10.12.2006
Ko Lanta, le jour du tsunami (suite)
Sur notre chemin, des voitures renversées, des maisons détruites, des arbres abattus témoignent de la violence des vagues.
Nous n’avons aucune idée, ni de ce qui c’est réellement passé, ni de la dramatique ampleur de l’événement.
La voiture nous dépose à flanc de colline, tout en haut, un restaurant panoramique en construction est déjà investi par des dizaines de thaïs et de touristes.
Nous nous installons sur une terrasse en bois. D’un groupe à l’autre, quelques informations commencent à circuler.
Et quelles informations !
Une femme affirme que l’océan a submergé le Bengladesh. « Et aussi les Maldives ! » dit un homme en anglais. « Et le Sri Lanka ! » ajoute un troisième.
Et tous s’accordent sur un point, le pire est à venir, une nouvelle vague est sur le point d’arriver, énorme, gigantesque, encore plus meurtrière.
Nous tentons de faire la part des choses, s’il apparaît, effectivement, que la situation est beaucoup plus dramatique que ce que nous avions initialement pensé, la colline sur laquelle nous nous trouvons a une altitude d’au moins 300 mètres, si l’eau arrive jusqu’à cette hauteur, toute l’Asie sera submergée et il faudra bien accepter le destin.
A ce moment là, le téléphone de Néna lui signale l’arrivée d’un message de sa sœur. Elle est en Italie, elle vient de se lever, elle a allumé la radio, a entendu les infos et a écrit, visiblement très préoccupée « Où êtes-vous ? Donne tout de suite de vos nouvelles, nous sommes très inquiets. »
Ce à quoi Néna répond illico « Tout va bien, nous sommes sur une colline, en sécurité, que s’est-il passé ? ».
Pour être honnête nous ne sommes pas complètement convaincus d’être en sécurité, mais effrayer nos proches serait stupide.
Et, d’Italie, la sœur de Néna répond « Epicentre Tsunami Indonésie ».
Tsunami ? Nous nous regardons incrédules. C’est où ? C’est quoi ? Une île ?
« Pfffft, dit Gio, vous êtes nuls, un tsunami, c’est un raz-de-marée ! »
Un raz-de-marée !!!
« Oui, nous confirme un français qui passe, on commence à avoir des informations, il y a eu un tremblement de terre en Indonésie. Ça a provoqué un raz-de-marée, à Sumatra, les dégâts sont énormes, probablement des milliers de morts. En Thaïlande on ne sait pas encore, mais j’ai entendu dire qu’à Phuket et à Phi Phi la situation est dramatique. »
A Phi Phi ! Il y a 24 heures nous déambulions dans ses ruelles étroites et bondées.
Nous avons eu une chance folle, chez Kun, l’eau a eu de la place pour se répandre, à Phi Phi, elle a dû s’engouffrer entre les boutiques et les maisons, sa violence redoublée par l’exigüité des lieux, et tout emporter sur son passage.
Je téléphone immédiatement à mes parents, eux aussi viennent d’entendre les informations, on parle de milliers de morts en Indonésie, en Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande.
Nous sommes maintenant près de deux cents sur la colline. Des femmes et des enfants thaïs se sont regroupés sur des nattes. L’inquiétude se lit sur les visages, qu’ont-elles laissé sur le bord de mer ? Un restaurant ? Une boutique ? Une maison ? Peut-être ont-elles des maris pêcheurs, embarqués ce matin sur de frêles embarcations ?
Par rapport à eux nous ne sommes vraiment pas à plaindre, au pire nous ne retrouverons pas nos valises.
Les téléphones portables sonnent de toutes parts.
Le restaurant prépare des plats de riz et met la musique à fond, Tracy Chapman
Le temps passe.
Interminable.
Vers 15 heures Ho arrive, il nous a cherché partout, dans tous les camps de fortune, Kun et lui étaient préoccupés pour nous. Au resort, seul un bungalow est tombé, mais l’eau a tout envahi, la cuisine, le lounge, trempant le matériel informatique, et l’impressionnante collection de CD de Kun, disc jockey pour des soirées.
Néna s’acharne sur son téléphone pour joindre le ministère des affaires étrangères italien, rien à faire, nul ne répond.
