28.01.2007
Alex, aux semelles de vent
Nous étions en 1979, préoccupée par mon joli bébé tout neuf, j’ai peu suivi l’actualité de cette année là . Pourtant, elle fut déterminante.
Au Cambodge, la chute du régime sanguinaire de Pol Pot marqua la fin d’un interminable cauchemar. Quelques jours plus tard le Shah d’Iran, malade, quitta son pays, ce qui provoqua le retour, en djellaba et en héros, de l’ayatollah Khomeiny, qui attendait son heure en France. Il fonda au plus vite une république islamique basée sur le retour à la pureté religieuse et sur le rejet de l’occidentalisation.
Le choc pétrolier qui s’ensuivit entraîna une vague de panique dans les pays consommateurs, le prix du baril de brut tripla.
Pendant ce temps-là , en France, sévissait Giscard d’Estaing et, tandis que Louis Pauwels, tout content de lui, définissait le concept de « nouvelle droite », Action Directe, baptisée de peu, passait à l’attaque contre l’impérialisme capitaliste en mitraillant le siège du patronat et Jean Marie Le Pen entrait en politique.
En Angleterre, mauvaise pioche pour les miséreux, Margaret Thatcher, devint premier ministre.
Au mois de mars, Menahem Begin et Anouar el-Sadate signèrent un traité de paix entre l'Égypte et Israël, il mettait fin à une guerre qui durait depuis 1948. L'Égypte reconnut l'État israélien, qui évacua le Sinaï. Et un élan d’optimisme, qui fut malheureusement vite brisé, parcourut le Monde.
Hélas, le 27 décembre, les soviétiques, sous la houlette de Brejnev, envahirent l’Afghanistan.
Mais moi, émerveillée, je regardais Alexandre, mon fils.
Quand il dormait j’approchais mon oreille de son visage pour sentir son souffle léger.
La nuit, je l’installais sur l’oreiller, tout contre moi, et glissais un mamelon dans sa bouche, il tétait, je somnolais.
Petit garçon joyeux, il aimait jouer, faire du vélo et les histoires que, le soir venu, je racontais pour l’endormir.
Et puis il a grandi, le collège a succédé à l’école élémentaire, puis ce fut le lycée, l’université.
D’un anniversaire à l’autre, le temps a filé.
Je suis partie.
Lui aussi, son sac sur le dos, à la découverte du monde.
Parfois j’ai la nostalgie de son enfance, de ces deux petits garçons (Romain est né l’année suivante), rieurs et malicieux, que, consciencieusement, j’accompagnais à l’Académie de musique, à la piscine ou au stade.
Les jours de tristesse, ils me manquent.
Cette semaine, Alexandre, après un long périple en Amérique du Sud et 5 mois de travail au Danemark, a posé pour quelques jours son sac à Bologne.
Ne voulant ni travailler dans un bureau, ni de se plier aux ordres d’une hiérarchie, il a choisi la liberté et les boulots aléatoires.
Un jour ici, un autre ailleurs, sur les routes du monde. Ils sont nombreux à vivre comme lui, qui se fichent bien des grands patrons et des mouvements du CAC 40, qui se retrouvent d’une vendange à l’autre, de l’Europe du Nord à l’Amérique du sud en passant par l’Asie, qui vivent de peu, n’alimentant guère la grande machine à consommer, qui connaissent le goût du vent et le plaisir de marcher seul vers l’inconnu, qui sont, nomades d’aujourd’hui, des êtres libres et sans frontières.
Il a gardé de l’enfance son sourire, sa nonchalance, son goût de l’aventure qui le pousse à voyager seul, à la rencontre des autres.
Il est grand, il est beau, et moi, je lui dis toujours des choses simples, bêtes et tendres comme « Tu as pris un pull, il doit faire froid là où tu es ? », ou « Fais attention de ne pas perdre ton passeport ! ».
Pourtant, même si mes yeux aimants voient toujours un enfant, je sais qu’il est un homme.
Et je suis fière d’être sa mère.
« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent.
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! »
(Baudelaire)
19:20 Publié dans Journal intime | Lien permanent | Commentaires (23) | Envoyer cette note
Commentaires
c'est vrai qu'il est beau, ton grand fils (qui a presque mon âge!).
N'es tu jamais inquiète de le savoir toujours sur les chemins? Enfin, tel mère, tel fils, non?
Profite, ma belle, profite avant qu'il ne s'envole à nouveau... ;)
Ecrit par : fanny | 28.01.2007
alors là , je retrouve un de mes neveux - et sa mère : pas confortable du tout comme rôle, mais il est si beau. Et c'est vrai (en plus courtois à l'extrème sauf si on veut le contraindre)
Et sa vieille tante est amoureuse de lui, enfin presque
Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 28.01.2007
céleste je te hais :o)))
m'en fous, on va raconter partout que tu nous a refilé ta morpionne vieille france :o)))
on a commença chez swami :o)))
pitan, le cadeau ....
