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04.09.2006

Les larmes de Princy

medium_mariage-princy1.jpg

Le grand jour est arrivé, Princy se marie.
Nous arrivons chez elle, dans la jolie maison que ses parents lui ont fait construire pour son mariage, vers le milieu de la matinée.
Effervescence.
medium_mariage-princy2.jpgDans la chambre, les femmes s’agitent autour de la vedette du jour, ravissante dans un sari de soie blanche. La coiffeuse officie avec autorité, lissant les mèches et les parant de fleurs. Puis, opération ô combien délicate, elle fixe le voile de tulle. Les tantes complimentent. Elles ont revêtu les saris et bijoux de fête, et cela brille et cliquète. Les enfants endimanchés se poursuivent en riant d’une pièce à l’autre, les hommes discutent sur le perron et moi je pense au mariage de ma cousine Madeleine. J’avais dix ans. La mariée était belle, ma maman aussi, en robe claire assortie à ses yeux bleus. Tout le monde avait l’air content.  Après il y avait eu un banquet. On avait dansé, le témoin avait raconté des histoires salaces que je n’avais pas comprises et Alain Barrière (sur le pick up) avait chanté « Elle était si jolie ».
J’en ai encore des frissons.
Monu me montre le contenu de la valise que Princy emportera ce soir chez ses beaux- parents. Le jeune couple y passera les trois prochains jours, comme le veut la tradition, avant de venir occuper leur nid d’amour (là c’est moi qui extrapole, je ne suis pas sûre de la pertinence du terme amour pour cette occasion, Princy et Sunny, l’heureux élu plutôt mignon que nous avons rencontré pour les fiançailles, s’étant en tout et pour tout rencontrés six fois, et toujours en compagnie).
Revenons à la valise, sous les murmures admiratifs des tantes, des cousines et des voisines, Monu en sort délicatement une dizaine de saris, brodés, colorés, imprimés, tout en m’expliquant ingénument : « Elle n’a que des saris, Sunny ne veut plus qu’elle mette des churindars ».
« Whaaaaat ?
-Yes, only sari »
Seulement le sari !
Le futur petit mari que j’avais trouvé plutôt mignon dégringole immédiatement et définitivement dans mon estime, et la comparaison avec le mariage de ma cousine Madeleine tourne court.
A première vue je suis la seule à m’émouvoir de la nouvelle, mais plus tard une des tantes et sa fille de vingt ans exprimeront elles aussi des réserves quant à cette décision. medium_mariage-princy3.jpg

La mariée est prête. Je demande à Monu
«- Elle est contente ? Elle n’a pas peur ?
- Peur ? répond Monu, de quoi ? Elle se marie, c’est le plus beau jour de sa vie ? ».
Admettons.

La mariée est presque prête et en la regardant, soudainement grave sous son blanc nuage de tulle, je pense à l’agneau. Au frêle et tendre petit agneau.

Mais, la décoration de la mariée étant achevée, ces dames se tournent vers moi. Je vois bien, derrière leurs sourires débordants de gentillesse, la commisération que je leur inspire : maigrichonne, mal arrangée, et les cheveux, hou la la, les cheveux !!! Mon petit carré flou frisotté, dont je suis plutôt contente ma foi, ne leur plaît pas, mais alors pas du tout.
On m’ajuste le sari, on me colle un bindi sur le front (j’ai, semblerait-il, les sourcils trop écartés) et en trois coups de brosse bien ajustés la coiffeuse me fait la tête de Sonia Gandhi. Les femmes soupirent de satisfaction.

Et maintenant, tous à l’église, où je supporte vaillamment une nouvelle et interminable messe. Le curé, un petit gros maniéré, minaude et regarde sa montre, ce que je trouve parfaitement déplacé (c’est son boulot, non ?).
Sur le fond, et autant que j’en sache (c’est-à-dire rien), la cérémonie est identique à celle pratiquée sous les latitudes occidentales, mais avec des variantes locales, comme  le dépôt de noix de coco, de mangues et d’ananas devant l’autel.

medium_mariage-princy4.jpgLe photographe mitraille à-tout-va. Fabio aussi.

