distraite par ses pensées elle semble banale, mais quand elle sourit son visage s’illumine et elle devient belle. Elle est très affectueuse, elle m’écrit de longues lettres où elle m’appelle « aunty ».
Vishnu est plus jeune, elle a 16 ans et mériterait de perdre quelques kilos. Elle a un joli visage calme et serein.
J’ai immédiatement un élan de tendresse pour Janaki, la maman. Je ne sais pas encore définir pourquoi, mais c’est ainsi. Est-ce à cause de sa beauté ? Ses traits sont fins et bien dessinés, et surtout elle est gracieuse. Ses mouvements sont mesurés et délicats mais sans aucun maniérisme. Elle est un peu ronde. Je crois que c’est son expression qui me plaît le plus : un mélange de rêverie, de tendresse et d’humour.

Priya et Vishnu

 Après nous être salués nous nous asseyons ensemble dans les fauteuils du hall et une ébauche de conversation prend forme. Difficile ! Côté indien Daddy accapare la parole et nous en captons une sur dix, côté italo-français Fabio a une attaque de mutisme et je dois entretenir tant bien que mal la discussion.
Un silence s’installe, chacun attendant que les autres décident quelque chose.
Janaki lisse le pan de son joli sari en soie, Priya et Vishnu n’ont toujours pas ouvert la bouche et même Daddy s’est tu.
Je propose de dîner ensemble, comme nous l’avions prévu. Ils balancent la tête en chœur. Je leur demande s’ils connaissent un restaurant proche de l’hôtel. Nouveaux dodelinements suivis d’un conciliabule familial. Finalement Daddy nous propose d’aller dîner chez eux. Est-ce par politesse ? Pour respecter la tradition d’hospitalité des brahmanes ? Parce qu’ils ne veulent pas aller au restaurant ?
Nous nous concertons nous aussi pour déterminer ce qu’il convient de faire, et guidés par la curiosité, après des salamalecs d’usage « Oh, no, thanks, we don’t want to disturb ! » nous acceptons leur invitation. S’en suit un second conciliabule, au terme duquel Janaki nous demande : « Noodles ? » et nous : « Oh yes, sure, we love noodle ! ».
Et nous voila dans la rue et Priya me prend affectueusement par la main. Daddy cherche un taxi, Janaki trottine à ses côtés et Vishnu papote avec Fabio.
Ils habitent un Housing Unit, autrement dit une cité, dans la banlieue de Coimbatore. Construit il y a 20 ans l’ensemble, qui compte 1500 appartements, a certainement connu son heure de gloire mais la piètre qualité des matériaux alliée à un total manque d’entretien, sont vite venus à bout de la splendeur initiale. Sur les petits immeubles bas les couleurs se sont délavées et laissent en maints endroits apparaître des briques rongées par les intempéries. Des tiges de fer rouillées trouent ici et là les façades et les larges allées sont ravinées, mais la population initiale, composée de familles de classe moyenne, n’a pas changé. Malgré l’état de délabrement des lieux les habitants de cette cité ne sont absolument pas pauvres. Ils sont employés, jeunes ingénieurs ou petits bussiness man, comme Daddy.
Aucune des nombreuses dégradations n’a été accomplie volontairement, pas de tags, ni de dessins obscènes sur les murs, pas de carcasses de voitures brulées ou de poubelles incendiées. La cité respire le calme et le bien être, en ce soir tombant on dirait un village. Il n’y a pas de véhicules motorisés, à peine quelques motos et des vélos. Des oiseaux chantent dans les nombreux arbres qui séparent les groupes d’immeubles, les enfants jouent dans la rue où sur une vaste esplanade en terre battue aménagée en terrain de sport. Devant les escaliers des immeubles des hommes et des femmes sont assis pour discuter dans la douceur du crépuscule.
La famille de Priya habite au premier étage. L’escalier externe conduit à un petit palier où se trouvent leur porte, ouverte, la porte des voisins de gauche, ouverte et la porte de la voisine de droite, ouverte elle aussi, ce qui donne l’impression d’un grand appartement occupé par différentes familles, une impression de communauté.
L’appartement est petit, deux pièces, dont une avec un lit, une minuscule salle de bains une cuisine et un petit balcon.
Il y a un réel problème de logement pour les classes moyennes au Tamil Nadu et probablement dans toute l’Inde. Même un bon salaire ne permet pas de louer ou d’acquérir un appartement de taille suffisante, ou s’il le permet il n’y a pas suffisamment d’offres.

Daddy va acheter des noodles dans une échoppe du coin. Les filles se sont remises de leurs émotions et nous discutons avec elles. Vishnu étudie le français à l’école, elle me montre son livre et Priya ouvre tous les produits de beauté que nous lui avons apportés (elle en raffole).
Nous dînons assis tous ensemble assis sur une natte. Fait notable, Janaki dîne avec nous. Très souvent, conformément à la tradition et comme nous l’avions constaté dans d’autres familles, les femmes mangent séparément.
Après le dîner nous faisons tous ensemble des plans pour la journée du lendemain. Nous aimerions beaucoup passer la journée avec Priya, rencontrer ses amies afin de mieux la connaître et travers elle d’essayer de comprendre les jeunes filles indiennes. Mais c’est difficile car Daddy veut à tout prix nous convaincre d’aller visiter un temple à 30 kilomètres de la ville .
Finalement nous convenons d’un rendez-vous à notre hôtel le lendemain à 10 heures, mais sans très bien savoir avec qui.

(...à suivre)

India, le 24 juillet 2006

Kannan et Janaki

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Claudine Tissier & Fabio Campo