Ecrit par : les marques | 28.01.2007
Que c'est dur d'elever un enfant, et que ca doit etre bien de le voir "grandi" et bien dans sa peau ..
Ecrit par : amarula | 29.01.2007
C'est très tendre et très beau.
Ca te ressemble.
Nos enfants sont resplendissants et confiants car ils se savent aimer.
Les années passent mais la complicité demeure.
Depuis son plus jeune âge, mon fils et moi avons un petit jeu qui n'appartient qu'à nous deux.
"Maman. C'est qui le plus beau ?"
"C'est toi, mon ange."
"Merci, maman."
Ceux qui jugent d'un mauvais oeïl de tels compliments qui risqueraient de faire virer un enfant dans le narcissisme se trompent.
Un enfant -même préadolescent- fait la part des choses.
Bientôt, ce sera celle dont il tombera amoureux qui lui dira ça.
Je suis d'accord avec toi. Nos enfants sont magnifiques pour nos yeux et nos coeurs de mères.
Les aimer, c'est les aider à mieux s'envoler.
Ecrit par : corinne | 29.01.2007
Voilà un gars qui a l'air sympa! Et il a reçu une éducation libre.
Le voyage, le nomadisme est une force, un enrichissement. Mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est aussi une forme de précarisation. Une condition qui nous est imposée par ceux que tu appelles les patrons justement du CAC 40.
Enfin, les voyages forment la jeunesse... et après cela Alex posera son baluchon!
Ecrit par : Eric | 29.01.2007
Je t'endends lui dire: "Tu as pris un pull au moins?" Et tu le lui diras toujours. Et toujours il maugréera. Et ce n'est que lorsque tu ne seras plus là qu'il comprendra que cela devait être ainsi et que c'était bien.
Ecrit par : Marc | 29.01.2007
Tiens un point commun, moi aussi j'ai eu un fils en 1979... Pour ton portrait c'est d'accord, je le fais la semaine prochaine.
Ecrit par : irene | 29.01.2007
Joli portrait, très émouvant...
Ecrit par : enriqueta | 29.01.2007
Dois-je en conclure que - conformément plus ou moins à l'éducation qu'il a reçue - ce charmant jeune homme trouve la liberté dans "les boulots aléatoires" ?
Ma connaissance des hommes me fait penser au contraire qu'il est en quête de quelque chose d'enfin stable et définitif. Mais je peux me tromper...
Les "vrais voyageurs" ne sont-ils pas justement les globe-trotters qui cherchent chez les autres, mais notamment AILLEURS, une vérité pour eux-mêmes ?
Plein de bonheurs (garnds et petits) pour Alex qui est si jeune encore ! (Mes fils, grands voyageurs eux-aussi, sont plutôt des quadras...) ;o((
Ecrit par : Yamar Karnataka | 29.01.2007
N'est pas Alexandra David Neel qu'on surnomait la voyageuse au semelles de vent? en tout cas, si ils marchent dans ces traces ils se préparent une belle vie riche d'expériences!
Desproges disait: "Un pull c'est ce que doit mettre un enfant quand sa mère à froid..." ;o)
Ecrit par : genfi | 29.01.2007
Quelle tendresse, j'aime bien que tu oses déclarer ton amour à tes grands fils, tout simplement et sans chichi.
Ben voui il est grand il est beau, et toi tu l'aimes.
Un billet qui fait du bien, merci !
Ecrit par : Fauvette | 29.01.2007
À peine plus jeunes, mes enfants... Je me suis retrouvée dans cette impression d'être passée à côté de grands événements au moment où ils sont nés. Et puis, il y avait ces p... d 'études ! Pas le temps de s'intéresser au monde. C'est pourquoi Alex à raison.
Ecrit par : Caroline | 30.01.2007
Oh j'ai le même, non, un peu plus jeune, qu'ils sont beaux nos enfants, moi aussi je dis fais attention, prends un pull...
Très sympathique, le jeune Alex !
Ecrit par : Vic(victoire) | 30.01.2007
Très émouvant ce portrait de ton fils ! Il a vraiment de la chance d'avoir une mère comme toi. J'aimerais tellement pouvoir entendre ma mère dire de telles paroles ... Et tu as de la chance d'avoir un fils si ouvert.
Bises.
L.
Ecrit par : Lancelot | 30.01.2007
Si je ne fais pas erreur, le cambodge se nommait, en 1979 "Kampuchéa", non ? Quoi qu'il en soit, merci de parler ou plutot de faire allusion au Cambodge... La relation entre le Cambodge et la France, c'est une belle et exceptionnelle amitié entre deux pays qui n'avaient pas grand chose en commun au depart... C'est une appartenance commune à la francophonie, dont le Roi Sihanouk est l'initiateur aux côtés de Bourguiba, Senghor et Diori.
Et puis il y a eu le génocide mené par Pol Pot. Martyrisée par d'implacables bourreaux, la nation khmère a été proche de disparaitre tout entière.
