30.05.2008
Désir de campagne
Je suis née là :
Dans l’école, juste à côté de cette demeure bourgeoise pompeusement surnommée « le château ».
Autant mon enfance, passée à me balancer dans le jardin, à organiser des courses d’escargots baveux, à guetter l’apparition des premières jonquilles, à piller le cerisier ou débusquer les premières fraises, à dénicher les giroles cachées dans la mousse, à pédaler sur des routes étroites en ayant la trouille d’être poursuivie par un jars pinceur de mollets et à observer de la fenêtre de ma chambre les us et coutumes étranges des fermiers d’en face, fut belle, autant mon adolescence fut pénible.
Les activités qui avaient jusqu’alors fait mon bonheur perdirent subitement tout leur charme.
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14.01.2008
Le déménagement
Mercredi, toutes nos affaires empaquetées, nous quitterons l’appartement où nous avons vécu pendant huit ans.
Il était beau, spacieux et nous y avons été heureux mais je le quitte sans le moindre regret.
Je ne l’ai jamais vraiment aimé. Trop symétrique, froid, bourgeois, sans âme peut-être. Les jours de déprime le granit moucheté de ses sols m’évoquait l’austérité des pierres tombales.
Bien que plus petit et plus modeste le nouvel appartement m’enchante.
Ce fut un coup de foudre...lire la suite
08:11 Publié dans Journal intime | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : Bologne, maison
28.01.2007
Alex, aux semelles de vent
Nous étions en 1979, préoccupée par mon joli bébé tout neuf, j’ai peu suivi l’actualité de cette année là. Pourtant, elle fut déterminante.
Au Cambodge, la chute du régime sanguinaire de Pol Pot marqua la fin d’un interminable cauchemar. Quelques jours plus tard le Shah d’Iran, malade, quitta son pays, ce qui provoqua le retour, en djellaba et en héros, de l’ayatollah Khomeiny, qui attendait son heure en France. Il fonda au plus vite une république islamique basée sur le retour à la pureté religieuse et sur le rejet de l’occidentalisation.
Le choc pétrolier qui s’ensuivit entraîna une vague de panique dans les pays consommateurs, le prix du baril de brut tripla.
Pendant ce temps-là, en France, sévissait Giscard d’Estaing et, tandis que Louis Pauwels, tout content de lui, définissait le concept de « nouvelle droite », Action Directe, baptisée de peu, passait à l’attaque contre l’impérialisme capitaliste en mitraillant le siège du patronat et Jean Marie Le Pen entrait en politique.
En Angleterre, mauvaise pioche pour les miséreux, Margaret Thatcher, devint premier ministre.
Au mois de mars, Menahem Begin et Anouar el-Sadate signèrent un traité de paix entre l'Égypte et Israël, il mettait fin à une guerre qui durait depuis 1948. L'Égypte reconnut l'État israélien, qui évacua le Sinaï. Et un élan d’optimisme, qui fut malheureusement vite brisé, parcourut le Monde.
Hélas, le 27 décembre, les soviétiques, sous la houlette de Brejnev, envahirent l’Afghanistan.
Mais moi, émerveillée, je regardais Alexandre, mon fils.
Quand il dormait j’approchais mon oreille de son visage pour sentir son souffle léger.
La nuit, je l’installais sur l’oreiller, tout contre moi, et glissais un mamelon dans sa bouche, il tétait, je somnolais.
Petit garçon joyeux, il aimait jouer, faire du vélo et les histoires que, le soir venu, je racontais pour l’endormir.
Et puis il a grandi, le collège a succédé à l’école élémentaire, puis ce fut le lycée, l’université.
D’un anniversaire à l’autre, le temps a filé.
Je suis partie.
Lui aussi, son sac sur le dos, à la découverte du monde.
Parfois j’ai la nostalgie de son enfance, de ces deux petits garçons (Romain est né l’année suivante), rieurs et malicieux, que, consciencieusement, j’accompagnais à l’Académie de musique, à la piscine ou au stade.
Les jours de tristesse, ils me manquent.
Cette semaine, Alexandre, après un long périple en Amérique du Sud et 5 mois de travail au Danemark, a posé pour quelques jours son sac à Bologne.
Ne voulant ni travailler dans un bureau, ni de se plier aux ordres d’une hiérarchie, il a choisi la liberté et les boulots aléatoires.
Un jour ici, un autre ailleurs, sur les routes du monde. Ils sont nombreux à vivre comme lui, qui se fichent bien des grands patrons et des mouvements du CAC 40, qui se retrouvent d’une vendange à l’autre, de l’Europe du Nord à l’Amérique du sud en passant par l’Asie, qui vivent de peu, n’alimentant guère la grande machine à consommer, qui connaissent le goût du vent et le plaisir de marcher seul vers l’inconnu, qui sont, nomades d’aujourd’hui, des êtres libres et sans frontières.
Il a gardé de l’enfance son sourire, sa nonchalance, son goût de l’aventure qui le pousse à voyager seul, à la rencontre des autres.
Il est grand, il est beau, et moi, je lui dis toujours des choses simples, bêtes et tendres comme « Tu as pris un pull, il doit faire froid là où tu es ? », ou « Fais attention de ne pas perdre ton passeport ! ».
Pourtant, même si mes yeux aimants voient toujours un enfant, je sais qu’il est un homme.
Et je suis fière d’être sa mère.
« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent.
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! »
(Baudelaire)
19:20 Publié dans Journal intime | Lien permanent | Commentaires (23) | Envoyer cette note
26.12.2006
A Jean-Louis
Durant toutes années, et dès que je t’ai connu, j’ai toujours su que s’il m’arrivait quoique ce soit je pourrais venir vers toi, que tu m’écouterais, que tu m’aiderais, que tu transformerais mon chagrin en éclats de rire.
