05.10.2006
Encore en bus, Céleste !
L’autobus urbain indien est de prime abord peu engageant. Souvent dans un état de délabrement avancé, bondé, des grappes d’hommes agrippés les uns aux autres bloquant les marche- pieds, il affiche sa direction en langue locale ou par un chiffre dont on connaît rarement le code.
Mais, lassés du style de conduite des pilotes d’auto rickshaw et fatigués d’user nos semelles sur les bas côtés (la notion de trottoir est très floue dans l’Inde du sud), en zigzagant entre les trous, les piétons, les vaches et divers véhicules, nous avons appris à l’utiliser.
Et finalement c’est bien !
La particularité la plus frappante, pour nous occidentaux habitués à la mixité, est la séparation des sexes qui s’effectue naturellement et que tout le monde respecte.
Le bus est peu rempli, nous y montons tous les deux par la même porte et nous installons côte à côte sur une banquette.
Aucun problème, mais bientôt arrive l’affluence, Fabio doit laisser sa place à femme, car il est hors de question que celle-ci s’asseye à côté d’un homme qui ne fait pas partie de sa proche famille, et rejoint le fond du bus où sont massés les hommes.
Zut, je ne le vois plus ! Je scrute d’un œil inquiet les profondeurs du bus et des mains se lèvent pour me faire signe « Il est là, au fond, t’en fais pas, on surveille ! »
Et me voici au milieu des femmes, parfumées, colorées, m’épiant du coin de l’œil ou cherchant le contact, parfois même me touchant du bout des doigts, le plus souvent riant malicieusement entre elles en me regardant.
Et moi, la féministe, la partisane de la mixité, je me dis « Qu’est-ce que c’est bien d’être séparée des hommes, de ne pas risquer les attouchements, les plaisanteries grasses, les regards appuyés et les relents sudoripares ! »
Et y pensant plus avant je me dis que les rapports entre les hommes et les femmes indiens sont bien différents de ceux que nous connaissons en occident.
J’ai la sensation que les femmes ne sont pas, comme en Europe, regardées comme des objets sexuels plus ou moins appétissants, et ce, quelque soit le niveau culturel au social.
A côté de notre hôtel de Pondy, il y avait un immeuble en construction, où travaillaient ensemble des maçons et des porteuses charriant le sable sur leurs têtes. Alors qu’elles y sont inexistantes dans les pays occidentaux, les femmes sont nombreuses sur les chantiers indiens (et en Asie en général) et, projetant sur elles mes propres angoisses, j’avais toujours ressenti une de pitié toute chrétienne (on ne contrôle malheureusement pas tous ses sentiments, il en est de tenaces, ancrés dans l’inconscient comme des patelles sur un rocher) en les voyant.
A Pondy, embusquée sur mon balcon, je les observe. Première surprise, ces femmes qui arrivent tôt le matin pour commencer la journée de travail, ne sont pas en haillons, mais en sari, proprettes et soignées certaines ont du jasmin dans les cheveux. Les vieux vêtements elles les mettent seulement pour travailler.
Elles couvrent leurs têtes de foulards sur lesquels elles ajustent des petits coussins ronds sur lesquels elles poseront les seaux de sable.
Je les entends rire et plaisanter entre elles et avec les hommes.
Le travail est pénible mais effectué dans la bonne humeur et le respect. A aucun moment je ne dépiste une attitude ambiguë ou déplacée.
Le soir venu elles disparaissent derrière le bâtiment pour remettre les saris et les fleurs dans les cheveux, puis s’en vont, poursuivant joyeusement leurs discussions.
Ces femmes sont des intouchables, elles sont payées, peu, à la journée, elles sont pauvres, mais emplies d’une dignité qui force l’admiration et qui empêche probablement les hommes de laisser libre cours à des pulsions qui n’ont rien à faire sur un chantier.
Pourtant la société indienne ne donne pas la part belle aux femmes, loin de là, les violences contre elles y sont nombreuses et leur liberté d’action souvent limitée.
Alors est-ce son extrême division par castes qui bloque la libido masculine dans la sphère publique ?
Ou les rapports amoureux, au fond des alcôves, sont-ils suffisamment riches et épanouissants pour éliminer le désir brut et brutal né de la frustration ?
Je pencherais assez pour cette hypothèse, ne sommes nous pas au pays du Kamasoutra, comme en témoignent les façades des temples dravidiens ou les innombrables fresques dédiées aux amours orgiaques de Krishna ?
