20.10.2006
La casa delle mamme
Depuis que nous voyageons régulièrement en Asie, nous éprouvons le désir de nous poser quelque part, de défaire les valises, de nous installer, quelques semaines ou quelques mois.
C’est il y a cinq ans, à Gili Air, petite île indonésienne au large de Lombok que le projet fut le plus près d’aboutir. Nous avions engagé des pourparlers en vue de l’achat d’un terrain, à deux pas de la plage, planté de cocotiers. Nous aurions pu y faire construire une petite maison en bois et palme. Et puis il nous a manqué quelque chose, le petit rien qui fait qu’on passe à l’acte.
Le même désir de propriété s’est manifesté à nouveau au gré de nos voyages, pourquoi pas un petit appartement à Bali, au Laos, ou une cabane en Thaïlande ?
Finalement cette année, épuisés de trimbaler nos valises de train en bus et d’hôtel en hôtel, nous avons décidé de mettre le projet à exécution en achetant ou en louant une maison au Kerala.
C’est à Vellanad, lors de notre séjour à Namaste qu’est né le projet définitif.
Acheter, c’est compliqué, louer c’est simple. Va pour la location.
Mais pourquoi laisser vide dix mois par an une belle maison entourée d’un jardin, alors que tant d’enfants vivent dans des cabanes insalubres ?
Namaste gère des maisons familiales, les enfants y sont placés durant toute l’année scolaire, les frais sont payés par des sponsors et ils rejoignent leurs familles pendant les vacances.
C’est bien, ils sont nourris, logés, soignés et fréquentent régulièrement l’école, mais seulement voilà , ils sont séparés de leurs familles.
Pire encore, à mon sens, il peut arriver qu’un seul enfant profite de l’aide de l’association alors que ses frères et sœurs n’en bénéficient pas.
C’est alors que nous avons eu l’idée de nous regrouper avec quelques amis de façon à héberger - dans cette belle maison que nous commencerons à louer début novembre - des femmes que leurs maris ont abandonnées et leurs enfants.
L’abandon de famille est un sport abondamment pratiqué dans le sud du Kerala (entre autre) par des hommes volages qui vont chercher ailleurs le moyen de ne plus subvenir aux besoins de leurs épouses et de leurs enfants.
Pour les femmes, souvent rejetées par les deux familles, car considérées incapables d’avoir su garder le mâle à la maison, la situation prend rapidement un tour dramatique. Le qu’en dira-t-on étant remarquablement bien organisé (comme partout d’ailleurs), le départ du mari entraîne vite des problèmes de logement et des difficultés pour trouver un travail, même humble.
Il fut aisé de trouver quatre mères en situation périlleuse. Elles occuperont une partie de la maison avec leurs 7 enfants (5 filles et deux garçons) âgés de 3 à 6 ans. Tous les frais de nourriture, scolarité et santé seront à notre charge et les mamans auront la possibilité de travailler dans la fabrique de cahiers que Namaste est en train de créer.
Nous sommes six couples, chacun s’acquittera de 35 euros par mois.
Mais, ne nous réjouissons pas trop tôt. Les premières difficultés affleurent. Il y a quelques jours, un homme s’est présenté à Namaste, pour, a-t-il dit, « nous éviter des désillusions », il a estimé de son devoir de nous informer que l’une des mamans ne méritait pas de telles attentions car « elle couche avec des hommes ».
Ne nous sentant point investis du rôle de contrôleurs de la moralité de ces dames, il est hors de question d’attacher foi à ce genre de déclarations.
Il n’empêche que ces femmes devront vivre ensemble en harmonie et qu’elles se connaissent à peine.
De plus il n’est pas question de les assister en les infantilisant. Il conviendra probablement d’élaborer en commun un « règlement » intérieur.
Nous avons demandé à Sasikala d’assumer le rôle de médiatrice afin d’aplanir les problèmes.
Je pense sincèrement que c’est un beau projet, réalisable, mais qu’il faut se garder de tout idéalisme naïf.
Il y aura des disputes.
Des discussions
Des désillusions.
Mais les enfants mangeront à leur faim, dormiront dans de belles chambres, seront soignés, éduqués, ils auront des jouets et un jardin pour s’ébattre.
Et nous et nos amis aurons une pièce à notre disposition, où s’installer de temps à autre, pour partager le quotidien de la « casa delle mamme », où laisser les valises, les vêtements, les livres, nos affaires, où nous pourrons créer un petit chez nous sous les tropiques.
Il subsiste néanmoins d’autres interrogations.
Pourquoi choisir d’aller porter secours à l’autre bout du monde, dans un pays qui est actuellement la douzième puissance économique mondiale et qui d’ici vingt ans pourrait bien être la troisième ou la deuxième ?
Quelle part de charité occidentale contient notre démarche ?
La charité n’est pas seulement chrétienne, elle est aussi et tout simplement amour du prochain et les religions, contrairement à ce qu’elles prétendent, n’ont pas d’exclusivité en la matière. Les difficultés insurmontables des femmes indiennes abandonnées nous les avons vues, nous sommes entrés dans les cabanes de palmes insalubres, nous avons entendu la respiration sifflante des enfants asthmatiques, et lu la détresse et la faim dans leurs yeux.
L’Inde sera un jour une grande puissance, mais avant que tous profitent du développement économique, il faudra du temps, beaucoup de temps.
Et pour finir, qui puis-je donc aider, en France ou en Italie avec 35 euros par mois ?
Une goutte d’eau, une misère.
Je peux signer des pétitions, écrire des lettres indignées, donner 20 centimes aux mendiants que je croise.
Et voter, juste, si d’aventure un candidat soucieux de soulager la misère française se présente.