Des rires, nous en avons partagés tant.
Je porte en moi, comme de précieux trésors, tous ces moments de joie et d’insouciance.
Je me revois sonnant à la porte de ton appartement de la ZUP, venant chercher de la tendresse et de l’humour, parce qu’une de mes improbables histoires d’amour avait mal tourné.
Affalés sur les coussins, on écoutait Patty Smith, on picolait un peu - une bouteille d’alcool fauchée chez Ceron - ou, si on avait de la chance, on se faisait un joint, avec des mines de conspirateurs. Et Bébert nous préparait un bon petit repas, raffiné toujours.
Puis arrivait la douce et belle Elisabeth, avec qui tu as eu le bonheur de passer ta vie, la soirée se prolongeait, on était bien.
Infini plaisir d’être ensemble, envie de jouer, comme des enfants que nous sommes longtemps restés.
Les courses de voiture dans Châteauroux, R5 contre Austin.
Les parties de tarot.
Les concours de boisson.
Le voyage en Ecosse avec Paulo et Anita, à Londres, nous avions retrouvé Elisabeth.
Et l’extraordinaire « Fraicheur de vivre, Hollywood chewing-gum » sur la plage de l’île de Ré, la R5 droit vers les vagues… yeaaaahhh !
Comme nous avons eu de la chance de vivre tout ça !
Et puis je suis partie et nous avons grandi.
Mais chacune de nos rencontres a été un moment privilégié, une parenthèse d’amitié et de joie.
Noël au Blanc, dans votre premier appartement, il faisait un froid de canard.
La plage d’Eze et Gabriel qui avait peur des vagues.
La naissance de Ghislain.
Les balades en vélo dans la Brenne.
L’île d’Aix, bien sûr et les ventrées de coquillages et de langoustines arrosées de vin blanc.
Votre venue à Bologne, les mosaïques de Ravenne.
Le temps qui est passé, inéluctable et indifférent, a fait que nous ne nous sommes pas vus ces dernières années, mais qu’importait, je savais que, là-bas, tu existais, et qu’il suffisait d’un rien pour se retrouver.
Il y a quelques jours tu nous a quittés, parti dans l’immensité d’où l’on ne revient pas.
Aujourd’hui, je ne t’accompagnerai pas dans ton ultime demeure, seules mes pensées et mes larmes le feront.
Ma peine est infinie, mais je suis riche du souvenir de tous ces moments qui ont embelli ma vie.
Elisabeth,
ma petite sœur amoureuse de mon ami, le grand, le beau Jean Louis, qui me manquera tant et que j’ai tant aimé, en qui j’avais une telle confiance, je t’envoie toute ma tendresse, je partage ta douleur, au plus profond de moi.
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19.12.2006
Il me sourira, éternellement
Je l’observe.
Je le caresse.
Je suis patiente, bientôt de ce bloc gris et froid jaillira un visage, mais je ne le vois pas encore.
Je fais lentement tourner le plateau. J’attends que la terre me fasse le signe qui me permettra de commencer. Il me suffit d’une anfractuosité, d’un relief, de la sinuosité d’un creux pour voir se dessiner les traits du Bouddha du Bayon. C’est lui que je cherche, que je veux, qui somnole dans ma mémoire depuis deux ans.
Les historiens hésitent et se partagent. S’il est confirmé que le créateur du Bayon, le roi Jayavarman VII était bouddhiste fervent, il n’en reste pas moins de nombreuses interrogations sur le temple du Bayon, le temple aux 54 tours portant chacune 4 visages géants orientés vers les points cardinaux.
Visages identiques
Regard fixe.
Sourire énigmatique, pas celui de Bouddha, éclairé et serein.
Sourire glacial ont dit certains, « maudit, maléfique » pour le très occidental, très catholique Paul Claudel qui verra Angkor comme un lieu d’oppression et de dégoût.
Oppression.
Où que l’on tourne le regard, le sourire, immuable, gigantesque.
Lèvres charnues.
Ironique.
Puissant, 200 visages, surveillant les 54 provinces du royaume.
L’œil du maître est partout, déguisé en Bouddha. La religion habilement liée au pouvoir.
Jayavarman, éternel, veille sur ses terres.
J’ai rendez-vous avec lui.
La forme de la tête apparaît, ronde et lisse.
Et le visage s’impose. Le nez large, la bouche aux lèvres pleines, le sourire, je cherche le sourire.
Je cherche le sourire.
Je cherche le sourire.
Je tâtonne, j’ajoute de la terre, par petites touches délicates. Je coupe, je modèle, je sculpte, je ferme les yeux, je confie ma main à ma mémoire.
Il se dessine, irrésistible.
Ce n’est pas celui du Bayon, c’est un autre, que la terre me propose.
Il est plus doux, plus humain, plus sensuel.
Je ne veux pas du regard froid du Bayon, j’esquisse des paupières à demi closes, au gracieux mouvement sinueux effilé vers les tempes.
Je fais pivoter mon Bouddha sous la lumière, je corrige l’asymétrie du visage.
Je m’éloigne pour l’observer.
Il est beau, étrange et fascinant.
Il me sourit. C’est un dieu humain.
Je sais que je vais passer des heures et des heures avec lui, je vais le vider de sa terre, le polir amoureusement, jusqu’à ce qu’il devienne lisse et brillant comme du granit.
Quand il sortira du four il sera différent, presque inconnu et nous devrons à nouveau nous séduire. Il sera d’une autre texture. Je le peindrai avec du thé ou du brou de noix, je le vernirai avec de la cire d’abeille
Il me sourira, éternellement.
07:10 Publié dans Journal intime | Lien permanent | Commentaires (19) | Envoyer cette note | Tags : sculpture, bouddha