En savoir plus, enquêter, lors du prochain voyage.
17:50 Publié dans Chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (14) | Envoyer cette note
Commentaires
Bonsoir Céleste,En lisant votre article sur les trajets en bus, je réalise avec plaisir que les conditions n'ont pas tellement changées depuis 15 ans! Pourtant ce n'est pas vraiement une partie de plaisir de voyager en Inde par bus! Ce n'est pas par plaisir pervers que je souhaite que les trajets chaotiques des bus indiens mécaniquement douteux, fendant les villages à tombe ouvert la nuit ou tanguant dangeureusement le jour tant ils sont chargés le jour; j'aurais aimé qu'en Inde le transport routier évolue par une meilleur sécurité et confort au bénéfice de tous. C'est que le mot plaisir m'évoque le souvenir de notre voyage en Inde avec ma petite famille.C'étaient des évenements inoubliables ces déplacements en bus, délirants souvent! Avec du récule ,je me demande comment nous sommes restés vivants, nous voyagions avec nos garçons, nous étions confiants et pensions être unis dans le destin.Je ne regrette rien de ce séjour et les enfants non plus.Ils sont faciles en voyage, bien que grands ados.,s'adaptent sans diificultés dans les aléas de la vie et sont confiants pour la vie. Merci pour votre témoignage et réflexions, merci au blog de bertran de vous faire connaitre.
Ecrit par : sasha | 05.10.2006
@ bonsoir Sasha, bienvenue et merci pour votre com
j'aime l'Inde, profondément, j'y prends conscience de l'humanité, de son histoire, les siécles s'y côtoient.
"être unis par le destin"
Oui, tout est plus fort
j'espère avoir de nouveau votre visite
Ecrit par : céleste | 05.10.2006
peut être une stricte séparation entre le monde amoureux et le monde du travail. Je m'étonnes toujours en France de voir des gens ne pas le respecter,- je m'y suis toujours tenu et ça facilitait énormément la camaraderie dans l'équipe, et finalement je n'y ai pas perdu grand chose. Différent : se mettre à travailler ensemble quand on est en couple, et là c'est assez formidable. Très fugitivement connu
Ecrit par : brigetoun | 06.10.2006
Oui, la séparation des genres : quel plaisir (vilain) que d'aller s'asseoir, quand on est femme (et étrangère), au fond d'un bus à Bangkok, à côté d'un bonze à la belle épaule nue, sous l'oeil inquiet des voyageurs !
Ecrit par : amarula | 06.10.2006
Ah Céleste, ce récit réveille en moi des envies de voyage... Merci tout d'abord. Je n'ai pas d'avis sur la séparation hommes-femmes que tu décris dans les bus, ou l'absence d'attitudes déplacées sur les chantiers. Peut-être quand même, un mot qui me vient à l'esprit : respect.
Curieusement, notre société à nous qui milite fortement pour l'égalité hommes-femmes (mouvement inexorable) développe aussi les images pornos les plus dures, celles qui avilissent le plus la femme.
Il nous manque peut-être cette valeur essentielle du respect de l'autre (sexe), qui simplifierait peut être beaucoup de choses. ce n'est qu'une réflexion au détour du blog.
Merci. Tu es belle Céleste :-))
Amitiés
Ecrit par : phil | 07.10.2006
Céleste , je suis plutôt d'accord avec tes conclusions sur la riche vie sexuelle dans les alcoves !Ce n'est pas pour rien que ce pays a été un des seuls à engendrer une oeuvre magistrale sur les rapports charnels ..
Ecrit par : joline | 07.10.2006
@ Phil, tu es un amour
j'aime beaucoup ce que tu as écrit sur le DEL hier:
"Ce qui est bien avec l'amour, c'est que c'est encore le seul truc qui échappe à la politique. C'est très au dessus, dans l'acceptation de l'autre, le meilleur remède à l'exclusion, aux différences. Un truc imparable. C'est vrai quoi, quand tu as quelqu'un dans la peau tu t'en fout de ce qu'il pense. Au début au moins. Enfin s'il pense comme toi c'est bien, sinon tu fais avec"
et mets aussi ma réponse (en copier coller, ce matin j'ai la flemme):
"L'amour n'a pas assez d'espace dans la société occidentale, il est coincé entre de vieux tabous judéos chrétiens et la pornographie marchande.
moi j'aimais bien "Love and peace" et "Faites l'amour pas la guerre"
On a eu une période très joyeuse, très libre, avant le sida...
maintenant c'est le triste retour à l'ordre moral"
nous en arrivons à Joline, et oui, la place de l'acte sexuel est complétement différente.
