07.07.2007
Chez Roy a' Keerithodu
Hier, sous une pluie parfois battante, un autobus brinquebalant, vaillamment lancé sur une route de montagne défoncée, semée d’arbres abattus par le déluge et de monticules de terre déposés par les flots qui dévalent les pentes, nous a emmenés chez Roy.
Ce voyage chaotique a duré trois heures à aller (et autant au retour) mais l’insistance de Roy avait eu raison de nos réserves. Il voulait absolument nous montrer la maison qu’il vient d’acquérir, et nous étions aussi contents de revoir ses parents, que nous avions rencontrés il y a deux ans. De plus, notre présence leur permet, à Sini et lui, de passer quelques heures ensemble.
Le père de Sini ne veut pas entendre parler de Roy (même s’il est au courant de son existence) tant qu’ils ne seront pas mariés. Dans la petite communauté de Kaippattoor, la réputation d’une famille est essentielle, un faux pas peut la ternir pour longtemps.
Donc Roy a acheté une maison, grande et belle (suivant le goût kéralais), entourée d’un terrain planté de vanilliers, de cacaotiers, de poivriers, et d’hévéas.
Il a acheté cette maison pour y loger ses parents, qui eux, laisseront la leur au frère aîné de Roy et à sa famille. La tradition veut que ce soit le fils le plus jeune qui hérite à la fois de la demeure familiale et de la charge des parents. Chaque médaille a son revers et ce dernier est souvent bien lourd pour l’épouse du fils qui se retrouve, certes, logée, mais contrainte de prendre soin de ses beaux parents âgés, et parfois peu amènes, les belles-mères étant même souvent franchement désagréables, avec une vilaine propension à confondre bru et servante.
La maison est en travaux, une dizaine d’ouvriers noirauds aux trognes réjouies et cabossées comme de vielles casseroles, le lunghi remonté en forme de short entre les jambes, s’activent à leur rythme (fort lent), sur des échafaudages branlants pour repeindre les murs. Mais la pluie ne facilite pas leur tâche, le chantier n’avance guère et Roy piaffe d’impatience. Il voulait dormir avec sa belle (et nous accessoirement) dans la nouvelle maison, mais pour l’instant, c’est raté.
Tout fier (comme Sini qui devient plus belle au Kerala, Roy explose de lumière et d’enthousiasme, ses yeux brillent, il parle et rit sans arrêt, comme un gamin qui voit ses rêves se réaliser et veut communiquer son bonheur) il nous a fait monter dans la jeep d’un copain pour aller déjeuner chez ses parents, sur la colline au-dessus du village.
J’ai beaucoup de tendresse pour les parents de Roy. Pour son père, paysan lucide, conscient de la dégradation de l’environnement, de la fragilité de la réussite, de la vanité de la richesse, qui amasse des kilos de poivre noir de peur qu’un effondrement du marché des épices ne réduise à néant les efforts de ses fils. Car la famille vit de la vente de la vanille, de la cardamome qui parfume le thé, du cacao, du poivre, du clou de girofle dont l’arôme réveille la saveur du poulet frit, de la noix de muscade réputée pour ses vertus calmantes et digestives et surtout de l’hévéa.
Drôle de produit que le caoutchouc ! Avant de nous arriver sous forme de pneus, il a suivi bien des transformations et a été l’objet de bien des soins.
Le lait, coulant de l’arbre saigné, est recueilli chaque jour dans un seau, puis lavé et mis à sécher. Ensuite, la pâte est passée dans une machine (ci-dessous) qui la conditionne en plaques qui seront alors vendues à la coopérative locale.
J’aime aussi la douce et fragile maman de Roy. Il y a deux ans, quand pour la première fois Sini, l’amante de leur fils, mariée à un autre homme, donc porteuse d’un parfum de scandale, est venue avec nous leur rendre visite, elle lui a tendu la main pour franchir le seuil de la demeure. Imposant par ce geste cette belle-fille qui n’en portait pas le titre à son mari, plus rigide, ne sachant exprimer ses émotions.
Mais je lis dans ses yeux une étincelle de malice et de bonté rugueuse, un sourire intérieur de fierté quand il regarde Roy, le fils farfadet, remuant et rebelle qui, à 20 ans, durant des jours sans donner de nouvelles, conduisait à toute vitesse la jeep sur les étroites routes de montagne enchâssées dans la jungle, et qui, aujourd’hui, leur revient, enrichi et assagi.
Il y avait aussi le frère de Roy, sa si jolie épouse, Bindu, leurs trois enfants : Alan, Abel et David et Alphin un jeune neveu venu passer quelques jours.
Puis nous avons repris le bus brinquebalant et bondé, qui traçait son sillon dans la frémissante immensité d’émeraude, piquée du rouge des ibiscus froissés, et dont la pluie à nouveau battante en exaltait la luisance.
08:40 Publié dans Nouvelle chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (8) | Envoyer cette note | Tags : inde, sini, roy
Commentaires
pour la maison et la mère chez nous, algériens ou presque c'était l'ainé, et ma grand mère, soufreteuse et indomptable a vécu 100 ans. Ma tante n'était franchement plus jeune quand elle est devenue maitresse.
Merci de la leçon sur l'hévéa.
Les mères intelligentes sont toujours le déclencheur des acceptations mais le père est très beau.
merci pour ce voyage
Ecrit par : brigetoun | 07.07.2007
Chère Céleste...
à lire ce récit, on sent l'odeur des épices, comme dans le magnifique et terrible) "Dieu des petits riens d'Arundhati Roy...
Tu parles de voyage sur une pluie battante, les journaux parlent d'une mousson particulièrement meurtrière en Inde, est ce que ça touche les régions où tu es?
Ecrit par : valdo lydeker | 08.07.2007
On te garde un peu de notre soleil méditerranée, et de l'Adriatique aussi pour la rentrée.
Ecrit par : martingrall | 08.07.2007
Moi aussi je pensais au livre d'A. Roy en lisant ce billet-reportage... C'est l'ébauche d'un vrai roman cette histoire familiale, Roy, Sini...
J'aime quand tu évoques la végétation, c'est tellement un univers différent de l'Europe !
A bientôt.
Ecrit par : Fauvette | 08.07.2007
A la lecture de ton billet, c'est un gros bol d'optimisme sur la mentalité des gens que j'ai eu. Ta vision honnête et sans clichés de la région que tu visites, est bien loin de la conception de supériorité qu'expriment certains occidentaux lorsqu'ils vont dans des pays du tiers monde. Merci à toi... Ton billet est une preuve de respect et d'ouverture d'esprit à d'autres culture et d'autres coutumes
Ecrit par : kessy007 | 08.07.2007
pitié Kessy, parle pas de pays du tiers monde... c tout autant méprisant que ces occidentaux qui se sentent supérieurs...
Ecrit par : jerome | 09.07.2007
Je sens la pluie, les épices, une certaine candeur des hôtes. J'étais au Kerala le temps de tes trois billets. Merci. Bon voyage à Fabio et à toi.
Ecrit par : Marc | 10.07.2007
Ok mais quand je dis "Tiers Monde", c'est pour qu'on se comprenne..
Ecrit par : kessy007 | 14.07.2007
Écrire un commentaire
NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.