Small Things Productions

2007

Quand les mots anciens ne se forment plus sur la langue, des mélodies nouvelles surgissent du cœur; et là où les vieilles pistes ont disparu, un nouveau pays se révèle avec ses merveilles.

Rabindranath Tagore, "Gitanjali"

LES TEXTES:

(CHENNAI ET TAMIL NADU)

Chennai, enfin

Kollywood Party
Chennai, d’un set à l’autre
Johny, un garçon positif
Johny : de la difficulté à être musulman
journée à Madurai : chez Mohammed (1)
journée à Madurai : chez Mohammed (2)
Une soirée à Madurai

(PONDICHERRY et MAHE)

14 juillet à Pondicherry
Pondicherry, les gens
Les gens de Pondy : Jean-Michel
Les gens de Pondy (suite)
D'autres gens de Pondy
Ah les filles, ah les filles
La nouvelle Pondy
Mahe, une perle au bord de la rivière noire
Mahésiennes et Mahésiens
Mahe, d’un lieu de culte à l’autre
Quitter Mahe

(KERALA)

Kaippattoor au quotidien
Chez Roy à Keerithodu
Un dimanche à Ernakulam
Souffrir dit-elle
Mon dentiste préféré
La casa delle mamme : la rencontre
La casa delle mamme : Happyland
Namaste : l’école des handicapés
La casa delle mamme : deux noix de coco fraîches…
Casa delle mamme (suite) : les Sims
Namaste : Dix petits indiens
Namaste : au cirque

(ON THE ROAD)

De Chennai à Kaippattoor
De Kaippattoor à Pondicherry
Inde, 60 ans d’indépendance
Je craque ?
Rentrer

 

LES PHOTOS:

Ranganathaswami Temple in Trichy
Mahe: la rivière et les fleurs
Mahe: people and culture
Chennai d'un set à l'autre
Pondicherry: Peter, Flora et les autres
Pondicherry: marché aux poissons
Pondicherry: le marché
Railways: de Angamali à Trivandrum
Happyland avec "la casa delle mamme"

LES VIDEOS:

Mahe, une perle indienne
Jogging in Pondicherry
Fisherman in Pondicherry
Une nuit à Pondicherry
Défilé in Pondicherry
Happyland et la casa delle mamme

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" Les gens de Pondy : Jean-Michel "

Lorsque Jean-Michel nous reçoit dans son atelier, où il bichonne amoureusement une superbe collection de motos anciennes unique en Inde du sud, il nous raconte quelques bribes de sa vie.
Sa passion de la moto date des années passées dans les rangs de l’armée française. Comme beaucoup d’hommes Franco-Pondicherriens, à 20 ans, il s’est engagé pour défendre une mère patrie qu’il ne connaissait pas et dont il parlait mal la langue, apprise sur les bancs de l’école, mais jamais utilisée.

Quand je lui demande pourquoi il avait fait ce choix, il me répond que c’était un parcours évident, inévitable.
« On a été élevés dans l’idée de ce départ, tout nous y a poussés, nos parents, la pression sociale, les Tamouls aussi, qui nous disaient : toi t’as de la chance, tu es Français, nous on ne pourra jamais partir, si tu n’y vas pas, c’est que tu es paresseux. »

A peine arrivé en France, il est expédié dans une glaciale garnison allemande. Outre le froid mordant, qu’il supporte mal, il est déstabilisé par son imparfaite connaissance de la langue.
« Va prendre ton flingue ! » lui ordonne-t-on. Et lui se demande : « C’est quoi un flingue ? Un fusil ? ».
Sa carrière achevée (au sein de l’armée elle est brève), Jean-Michel est revenu vivre à Pondy, pour être près de son père et par attachement à sa ville natale. Il a acheté une jolie maison et se livre à son aise à la passion de la mécanique. La journée finie, il s’installe dans les bars branchés de la ville blanche où sa belle prestance lui assure un certain succès auprès des belles étrangères nordiques (ou non).