Retour de toute la compagnie à la maison nuptiale. Assis sur deux trônes, les jeunes époux subissent une longue séance photo. Puis suivent divers rites traditionnels, plus ou moins semblables à ceux pratiqués par les hindous et les musulmans : allumer une flamme, se donner à manger l’un à l’autre, se passer réciproquement au cou des colliers de fleurs.
Dans le jardin des tables ont été dressées et un repas est servi. Il ne comporte rien de particulièrement festif et chacun mange rapidement pour laisser place au convive suivant.
A peine avons-nous fini le poulet masala qu’il faut tous ensemble accompagner Princy chez ses beaux-parents.

Et là, à nouveau : photos sur des trônes, allumage du feu, colliers de fleurs et un autre repas, identique, hot hot hot, à manger avec les mains, bravement (ne fais pas la difficile, pense à ceux qui n’ont rien).

Et pendant que j’ingurgite péniblement un deuxième poulet masala, je regarde la petite Princy. Son sourire s’est fait moins éclatant, son regard me semble presque soucieux, ou triste, ou apeuré.
Ils sont debout sur une petite estrade, les innombrables invités défilent devant eux.
Et ça n’en finit pas.
Et le sourire de la mariée se défait et s’étiole.

Monu m’appelle, c’est fini, nous pouvons partir.
Mais voilà que Princy pleure.medium_mariage-princy5.jpg
De grosses larmes de petite fille coulent sur son visage que les femmes accourues lui tamponnent d’un mouchoir, blanc. Elles lui parlent. Que peuvent-elles bien dire ? : « Sois courageuse », « C’est rien, c’est normal, c’est l’émotion », « On est toutes passées par là », « Tu verras c’est pas si terrible, tu t’habitueras », « Ca sert à rien de pleurer ».

Je me fraye un chemin jusqu’à elle et je dépose un baiser sur sa joue humide. C’est tellement inhabituel (les Indiens ne s’embrassent pas) que, surprise, elle m’adresse, du fond de son chagrin, un tout petit sourire.

Et le soir, quand arrive l’heure du sommeil, je pense encore à elle qui vit la première nuit de son mariage, à la soie et au tulle qu’un inconnu, que j’espère délicat, lui enlève ou lui arrache, aux femmes qui n’ont pas le choix, à toutes celles que l’on soumet, que l’on étouffe, que l’on bafoue et je me dis que ma cousine Madeleine, elle a eu de la chance.

medium_mariage-princy6.jpgIndia, le 20 aout 2006

Commentaires

espérons pour ta cousine
espérons aussi pour la mariée - oui, y compris les larmes (chez nous c'était généralement la mère de la mariée - et oui de mon temps la connaissance que les époux avaient l'un de l'autre était censée se limiter à quelques baisers) cela ressemble fort à nos noces - bien sur pour les plus jeunes de la génération d'après il y a eu généralement cohabitation

Ecrit par : brigetoun | 04.09.2006

En Algérie, le déroulement du mariage est à peu prés semblable, sauf pour l'église bien sûr.

Alors comment dire...La nuit de noce est un cauchemar, une atrocité pour la plus grande partie des femmes.

Les femmes l'ignorent peut être, mais je l'ai su lors du mariage de mon oncle il y a plus de 15 ans. Mon frère adolescent, était en compagnie des hommes, les hommes sont séparés des femmes et nous a raconté la suite, ce qui se passe après le départ des invités.

Le mari au courant (peut être), offre le spectacle de sa nuit de noce aux quelques jeunes hommes qui le souhaitent par le biais d'un trou fait dans le mur, une fente qui laisse entrevoir l'intérieure de la chambre.

Cette nuit de noce, comme tout le reste appartient à l'homme qui ne fait pas de caresses, qui ne dit pas de mots doux, il prend et s'en va, une fois la virginité dévoilée.

Le drap entaché de sang est alors exhibé devant un par terre de dames âgées, l'honneur de la fille est sauf.

