16.07.2006
Enfant de personne
Dans le train presque vide qui nous mène de Trichy à Mayanoor, un petit garçon nous observe. Il semble avoir une dizaine d’année, il est mince, sale, vêtu d’un short et d’une chemisette tachés et ses cheveux sont coupés courts. Ses pieds sont nus et sa peau est sombre.
Il passe et repasse à côté de nos sièges, nous souriant de toutes ses dents blanches.
Apparemment il est seul. Un passager lui donne quelques piécettes, il les empoche joyeusement et lorsque le train s’arrête à une gare il descend s’acheter un paquet de chips qu’il engloutit sur le champ. Puis il reprend son poste d’observation, assis sur une banquette voisine de la nôtre.
Environ dix minutes plus tard il s’enhardit, s’approche de nous et nous demande « Come from ? ». Nous répondons : France et Italie. Il balance la tête de droite à gauche et pose une seconde question : « Trichy ? » et nous en chœur : « Yes, yes, and you ? » Il ne répond pas mais balance à nouveau la tête. Du doigt je montre Fabio et je dis : « Fabio », puis moi et je dis « Claudine », puis je le désigne et il comprend. Il me dit son prénom mais cette fois c’est moi qui ne comprends pas, il répète patiemment, je ne comprends toujours pas, les prénoms indiens sont souvent longs, compliqués et très difficile à mémoriser.
Nous continuons la discussion, je lui demande « Amma ? Appa ? » ce qui veut dire maman et papa en tamil et il me répond « Illai, Illai ! » qui veut dire non.
Le train s’arrête dans une gare assez importante, il descend, je le vois sautiller sur le quai, puis il se retourne et agite la main vers moi.
Il s’éloigne, revient avec une longue bande de carton qu’il s’amuse à faire voler, contrôlant toujours notre présence, Fabio le filme et il se met à rire.
Le carton se déchire.
Il va boire à une fontaine et parle à un homme, j’espère un instant qu’il s’agit d’un parent venu le chercher, mais non, l’homme s’éloigne et le gamin reste, sautant allégrement d’un pied sur l’autre.
Il traverse les rails, s’approche de la fenêtre où je suis accoudée me montre une direction et agite la main en signe d’au revoir. Peut être que le train qu’il attendait va arriver. Je lui fais signe de s’approcher et je lui donne un peu d’argent, il plie soigneusement le billet avant de le glisser dans la poche de sa chemisette, puis il recule rapidement, remonte sur le quai et disparaît à ma vue, caché par un nouveau train.
Mais coucou le revoilà, dans l’encadrement de la porte d’un wagon, riant de plus de belle. Le train dans lequel il est monté repart vers Trichy, peut être passe-t-il ainsi ses journées, entre deux gares, entre deux trains.
Mais nous partons, notre convoi s’ébranle lentement, nous agitons les mains, nous nous regardons en souriant et j’ai le cœur serré.
Petit vagabond léger et joyeux, je te regarde t’éloigner et je pense à Rimbaud
« Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou- frou. »
Et je pense à tous ces enfants de personne qui errent en Inde au gré de leur fantaisie.
Souvent ils sont orphelins, leurs parents sont morts et personne dans la famille n’a voulu les prendre en charge, ou le parent vivant s’est remarié et le nouveau conjoint n’a pas voulu d’un gamin intempestif, ou on les envoyés chez un oncle ou une tante qui les a maltraités et ils se sont sauvés. Toujours est-il qu’ils vagabondent, dorment sur les trottoirs, mendient, travaillent parfois. Quand un orphelinat les récupère certains restent et vont à l’école, d’autres repartent dans la poussière. Ils sont souvent joyeux ces enfants de personne, inconscients des pièges qui les menacent.
Après les attentats du 11 juillet, un petit garçon d’une dizaine d’année, entre la vie et la mort est resté anonyme pendant trois jours, personne ne l’ayant réclamé.
Puis le quatrième jour son père s’est manifesté, mais peut-être était-ce seulement pour empocher la prime que le gouvernement a promis aux familles des blessés…
Je ne sais pas, j’espère que non.
India, le 16 juillet 2006
07:20 Publié dans Chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (1) | Envoyer cette note
Commentaires
il a déjà appris la survie, et il a en lui le charme qui aide à la trouver. Que cela ne lui joue pas un mauvais tour
Ecrit par : brigetoun | 18.07.2006
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