11.02.2007
Around Vang Vieng (1)
Fourbus, moulus, assoiffés, le bus cahotant nous dépose sur le terre plein qui fait office de gare routière pour la petite ville de Vang Vieng.
Nous y avions déjà fait halte il y a une semaine, en allant Luang Prabang. Cheminant sur la route en terre vers le « resort » où nous avions dormi, un ensemble de bungalows disposés sur une impeccable pelouse donnant sur la rivière, le tout tellement bien rangé, ordonné, entretenu qu’on se croirait au bord du lac Léman, tenu par un charmant monsieur francophone et francophile qui le soir prend sa guitare pour chanter du Brassens, un couple de trentenaires, et des poussières, français, nous double à grands pas énergiques, dans l’intention, visible, d’arriver avant nous au « resort » en question, sait-on jamais, il n’y a peut-être qu’une seule chambre libre.
La démarche assurée, vêtus Décathlon de la tête aux pieds, c'est-à-dire short un peu long (ou bermuda un peu court), pataugas, veste en coton imperméabilisé multi poches, ceinture anti voleurs et sac à dos ils sont tout à fait représentatifs d’un certain type de touristes : les efficaces.
Ils voyagent avec un attirail complet, ont un goût particulièrement marqué pour la marche et adorent les trekkings dans les villages, histoire de partager très très brièvement le quotidien des paysans, de dormir à la dure dans une cabane et de s’en repartir le lendemain, le cœur léger, vers d’autres aventures sans trop se poser de questions sur les insignifiantes retombées économiques de l’opération dans l’escarcelle de leurs hôtes. Le pactole étant bien sûr empoché par l’agence touristique qui a organisé l’expédition. Le touriste efficace transportant ses petites affaires bien pliées dans un sac à dos déjà plein, pas question non plus pour lui d’acheter quoique ce soit dans les villages. Bref, les efficaces, de surcroît toujours prêts à manifester leur mécontentement si un cafard traverse leur chambre ou si les draps ne sentent pas la lavande, me sont généralement peu sympathiques.
Ces deux là, qui se tournent triomphalement vers nous sur le seuil du resort en nous lançant un regard signifiant clairement « On a gagné » n’échappent pas à la règle, mais, peu importe, nous, nous avons réservé notre chambre.
Plus tard nous sortons dans Vang Vieng. Les rues bordées de maisons basses et de cabanes sommaires sont encombrées de triporteurs, de mobylettes et de vélos. De nombreux enfants jouent et se poursuivent joyeusement devant les échoppes peu achalandées. Au marché, les paysannes vendent le produit de leurs récoltes, du poisson odorant, des volailles, d’autres étals proposent des tissus, des chaussures, des objets quotidiens.
La petite ville est renommée comme étant un haut lieu du trafic d’opium et les fumeries clandestines y sont nombreuses, ce qui est bien sûr totalement illégal, mais le Laos, situé au cœur du triangle d’or, en est depuis très longtemps un pays producteur et consommateur ainsi qu’un pays de transit pour l’héroïne. Il fut longtemps, après l’Afghanistan et le Myanmar, le troisième producteur mondial.
Le pavot est cultivé, de façon archaïque, par les tribus montagnardes qui vendent, échangent contre d’autres denrées, et consomment l’opium, en particulier à des fins médicales.
En l’absence de tout système de santé primaire, l’opium est bien souvent le seul médicament disponible dans les montagnes. Le système de santé laotien est très nettement insuffisant, dans les provinces, les hôpitaux, situés à plusieurs jours de marche des villages, sont dans un état d’extrême dénuement. Les paysans utilisent donc l’opium à des fins thérapeutiques, ce qui crée des dépendances à la drogue.
Depuis quelques années une vaste campagne d’éradication du pavot a été lancée avec le soutien de l’ONUDC, la production et la consommation d’opium ont baissé, mais la situation reste très fragile car les paysans doivent combler le manque à gagner en pratiquant d’autres cultures, suffisamment lucratives. Dans un cas comme dans l’autre les bénéfices des paysans restent, de toute façon, très faibles.
Ce n’est certes pas aux petits paysans laotiens que profite le marché de l’héroïne, eux survivent, vivotent et consomment pour oublier leur misère.
Toujours est-il que la réputation opiacée de Vang Vieng attire dans ses gargotes et ses terrasses sur le fleuve une autre catégorie de touristes occidentaux : les routards à la recherche d’émotions fortes.
Arborant un look de vieux baba, d’un âge variable, le routard à la recherche d’émotions fortes fume des joints sans la moindre discrétion, deale avec les laotiens, s’endort affalé contre un arbre et fait des pieds et des mains pour pénétrer dans les fumeries clandestines. Ce qui n’est pas facile, celles-ci étant réservées aux autochtones, et souvent gérées par des chinois, qui ne voient pas d’un bon œil ces rejetons du monde occidental venus perdre raison et dignité sur leur territoire.