Ecrit par : Human | 04.09.2006

@ human

merci de ton témoignage

l'obscutrantisme a la vie dure, il flatte le pire du mâle qui se laisse alors régir par son seul cerveau reptilien

Aragon a dit, en d'autres temps, "La femme est l'avenir de l'homme"

c'est à nous de combattre, d'éduquer, de dénoncer

Ecrit par : céleste | 05.09.2006

et la suite : quand en donnant un fils elles ont acquis un statut, elles deviennent d'assez féroces tyrans

Ecrit par : brigetoun | 05.09.2006

@brigetoun

on le sent très bien dans les familles indiennes, quand la bru devient belle-mère elle fait subir à son tour à ses brus ce qu'elle enduré

et ça continue

Ecrit par : céleste | 05.09.2006

C'est vraiment une fête pour les yeux. Et ces tissus merveilleux ..

Ecrit par : amarula | 05.09.2006

@ amarula

bienvenue et merci

Ecrit par : céleste | 05.09.2006

DES MARIS ET DES LARMES

Deux proverbes indiens:

"Une femme sans mari est un champ sans pluie."

"Les femmes rient quand elles peuvent et pleurent quand elles veulent".

Bien sûr, ce n’est pas ce que je pense.

Ecrit par : un instant pour | 05.09.2006

« La femme, l’avenir de l’homme » ? oui peut-être, mais pas depuis longtemps ailleurs que dans les chansons !

On s’imagine que la révolution française a permis de grandes avancées sociales… mais dès qu’on regarde les choses en détail et tout particulièrement concernant la situation des femmes, c’est faux.
Exemple, le divorce, créé en 1792, a été supprimé 1816, est n’est rétabli qu’en 1884.

Allez, une petite phrase bien de chez nous : « je n'apprécie pas les femmes qui se mêlent de politique »… Napoléon

Le Code Napoléon donne aux femmes un statut discriminatoire et régit de façon inégalitaire les relations entre les sexes. A une question simple " qu'est ce que la femme ", une réponse claire : c’est un être de second rang si elle n'est pas mariée, un être mineur et incapable si elle est mariée. Nuls droits politiques ou civils ne lui sont accordés. Cependant, l'égalité demeurait totale face à l'impôt et à la prison !!!

Pour résumer :
Le Code Napoléon inscrit l'enfermement des femmes au sein de la famille : considérées comme des mineures, elles sont soumises, jusqu'en 1970, à l'autorité du père et du mari :
- Le devoir conjugal est une obligation, il n’y a pas de viol entre époux
- Interdiction d’accès aux lycées et aux Universités
- Interdiction de signer un contrat, de gérer ses biens
- Exclusion totale des droits politiques
- Interdiction de travailler sans l’autorisation du mari
- Interdiction de toucher elle-même son salaire
- Contrôle du mari sur la correspondance et les relations
- Interdiction de voyager à l’étranger sans autorisation
- Répression très dure de l’adultère pour les femmes (prison pour les femmes, amends pour les hommes)
- Les filles-mères et les enfants naturels n’ont aucun droit

C'était il y a 200 ans, direz-vous... et bien détrompez-vous ! Il faut savoir que le statut des femmes a été révisé très lentement et que l'égalité civile complète ne sera instituée dans les textes qu'en 1985 (vous avez bien lu, cela ne fait que 10 ans !!!)
Pour exemple, une loi de 1880 a permis aux femmes d'ouvrir un livret de Caisse d'Epargne, mais ce n'est qu'en 1910 que les femmes purent retirer leur argent sans l’autorisation de leur mari.

Le concensus est total, et la gauche n'est pas plus féministe que la droite... le même type d'argument est utilisé.

Proudhon, avocat de l'égalité sociale et auteur de l'adage " la propriété, c'est le vol", a consacré sa vie à la condition ouvrière, tout en étant l'un des plus virulents détracteurs du féminisme. La condition ouvrière était, selon lui, menacée par l'apparition d'une main d'œuvre ouvrière féminine à bon marché (mesdames, nous étions le plombier polonais de l’époque… ça fait drôle, hein !)
Une prenve, cette mafnifique citation : " L'humanité ne doit aux femmes aucune idée morale, politique, philosophique […]. L'homme invente, perfectionne, travaille, produit et nourrit la femme. Celle-ci n'a même pas inventé son fuseau et sa quenouille ". (on entend encore parfois dire la même chose des africains ou des arabes, notez-bien..)