Nous prêtons nos portables à des Français qui veulent rassurer leurs familles. Les vagues les ont surpris alors qu’ils étaient à la plage, ils n’ont pas pu retourner dans leur bungalow, ils n’ont rien, ni papiers, ni argent.
Vers 16 heures Fabio et Alberto décident d’accompagner Ho au resort, par sécurité nous passerons la nuit sur la colline, mais peut-être peuvent-ils rapporter des vêtements plus chauds et des couvertures, cette nuit, il fera plus frais.
Nous attendons leur retour.
Le temps passe.
Les toilettes sont bouchées.
Il n’y a plus d’eau au robinet.
Les hommes reviennent.
La nuit tombe sur les petits groupes épars, assis au milieu des ballots et des bouteilles vides.
La musique est toujours aussi forte.
Ambiance de fin du monde, nous serions les seuls rescapés, perdus en haut de cette colline, à attendre sans trop savoir quoi, au son de David Gray.
“ Sail away with me honey
I put my heart in your hands
Sail away with me honey now, now, now
Sail away with me
What will be will be
I wanna hold you “
Deux thaïlandais s’affairent pour monter des tentes, à ma grande honte, les touristes ne bronchent pas et nous sommes presque les seuls à aider. Assis contre un arbre, un jeune indien pleure, la tête entre les mains. La plupart des téléphones sont désormais muets, vides ou déchargés, mais certains lancent encore des appels désespérés pour joindre des amis, ou de la famille, dont ils sont sans nouvelles.
Nous nous forçons à manger un peu de riz, mais il faut reconnaître que la bière passe nettement mieux.
Toujours la musique, Jack Johnson « Times like this. »
Et l’attente.
Autour de nous la jungle bruit et s’agite. Une jeune femme pousse un hurlement, elle vient de voir un serpent se faufiler sous un buisson, à un mètre d’elle.
Du coup, quand un petit crapaud saute brusquement sur ma couverture j’hurle moi aussi.
Un groupe de musulmans a planté des tentes en contre bas, les hommes jettent sur nous des regards froids et leurs femmes restent invisibles. Dans cette zone, proche de la Malaisie, il y a de nombreuses frictions religieuses.
Malgré la musique l’ambiance est tendue.
Des touristes nordiques se gavent de bière, puis disposent les cannettes en cercle autour d’eux.
Puis c’est le silence.
Vers deux heures du matin, épuisés, nous nous allongeons à même le sol sous une tente pour essayer de dormir.
A suivre…
20:00 Publié dans Le tsunami | Lien permanent | Commentaires (7) | Envoyer cette note | Tags : tsunami thaïlande
Commentaires
Oh la la Céleste, quelle aventure effrayante ! Je suis suspendue à ton récit et frémis d'imaginer que tu es en train de revivre en te replaçant dans l'ignorance de ce que tu as mesuré par la suite. Ton récit est très édifiant. Les vidéos sont passionnantes, quels souvenirs !
Ecrit par : Otir | 10.12.2006
et Fabio donne un côté suréaliste avec la musique, les deux ventilateurs affrontés - et le réalisme des orteils qui cherchent la couverture et des jeux des enfants.
c'est effrayant cette puissance - même pour ceux qui n'y ont perdu que des objets il doit rester un effroi non ?
et Céleste telle qu'en elle même notant la passivité des touristes qui continuent à se faire servir
Ecrit par : brigetoun | 10.12.2006
ce qui doit être terrible est de repenser à ces visages croisés la veille
ces sourires échangés
ces parfums suspendus dans les ruelles qui ont tourné la tête
et se dire que c'était déjà
hier...
Ecrit par : Viviane | 10.12.2006
Moi aussi je suis suspendue à ton récit. C'est terrible ! et cette musique ...
Ecrit par : Sophie Ménart | 11.12.2006
Idem que tous nos amis ici présents. C'est saisissant.
Ca change de la quiétude de Bologne ou des photos idylliques. Mais c'est la vie.
Bonne semaine à tous
Ecrit par : Falconhill | 11.12.2006
Ton récit nous ramène en arrière, on a tellement vite tendance à oublier ce qui se passe loin de nous.
Aujourd'hui, ont-ils reconstruit ?
Ecrit par : Dom | 11.12.2006
Vous ne vous rendiez même pas compte de l'importance du drame que vous viviez ! Avec du recul c'est encore plus effrayant, non ?
Ecrit par : tanette | 11.12.2006
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