Les femmes indiennes ont une vie difficile, mais je sens épanouies...
je vais y revenir
merci de vos coms
Ecrit par : céleste | 07.10.2006
Les trajets en autobus sont un moment privilégié pour observer l'évolution des moeurs d'une société. Au maroc, il y a deux types d'autobus, ceux de la compagnie nationale empruntés par les marocains des classes moyennes et ceux des compagnies privées empruntés par les moins argentés. Ces derniers que j'emprunte le plus souvent lors de mes périples ont l'extrême avantage de la simplicité et de la cordialité. Récemment, j'ai effectué huit heures de car entre agadir et marrakech en compagnie des habitants de la province de dahkla, région très reculée du royaume. Ce fut un enchantement car j'ai pu me familiariser avec des us et coutumes bien diférents des miens.
Quant à la mixité que tu abordes, je trouve que les hommes sont hypocrites car dans ces sociétés en voie de développement, ils tentent de concilier leurs éducations familiales avec l'envie irrépressible de faire des rencontres sexuelles. Mais le paradoxe se situe dans le fait qu'ils s'autorisent des actes qu'ils refusent à la gente féminine issue de leur environnement familiale.
Cordialement mohamed.
Ecrit par : mohamed | 07.10.2006
J'ai un peu de sang noir dans les veines alors je peux me permettre de temps à autre de dire que je comprends le racisme anti noir et d'autres.
Je ne suis pas femme et donc je n'ai pas le droit (dans un monde où la parole doit être mesurée) de parler de la femme et de la féminité dans le sens de ce que tu évoques.
Cette séparation des hommes et des femmes qui n'est pas que ségrégation et qu'une féministe pure et dure ne pourrait admettre
et qui pourtant permet une intimité impossible en présence de l'autre sexe.
Ecrit par : le bateleur | 07.10.2006
@ Céleste : :-))))
Ecrit par : phil | 07.10.2006
@ Mohamed
"Mais le paradoxe se situe dans le fait qu'ils s'autorisent des actes qu'ils refusent à la gente féminine issue de leur environnement familiale."
tout à fait, mais finalement c'est la même chose, tout aussi hypocrite dans les sociétés occidentales.
dire d'un homme qu'il est un séducteur est assimilé à un compliment
dire d'une femme qu'elle est une séductrice a une toute autre connotation, on l'imagine perfide, intéressée, femme fatale.
J'ai voyagé au Maroc, il y a longtemps, j'en ai gardé un souvenir ébloui.
Ecrit par : céleste | 07.10.2006
@le bateleur
"Cette séparation des hommes et des femmes qui n'est pas que ségrégation et qu'une féministe pure et dure ne pourrait admettre
et qui pourtant permet une intimité impossible en présence de l'autre sexe."
d'où mes réflexions...
le doute permet l'enrichissement intellectuel, l'élaboration de la pensée, les certitudes non
Ecrit par : céleste | 07.10.2006
très interessant post, cette balade,
la contemplation est à mon sens la seule façon d'essayer de comprendre le monde et les choses
l'observation des détails,le temps pris à le faire et les questions, svt sans réponse, mais qui accouchent sinon de réponse plutot d'autres envies de balades contemplatives...c'est ça l'approche d ela connaissance
j'aime bcp me laisser emmener dans vos riches récits
quant aux rapports hommes/femmes ...tenter d'en percer les mystères dans ces cultures en se débarassant de nos idées préconcues sur la mixité, la liberté féminine, l'égalité etc...c'est pas facile le choc des cultures
à mon avis aussi difficile que d'essayer de comprendre ce qui se passe dans un couple qui n'est le notre, quand toutes les portes de l'intimité sont refermées sur lui
sans doute, la richesse de leur vie intime , de leur imaginaire, de leur culture de l'érotisme doit les épanouir et les équilibrer, oui, vs avez raison
Ecrit par : lesyeux | 12.10.2006
@ lesyeux
merci de votre visite et de votre com.
Ah, l'amour...
Ecrit par : céleste | 12.10.2006
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