Plus tard il nous accompagne chez son père, un vieux monsieur, héros militaire, qui répond au nom de Byron (et oui, comme le fameux lord).
La famille de Byron a pris la nationalité française en 1882, c’est donc une famille de «renonçants », probablement très modeste car l’être humain est ainsi fait qu’il lui est plus facile de se passer du droit à avoir des privilèges quand il n’en a pas que lorsqu’il en a.

Toujours est-il qu’en 1947, le jeune Byron, âgé de 19 ans et qui vivotait en travaillant comme mitron (être français dans ces années là à Pondicherry n’assurait nullement la richesse) s’est engagé sous les drapeaux pour défendre les intérêts coloniaux hexagonaux en Indochine, plus précisément au sud Vietnam.
Ayant peu fréquenté l’école, sa connaissance du français se résumait alors à quelques mots prononcés avec un tel accent tamoul qu’ils en étaient incompréhensibles. Mais, nous dit-il, ce ne fut pas un problème, dans son régiment du Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient, seuls les gradés venaient de la métropole, les autres, mélange d’africains, d’asiatiques et de malgaches, ne parlaient pas plus la langue de Molière que lui et quand le chef (désolée mais je m’embrouille dans les grades) voulait ordonner d’ouvrir le feu, il mimait en faisant « taca-taca-taca-tac ».

Il se souvient des attaques, des tirs, des copains morts, blessés, amputés.
Il se souvient aussi de ces familles vietnamiennes qu’il a sauvées, simplement, juste en criant à son chef « Ici, y a personne ! » alors qu’il voyait des malheureux, tremblant d’effroi, se terrer dans un abri.

Le 9 mai 1952, cinq ans déjà qu’il crapahute dans les jungles indochinoises, il est en première ligne lors d’une attaque contre les soldats de la ligue pour l’indépendance du Viêtnam. L’air âcre pique les yeux, la chaleur est intenable, même pour l’enfant de Pondicherry, les hommes sont épuisés, en face l’ennemi, increvable, acharné (il se bat pour sa propre liberté), attend son heure pour fondre sur les rangs français. Au signal du gradé les soldats tricolores de la deuxième ligne lancent les grenades sur la ligne des viets, l’un d’entre eux rate son coup, et le projectile explose sur la première ligne. Byron se souvient d’un éclair éblouissant et d’une énorme claque assénée sur sa tête, si forte qu’il s’écroule sur le sol, au milieu des ténèbres qui, désormais, seront siennes, pour toujours.
Un liquide chaud se répand sur son visage, il vient de ses yeux.

Revenu à lui, il appelle ses compagnons, nul ne répond et il comprend alors ce que ses yeux aveugles ne peuvent voir. Il est le seul survivant, et les larmes se mêlent au sang, ces mêmes larmes, qui, maintenant coulent doucement devant nous.
Si les opposants l’attrapent, il sera torturé, affamé, tué à petit feu pendant des jours, les soldats ont plus peur d’eux que de la mort.
Alors, à tâtons, il sort une grenade de sa ceinture, la tient contre son ventre, sa main prête à tirer la goupille.
Mais l’ennemi, dérouté par cette attaque, pourtant en partie ratée, a pris la fuite, et ce ne sont pas les hommes du Viêt Minh qui arrivent à travers les hautes herbes, mais la deuxième ligne du Corps Expéditionnaire.
Byron est sauvé, vivant, mais aveugle. Il a 23 ans.
Il est hospitalisé sur place, puis, quelques jours plus tard un avion doit l’emmener dans un autre hôpital, à Paris. Les copains lui font la fête, et il est prêt à embarquer quand arrive un contre ordre, un soldat plus gravement blessé est prioritaire, lui, ne partira que la semaine suivante.
Et le vieux Byron se met à rire « J’ai eu de la chance, l’avion s’est écrasé ! »
La vie joue de ces tours parfois !

Il est rentré au pays, il a été décoré, fêté, honoré.
Il s’est marié et à eu une ribambelle d’enfants qu’il n’a jamais pu voir.
Alors la guerre, il ne veut plus en entendre parler, jamais, nulle part.

     
Small Things Productions

2007

Claudine Tissier & Fabio Campo