22.01.2007
"Cinq choses que vous ne savez pas de moi" (5)
Nous avions quitté le port de Saint Jean Cap Ferrat vers la fin d’une belle matinée d’août.
Poussées par un vent paresseux et taquin qui soufflait par intermittence, nous avions tiré des bords d’un bout à l’autre de la baie.
Cécilia barrait, je contrôlais les voiles. J’avais appris à tirer sur les écoutes et à esquiver la bôme quand elle traversait vivement le pont.
Nous avions dormi au soleil et nagé dans l’eau limpide et douce d’une crique.Mangé du saucisson et bu du rosé frais. Parlé de tout, de rien et de nos vies.
Cécilia était mon amie. Elle avait chanté à l’Opéra de Nice et sur de nombreuses scènes françaises et internationales, mais sa carrière n’était plus au zénith. Elle n’avait, disait-elle, jamais voulu se plier aux diktats et aux petits arrangements que le cruel monde du spectacle impose trop souvent aux artistes. Je la croyais volontiers, Cécilia éprise de liberté, ne suivait pas les chemins tout tracés.
Sa route à elle, menait vers le large, les embruns, l’horizon étincelant qui dansait sous le soleil.
De sa gloire, elle avait gardé ce voilier, une petite merveille de teck blond, mouillant dans le port de Saint Jean et où elle passait une bonne partie de l’année.
Puis la nuit, qu’un quart de lune éclairait, sur nous était tombée et le vent, doucement, s'en était allé.
Nous clapotions.
Cécilia avait alors décidé de mettre le moteur en marche pour pouvoir regagner le port. Hélas, il refusa de démarrer . Puis la batterie déclara forfait et nous nous retrouvâmes dans l’obscurité. Seule la lampe de secours luisait à l’avant du bateau.
Nous nous assîmes sur le pont pour siroter un dernier verre de rosé et réfléchir mollement à la marche à suivre. Les flots étaient calmes et réguliers, mais nous ne pouvions rester ainsi, ballotées, seules dans l’immensité sombre de la mer.
C’est alors qu’une secousse venue des fonds marins ébranla le voilier qui se mit à tanguer et danser sur d’étranges vagues.
Puis une baleine, argentée sous la lune, jaillit à quelques mètres à bâbord.
Disparut pour reparaître à l’arrière du voilier.
Puis à tribord.
Encore à bâbord.
Joueuse, elle décrivait des cercles autour de notre esquif.
Et Cécilia, debout à l’avant du bateau, face à la mer, chanta.
« Voli l’agile barchetta, voga, voga, o marinar »
Dans la chaude nuit, la baleine dansait, frôlant parfois le voilier qu’elle éclaboussait de gouttelettes scintillantes. Au loin, les feux artificiels de la Riviera, que la splendeur des étoiles éteignait, semblaient de petits points inutiles et dérisoires.
La voix de Cécilia, montant claire et pure vers le ciel, emplissait la nuit en une parfaite harmonie.
« Pallidetta é in ciel la luna, tutto invita a sospirar
Voga, voga, marinar…”
Il est dans la vie de ces instants magiques, où rien d’autre n’existe que la sensation profonde d’un bonheur que l’on sait éphémère mais dont le souvenir à jamais enchante.
Tout concordait, la « Barcarolla » de Rossini, la baleine malicieuse, les ténèbres bienveillantes, le doux clapotis de l’eau sur la coque du bateau.
« Voga, Voga »...
La voix enregistrée est celle de Cécilia, mais comme nous l'avons extraite d'une cassette audio, la qualité n'est malheureusement pas parfaite.
Traduction :
« Vole léger bateau, vogue, vogue marinier »
« La pâle lune éclaire le ciel, tout invite à soupirer »
« Vogue, vogue, marinier »
Et je passe le relais à Anne du blog « lesyeuxouverts » et à Mohamed du blog "kitab".
12:00 Publié dans Souvenirs, souvenirs | Lien permanent | Commentaires (24) | Envoyer cette note
Commentaires
Oh ça devait être merveilleux, cette superbe voix ,et la mer,
quel souvenir !
Ecrit par : Vic(victoire) | 22.01.2007
Je ferme les yeux et j'imagine ce moment de bonheur ..
Ecrit par : amarula | 22.01.2007
Sinon je suis dans "Yvette et les garçons" ...
Ecrit par : amarula | 22.01.2007
un moment magique (et bien raconté)
Ecrit par : brigetoun | 22.01.2007
Merci pour cet instant magique, Céleste. C'est tout un art de ne pas trop en dire (de lui) et de faire en sorte que le lecteur ne regrette pas trop quand même de ne pas en savoir plus. Seule ainsi, sa quintessence reste.