C’était la deuxième moitié du 19ème siècle, là où sont nées toutes les idées auxquelles s'accrochent encore aujourd'hui comme une moule à son rocher nos braves idéologues de gauche !…

Le suffrage universel ne pouvait concerner que les hommes dans l’esprit des politiques, les femmes étant jugées trop idiotes ou trop bigotes pour être capables de voter « comme il fallait ». En 1919, les choses semblèrent se débloquer, sous la pression des mouvements féministes (et des exemples étrangers, moins rétrogrades). A la Chambre des députés, la commission du suffrage universel rouvrit le dossier et proposa de donner le droit de vote pour les seules élections municipales à toutes les femmes de plus de trente ans. La Chambre alla plus loin et accorda le droit de vote aux femmes sans aucune autre restriction que celles s'appliquant aux hommes.
Mais le Sénat bloqua obstinément le dossier. Clemenceau affirma ainsi que le droit de vote était un droit naturel, mais que les femmes étaient insuffisamment éduquées et qu'elles constituaient des proies trop faciles à manipuler (il pensait alors à l'influence de l'Eglise, surtout dans les campagnes). En 1935, le même schéma se produisit…le Front Populaire préférait les femmes devant leurs casseroles….

Côté emploi c’était la même chose… 1925, on lit sous la plume d’un directeur de l’administration centrale ce genre de perle «pour s’opposer à ce que des femmes puissent avoir des responsabilités « la femmes, être nerveux et impulsif, serait-elle bien qualifiée pour prendre une décision administrative ?(…) La notion de la simple justice, de la froide raison du sens juridique, de la franchise sans restriction mentale et de la responsabilité, échappe encore à l’heure actuelle, à la plupart des femmes, mêmes sélectionnées… »
C’étaient nos grands-mères : des mineures auxquelles les indiennes n’avaient pas grand-chose à envier en fait !

Bon allez, je ne résite pas au plaisir de terminer avec cette élgante phrase de l'inoubliable auteur des Misérables... Victor Hugo : " l'homme a reçu de la nature une clé avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures " étonnant, non ?

Ecrit par : poilagratter | 06.09.2006

PS : pardon, pour les fautes de frappe.. on peut pas corriger ?

Ecrit par : poilagratter | 06.09.2006

merci Poil à gratter pour ce brillant florilège qui nous montre une fois plus l'ampleur du chemin à parcourir

je pense effectivement que les Indiennes sont traitées comme nos grand-mères

Ecrit par : céleste | 06.09.2006

Très beau reportage. Et en effet, nous-mêmes en sortons à peine et encore, ici en France, droit à l'avortement et gratuité de la contraception sont remis en cause. Il existe une très belle photo du Pkistanais Umair Ghani sur le thème du mariage forcé. Elle s'intitule : Butterlies in the wall (wedding against will). Je l'avais mise sur mon blog, mais on peut la voir en accès direct ici : http://www.photo.net/photodb/photo?photo_id=3988457

Merci et à bientôt. Je reviendrai sur ce blog que je viens de découvrir

Ecrit par : Bluemoon | 07.09.2006

Oh ! Ces fautes de frappe ! Il faut lire : Pakistanais et Butterflies in the wall. Avec mes excuses

Ecrit par : Bluemoon | 07.09.2006

@Bluemoon

merci

la photo est superbe, j'ai aussi visité le site, un régal

Ecrit par : céleste | 07.09.2006

Céleste, très touchant reportage comme toute la série de tes récits en Inde d'ailleurs. Tu nous fais vraiment partager ton expérience, merci.
Oui, poilagrater, l'égaliré des droits homme-femme dans le monde occidental a été une quête longue. Il suffit de lire le premier tome du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Le féminisme est toujours une bataille aujourd'hui. Comme pour la mise en place de la démocratie, il faut laisser les femmes de chaque pays prendre leur destin en main et ne pas donner l'impression d'imposer des idées occidentales.

Ecrit par : carole | 07.09.2006

La Madeleine... de Proust. Souvenir de mariage de cousines...

Il m'est resté gravé dans la mémoire la phrase du curé au mariage de ma cousine Michelle, "Une femme qui sait se taire est un présent du ciel..."

Ah misogynie, quand tu tiens l'homme, il ne s'en débarrasse pas comme ça !

Ecrit par : poilagratter | 07.09.2006

Les commentaires sont fermés.

 
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