Le patron du restaurant où nous dînons est chinois justement. Vieux et gras il est assis face à sa femme, une dame maigre et pincée. Ils boivent le thé que la petite bonne leur a servi.
Adolescente aux yeux tristes, elle est une de ces innombrables filles placées ou vendues par leurs familles pour servir chez les autres. Elles sont des millions dans le monde, petites esclaves exploitées, souvent battues, parfois violées, qui n’ont ni identité ni espoir et qui mènent, sans se plaindre, une obscure vie de labeur.
A suivre
17:05 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (18) | Envoyer cette note
Commentaires
quelle merveille on les voit Céleste, tous, et moi la sédentaire je pars en voyage avec toi - je ferais une autre catégorie "la paumée casse-pied" pénible parce qu'il faut l'aider mais les gens sont gentils et je suis si reconnaissante. Bon, vous, merci à vous, vous n'êtes pas des "efficaces", mais il me semble que vous n'en êtes pas moins organisés
Ecrit par : brigetoun | 11.02.2007
C'est vrai, les petites filles exploitées et tristes, quel fléau de par le monde.
Ecrit par : amarula | 12.02.2007
Merci Céleste de ne pas être des "efficaces " mais de nous faire partager ces beaux visages d'enfants qui ne vont , semble-t'il, pas avoir une vie "dorée" et de faire ressortir dans ton billet la vraie façon de vivre de ce peuple que je n'irai jamais voir de près mais qui m'intéresse.
Ecrit par : tanette | 12.02.2007
C'est vrai, les petites filles exploitées et tristes, quel fléau de par le monde.
Ecrit par : amarula | 12.02.2007
en te lisant céleste je me disais que nous ne serons jamais que spectateurs du monde de l'autre monde, le lointain , comme celui qui nous est plus proche (certains acteurs, mais si peu finalement..)
à travers tes récits ou d'autres dans les livres il est saisissant de contempler la misère du monde en y trouvant quelque chose de beau (tes mots, ton regard, tes images)
c'est très dérangeant finalement
et j'aime que cela le soit
l'opium sert dans le s hopitaux en occident à soulager la douleur aussi
je me suis tjs demandée où ils s'approvisionnent
Ecrit par : lesyeux | 12.02.2007
Les récits du quotidien sur le mode extraordinaire ou les récits extraordinaires sur le mode du quotidien. Un journalisme au coeur de la vie. Que dire de plus ? Ah oui, je suis passé sur Firefox pour accéder aux commentaires...
Ecrit par : Dehorsdedans | 12.02.2007
quel merveilleux voyage tu nous offres
Ecrit par : objectif-plume | 13.02.2007
Tu es extraordinaire Céleste.
Ton texte est tout simplement admirable. Voila, c'est dit.
Ecrit par : Bruno Lamothe | 13.02.2007
Oui ce texte est admirable d'humanité. Je reviendrai le lire calmement. Mais je voulais te dire Merci !
Ecrit par : Fauvette | 14.02.2007
Oui ce texte est admirable d'humanité. Je reviendrai le lire calmement. Mais je voulais te dire Merci !
Ecrit par : Fauvette | 14.02.2007
Claudine,
As-tu reçu ms mails ?
J'ai des soucis avec ma boîte.
Je te parlais d'avril.
Bises
PS : Désolée pour le ton perso du post mais je n'ai pas le tél de Claudine.
Lorsque Internet cafouille, tout cafouille. Ah ! Le progrès.
Ecrit par : corinne | 14.02.2007
Bon, alors, cette suite, elle vient ? ;-))))
Ecrit par : Bruno Lamothe | 15.02.2007
toutes et tous, merci!
j'ai été un peu malade, un genre de petite grippe, ça commence à aller mieux, demain (peut être) la suite....
Ecrit par : céleste | 15.02.2007
La vie comme elle est...
ps: prompt rétablissement!
Ecrit par : Marc | 15.02.2007
@ Céleste : entre ici, grande Céleste ! Moi aussi, j'ai la grippe (la vraie), et moi aussi, je commence a aller un tout petit peu mieux...
Ecrit par : Bruno Lamothe | 15.02.2007
J'ai pensé à ma grand-mère, placée à dix ans chez un commerçant pour servir de bonniche. Elle s'est révoltée quand on lui a demandé de tenir un chevreau pendant qu'on l'égorgeait. Elle s'est enfuie, et a réussi à se faire embaucher par le commerçant voisin.
Comme quoi les petites filles exploitées et tristes ont parfois de la ressource... et de la chance (relativement...)
Ecrit par : mc | 16.02.2007
Bon, Celeste, en attendant, tu trouveras chez moi "Inde : un géant en apprentissage (1/2) " et aussi "Valoriser l’enfant et son parlé créole pour apprendre le français"
Ecrit par : Bruno Lamothe | 16.02.2007
bon, finalement, je n'ai pas eu une petite grippe, mais une grosse, j'émerge seulement ce matin, et encore, petitement...mais le nouveau texte arrive, il est déjà écrit et attend d'être publié
Ecrit par : céleste | 18.02.2007
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