Ecrit par : Marc | 22.01.2007
Merveilleuse histoire qui a dû te laisser un excellent souvenir, en effet.
Ecrit par : tanette | 22.01.2007
C'est un cadeau merveilleux, et je me sens privilégié de pouvoir en profiter, mais je vais réécouter ce morceau plusieurs fois...
Pourquoi "Cécilia était mon amie" ? J'ai toujours considéré que l'amitié ne se pretait pas au passé...
Bien entendu, s'il y a une raison que j'ignore, je m'en excuse.
Quel bonheur de te lire. Vraiment.
Ecrit par : Bruno Lamothe | 22.01.2007
@Bruno
nous nous sommes perdues de vue, elle a mouillé son voilier dans le port de Saint Tropez, ma vie était très compliquée, la sienne aussi...
parfois c'est ainsi
Il vaut mieux de ne plus se voir que de ne s'être jamais rencontré(e)s
Ecrit par : céleste | 22.01.2007
Celeste, c'est tres juste ce que tu dis !
"chacun pour soi est reparti, dans le tourbillon de la vie", comme le chantait Jeanne Moreau...
Merci infiniment de la précision (au fait, vachement bien, ta nouvelle technique du message groupé sur mon blog ! ;-))))
Ecrit par : Bruno Lamothe | 22.01.2007
@Bruno
c'est parce que tu publies beaucoup, des textes de qualité et que je n'ai pas beaucoup de temps...
aujourd'hui j'ai raté Seb et le Del, t'imagines! et là c'est trop tard, je vais m'affaler tout contre mon Fabiolino sur le canapé...
bonne nuit à toi et à toutes et tous
Ecrit par : céleste | 22.01.2007
@ Celeste : moi aussi, j'ai beaucoup délaissé la blogoboule (comme dit Seb)... A demain. Excellente soirée contre ton Fabiolino !
Ecrit par : Bruno Lamothe | 22.01.2007
Quel beau récit, je suis charmée.
Oui même si vous ne vous voyez plus, c'est un beau souvenir.
Merci Céleste.
Ecrit par : Fauvette | 22.01.2007
Savez-vous ce que devient Sexygenaire ?
Ecrit par : amarula | 23.01.2007
on en sème tout le long de la vie des amis, et on sait qu'en principe ils sont quelque part (enfin à mon âge on peut commencer à avoir quelques doutes), on peut imaginer - et de temps en temps on en retouve, et ça marche parfois après un tatonnement ou tout de suite sans parler
Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 23.01.2007
toujours un plaisir de te lire céleste...
eh bien merci de me passer le flambeau, éric de "crise dans les médias" me l'a déjà tendu, mais j'ai du mal à parler de moi à vrai dire, alors je diffère juste un peu..
j'y réfléchi....;))
Ecrit par : lesyeux | 24.01.2007
Ta Cécilia a l'air bcp plus cool que celle que nous connaissons,
ici, en France.
Si une baleine pouvait les bouffer elle et son mec.
Faut pas rêver...
Ecrit par : corinne | 24.01.2007
@ Corinne : de quelle Cecilia tu parles ? Moi je l'aime énormément, Cecilia Bartoli !
Ecrit par : Bruno Lamothe | 24.01.2007
@Bruno,
Oui, Cécilia Bartoli est une femme talentueuse et voluptueuse.
L'autre est une femme dépourvue du moindre talent et de toute volupté.
Ecrit par : corinne | 25.01.2007
Belle nuit à l'instant magique, mais se faire applaudir par une baleine, c'est très rare. Merci pour la balade en ballade.
Ecrit par : martingrall | 25.01.2007
Très beau cette apparition!
Ecrit par : Eric | 25.01.2007
Il y aurait donc une Cecilia dont nous devrions avoir honte...
Un indice : ses frasques sentimentales, sa separation et ses retrouvailles avec un ministre n'auraient pas fait les choux gras de la presse ?
Ecrit par : Bruno Lamothe | 25.01.2007
ps : je m'exprime sans souris, la mienne ayant rendu l'ame...
Ecrit par : Bruno Lamothe | 25.01.2007
Magnifique. La vie tout simple, c'est ça le merveilleux !
:-)
Ecrit par : filaplomb | 26.01.2007
merci à toutes et tous
cette semaine, j'ai eu beaucoup à faire, c'est pourquoi je n'ai pas écrit de coms (ni chez vous ni chez moi)
le nouveau billet est arrivé!
baci!
Ecrit par : céleste | 26.01.2007
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