Alors, « evviva la casa delle mamme ! »
16:50 Publié dans Chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (15) | Envoyer cette note
Commentaires
C'est simplement beau
Ecrit par : philippe68 | 20.10.2006
merci Philippe68
68: c'est pas par hasard?
J'aime ce que vous écrivez chez SEB (ou sur le DEL, comme je passe de l'un à l'autre je me mélange)
Ecrit par : céleste | 20.10.2006
Un projet beau comme le regard radieux de ces enfants
Ce qu'il y a de formidable dans ton billet c'est qu'il donne envie d'aller au delà des mots tout en montrant avec lucidité ce à quoi chaque projet enraciné dans le réel doit se coltiner.
Ecrit par : le bateleur | 20.10.2006
ô les phrases sur pourquoi ne pas aider ici ! ça me rappelle des réflexions sur le parainage (qui est beaucoup moins fort que ce que tu construit là ) - d'abord ici, rien qu'en vivant nous contribuons à la richesse relative (?) En outre, zut ! tu es en sympathie avec cette oeuvre, et c'est à vous de décider de ce que vous voulez faire. La maison est charmante - les têtes aussi - et si jamais il y a des ennuis cela prouvera que ta maison est vivante
Ecrit par : brigetoun | 20.10.2006
Je souhaite une bonne réussite à ce merveilleux projet jalonné par de beaux visages d'enfant.
Ecrit par : tanette | 21.10.2006
j'avais égaré le lien et la visite de l'inde à travers votre regard m'a manqué rapidement.
C'est un bonheur que de rencontrer un peu d'humanité à chaque instant de votre récit
Ecrit par : borneo | 21.10.2006
Pour ma part, je ne vois pas de différence entre ton aide à ces femmes seules et avec enfants dans la province du kerala et tes participations aux luttes sociales en occident. Cela relève de la même démarche, l'une comme l'autre procède du besoin de se sentir utile et d'essayer à son modeste niveau de venir en aide à plus démunis que soi. Je n'aime pas les gens qui critiquent ce genre d'initiative en doutant de la sincérité de ces personnes qui prennent du temps et donnent un peu d'argent afin que les plus malheureux soient un peu aidé. Mes parents sont issus d'une région marocaine très défavorisée. C'est la raison pour laquelle, ils ont émigrés en france au début des années 70. Pourtant, chaque année, ils reversent une part importante de leurs revenus à des associations caritatives qui viennent en aide à ces habitants des régions rurales du moyen atlas. On n'oublie jamais d'où l'on vient. Je souhaite que ta démarche fasse des émules et encourage d'autres à faire de même et selon leurs moyens ailleurs ou ici. Cordialement mohamed.
Ecrit par : mohamed | 21.10.2006
Tu es vraiment une super nana.
C'est pour ça que je t'apprécie.
Des "comme toi", c'est une denrée de plus en plus rare.
Ce soir, j'anime un dîner avec pour thématique "La liberté depuis 2002 et que sera-t-elle en 2007 ?"
Je t'imaginais assez bien te joindre à ce petit monde que je mobilise avec ma volonté de nana "qui en a".
Pas question de s'endormir en attendant le premier tour...
Denis et moi sommes à ta disposition pour ce projet pour t'aider matériellement.
Tu sais où me joindre.
Je t'embrasse, Céleste, belle personne bien attachante.
Coco
Ecrit par : corinne | 21.10.2006
Pareil que Philippe au dessus : c'est beau, c'est tout simplement beau, et c'est vraiment une agréable invitation au voyage ce blog...
Et le probleme, c'est qu'on aimerait laisser un commentaire. Mais à part dire, avec des yeux brillants : "c'est beau"... Et rajouter peut être un peu plus loin, doucement et pas trop fort pour ne pas la jouer trop mieleux, un "merci", je ne sais pas quoi mettre de plus...
Alors je vais faire simple. C'est beau. C'est beau...
Merci.
A bientot Celeste
Ecrit par : Falconhill | 22.10.2006
La class !
Ecrit par : Lancelot | 22.10.2006
Je ne sais pas quoi dire devant ce magnifique geste... Si ce n'est que ce sont des personnes comme vous qui donnent envie de croire en l'homme... Bravo et merci (pour eux et pour moi)!
Ecrit par : Valérie | 22.10.2006
le commentaire que l'on peut laisser, c'est effectivement que partout dans le monde, une femme qui "couche avec des hommes" , une femme libre de son corps, quoi! dérange les ordres établis ... et qu'on peut trés bien avoir une femme "chef de l'etat" sans que la situation de la "femme de rien" ait changée d'un iota ...
c'est qu'il est des situations de barbarie dans des sociétés qu'on nou présente depuis 40 ans comme des lieux de "sagesse" ... qu'il n'y a pas que les voiles qui aliènent, mais que parfois , on peut ... juste un peu ... mais ce peu, c'est toujours mieux que le rien ... :o)))
Ecrit par : les marques du plaisir | 22.10.2006
merci à tous d'être venus écrire quelques mots
ça a l'air tout bête de dire ça, mais vous lire me fait plaisir!
Ecrit par : céleste | 22.10.2006
je passais te rendre une politesse et je découvre une "belle " personne (et un beau blog) j'aime les gens qui pensent aux autres , qui éssaie malgré toute la misére du monde , toute les embuches ,de changer , un peu le cours des chose....bravo je vais lire un peu plus en profondeur ce joli Blog
Garance
Ecrit par : garance | 22.10.2006
Avant de lire les commentaires et notamment celui de Falconhill, je pensais en moi-même "C'est beau, c'est merveilleusement beau !".
Que dire d'autre que je suis ravie de découvrir ton blog et surtout que tu aies déposé un message sur le mien guidant ainsi ma curiosité.
Ecrit par : Sophie Ménart | 26.10.2006
Les commentaires sont fermés.