De si longues et si tragiques années d'enfermement et de folie génocidaire pour le Cambodge. Une des pages les plus sombres pour l'histoire de l'humanité.
Quelques mots, juste, pour dire que c'est avec l'aide non négligeable d'un ministre socoialiste, Roland Dumas, que Cambodge retrouva la paix, avec l' accord de Paris du 23 octobre 1991.
***
Pour revenir au sujet, ton fils est, visiblement, quelqu'un de bien. C'est ton fils, et il a de qui tenir. C'est un formidable capital de départ que de t'avoir comme maman, que d'avoir été initié par toi, qui lui as offert un cocon dans lequel la haine n'existe pas...
Il doit etre fier de sa mère, et vice-versa !
Ecrit par : Bruno Lamothe | 30.01.2007
merci à toutes et tous!
en fait, je n'ai pas donné à mes enfants une éducation particulièrement libre, je dirai plutôt ouverte.
par contre j'ai privilégié le dialogue, l'écoute ce qui nous a permis de toujours éviter les conflits (ou presque), même dans les moments très difficiles.
Disons que les élever a été l'essentiel de ma vie pendant des années (et l'est encore pour ma fille, mais elle a déjà 18 ans), pour moi c'était normal, je n'aurais pas pu faire autrement.
J'ai voulu leur apprendre à voler de leurs propres ailes, leur donner le goût de la vie et de la liberté.
Ce fut une extraordinaire aventure.
Aujourd'hui nous sommes complices, il y a entre nous une proximité qui résiste à tout, même à la distance.
Ecrit par : céleste | 01.02.2007
quelle tendresse, quel amour; merci d'écrire si bien ce que nous ressentons toutes mais ne savons mettre en mots
Ecrit par : colettou | 01.02.2007
@ Bruno Lamothe : à l'époque on disait bien "Kampuchéa démocratique". Si tu veux des photos de ce magnifique pays, tu peux également te rendre sur mon blog ;-)
Ecrit par : Lancelot | 02.02.2007
Bsr,
Très bel article, un peu de sensibilité dans cet univers si souvent artificiel des blogs. Merci pour ces quelques minutes de lecture.
A bientôt.
Ecrit par : krissolo | 02.02.2007
je reviens et je fais le tour des cop's ,ton article est émouvant et ton Alex est superbement beau et j'ai exactement le même modèle mais en fille , ma Caroline qui depuis l'âge de 20 ans parcourt la planète aussi en bossant exactement avec le même esprit ...un an en Inde , un autre en Egypte ,2 ans au Danemark aussi , elle est instit "Montessori international", mon bébé !!
Ecrit par : joline-103 idées | 06.02.2007
Bonjour,
Je me permets de laisser un commentaire sans vous connaître, mais j'ai eu le sentiment que cette histoire, je la vis en tant que fille, avec ma mère.
Ma mère est évidemment la meilleure maman du monde, et je la reconnais un peu en vous. Et je me reconnais en Alex.
Ma mère a toujours eu le virus du voyage, et n'a pas tardé à me le communiquer.
J'ai toujours voyagé, et je ne pense pas que je m'arrêterai un jour.
Elle m'a appris la curiosité, l'insatiable envie d'aller vers les autres, de voir, de comprendre, de vivre vraiment.
Depuis, j'ai fait mes voyages seule, sac au dos avec mes pinceaux et mes godets d'aquarelle, en Afrique, en Amérique du Sud, en Inde... Au jour d'aujourd'hui, j'ai posé mon sac pour quelques mois à Sydney, puis je partirai faire le tour de l'Australie, travaillant de ferme en ferme.
Je suis en quête de quelque chose, et j'ai le sentiment que ce sont les autres, ailleurs, qui me l'apporteront.
Je me découvre, je me prouve tant de choses dont je ne me croyais pas capable, puisque je n'avais jamais été confrontée à ces choses-là dans cette douce vie que j'ai eu la chance d'avoir.
Ma mère a toujours été là , et je n'ai jamais été dans le besoin, sauf dans celui de savoir qui je suis.
Alex, j'en suis sûre, vous sera toujours reconnaissant de l'éducation que vous lui avez donnée, et dont je peux supposer grâce aux similitudes d'avec la mienne.
Il n'a pas l'air d'être prêt à poser son sac.
Je ne pense pas le faire un jour, mais je vous le dirai si ça m'arrive!
Merci, j'espère pouvoir transmettre ce même amour pour le Monde à mes futurs enfants.
Mathilde
Ecrit par : Mathilde | 05.09.2007
@mathilde
merci pour ce témoignage.
finalement Alex a provisoirement posé son sac (pour trois ans). Il a choisi d'apprendre le beau métier d'ébéniste dans une école en Belgique.
je suis ravie de ce choix, qui me semble en parfait accord avec ses aspirations et sa personnalité.
comme toi je pense que l'on a tant à apprendre des autres...
Ecrit par : céleste | 07.09.2007
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