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08.09.2006

Marchands de lunettes

medium_yusuf1.jpgEn Inde certains produits sont pour nous, occidentaux pourvus de salaires, de comptes en banque et de cartes de crédit, très bon marché. C’est le cas des lunettes.
Dans ce quartier de Trichy les boutiques des opticiens sont presque toutes judicieusement concentrées dans une même rue : celle de la Joseph Eye Hospital. La concurrence est forte et quand l’ autorickshow nous dépose dans la rue, les vendeurs des magasins nous interpellent. Un à droite, un à gauche, un au milieu, nous choisissons celui de gauche.
Comme dans tout magasin indien qui se respecte le personnel est nombreux. Le patron, un homme d’une cinquantaine d’années, trône derrière son comptoir. Notre arrivée provoque en certain remue-ménage et un petit garçon d’une douzaine d’années – mais que fait donc cet enfant en ces lieux ?- se précipite dans la boutique voisine. Il en revient en compagnie d’un jeune homme avenant, et élégant, qui prend immédiatement la direction des opérations.
Informé de notre requête, des lunettes de vue que notre âge, le traitre, nous contraint désormais à porter, il nous propose de tester sur le champ notre acuité visuelle à l’aide d’un système informatisé dont il nous vante les multiples qualités dans un anglais survolté et à la limite du compréhensible. Tout en parlant, il va, vient et revient à toute vitesse dans le magasin. A la moustache près, que contrairement à 98% des Tamils, il ne porte pas, c’est Zébulon. medium_yusuf2.jpg
Me voilà cinq minutes plus tard juchée sur la chaise d’observation, des lunettes en fer d’oculiste sur le nez, priée par Zébulon de déterminer si je vois mieux « Like this » ou « Like this ».
Après dix minutes et cinquante changements de verre successifs, nous finissons par trouver un accord : il accepte de me faire des lunettes identiques à celles que j’ai déjà. Je le sens un poil déçu, d’autant que l’opération répétée prestement avec Fabio aboutit au même résultat.
Après avoir choisi les montures nous décidons d’investir aussi dans la lunette de soleil.
Le petit garçon nous apporte des boissons et Zébulon déballe ses modèles.
Si lui s’est montré d’une rapidité exténuante dans la première partie de la séance d’achat, on ne peut pas en dire autant de nous dans la deuxième.
Et j’essaye et je tergiverse, et je n’arrive pas à me décider et Fabio non plus.
Entre temps j’apprends que Zébulon s’appelle Mohamed, qu’il a vingt-cinq ans, une femme et un enfant, que le patron du magasin est son père et que lui possède celui d’à côté.
medium_yusuf3.jpgLe petit garçon apporte à nouveau des boissons fraîches et j’en profite pour demander, lourdement j’en conviens, mais il est des causes où l’intransigeance s’impose, si par hasard il travaille dans la boutique.
« Nooon ! répond Mohamed Zébulon, l’air quasi indigné, c’est le fils d’un ami ! »
Vu qu’à cette heure ci il devrait être à l’école, j’ai de sérieux doutes sur la validité de la réponse, mais que faire ? Malheureusement claquer la porte du magasin ne résoudra pas la situation.
Je me console en pensant à notre projet Namaste qui consiste à créer avec quelques amis notre propre House Family. Les enfants que l’on nous confiera ne connaîtront pas ce sort là.
Nous fixons enfin notre choix et passons à la caisse.
Mohamed Zébulon, la main sur le cœur, nous promet de nous apporter les lunettes de vue à notre hôtel, ce soir, à vingt heures tapantes.

Et c’est ce qu’il fait. Il est venu en compagnie d’un autre jeune homme qu’il nous présente comme son oncle, mais surtout son ami.
Nous décidons de les interviewer.
Ils acceptent avec enthousiasme mais souhaitent être filmés sur leur terrain d’élection : le magasin.
Retour à « Popular Optical ». Il est neuf heures mais le magasin est toujours ouvert.
Mohamed et Shamsudeen répondent volontiers à mes questions. Ils ont fait des mariages arrangés dont ils sont fort contents. Leur femmes portent la burqua et ne travaillent pas, mais Shamsudeen se montre critique, il nous explique que, confinées à la maison, les femmes regardent la télé du matin au soir et affichent dès la trentaine une surcharge pondérable regrettable. Mohamed voudrait que son magasin devienne le plus important de la ville et ils adoreraient visiter l’Europe, ce que, disent-ils ils ont largement les moyens de faire. J’en déduis qu’ils sont certainement plus fortunés que ce que la boutique, modeste, m’avait laissé à penser. Ils appartiennent à une famille musulmane importante, renommée et précisent-ils orthodoxe, ce qu’eux, nouvelle précision, ne sont pas. Quant au futur de l’Inde, il sera d’après eux radieux.
« We are proud to be Indian! » lance joyeusement Shamsudeen.
Là-dessus ils nous invitent à dîner chez Mohamed. Nous grimpons dans une grosse et luxueuse voiture moderne, nous sommes bien chez les riches !
La maison, immense, abrite toute la nombreuse famille. Lui-même occupe tout un étage avec sa femme que malheureusement nous ne verrons pas car elle passe quelques jours chez ses parents avec le bébé.medium_yusuf4.jpg
L’appartement est un peu défraîchi et plutôt désordonné, mais fort bien équipé. Un grand lit rond trône dans la chambre du jeune couple. Plus je les écoute et plus je me rends compte qu’ils appartiennent à la jeunesse dorée de la ville, ils voyagent, fréquentent des hôtels de luxe et ne se privent de rien. Ils sont légers et désinvoltes, bien loin du jeune homme intello de Mayanoor.
Avant de nous ramener à notre hôtel ils nous font faire une visite guidée de toute la demeure et nous présentent une partie de ses nombreux habitants. L’appartement des parents est en bas, c’est aussi le siège de la cuisine où tous les repas sont confectionnés sous la houlette de la mère.
D’autres appartements sont occupés par des oncles et tantes que l’on nous présente brièvement.
Enfin, nous pénétrons chez les grands-parents. Le grand-père est la gloire de la famille, c’est lui qui a créé, il y a 70 ans, le premier magasin d’optique de medium_yusuf5.jpgTrichy.

Dans la voiture qui nous ramène à l’hôtel, je me dis qu’au cours de ce voyage nous avons rencontré des êtres très différents les uns de autres, des riches et des beaucoup moins riches, des hommes et des femmes, des jeunes et des plus âgés, des musulmans, des catholiques et des hindous, mais que tous se sont montrés à notre égard d’une gentillesse et d’une disponibilité exceptionnelles.

Merci les Indiens.

India, le 23 aout 2006medium_yusuf6.jpg

Commentaires

sans doute autant de diversité ici, si l'on rentre dans les familles, mais tu n'y rentrera pas justement, du moins ni chez les très pauvres parce qu'ils ont honte ni à partir de la petite bourgeoisie si tu n'as pas été présentée.

Ecrit par : brigetoun | 08.09.2006

Vous avez sûrement été reçus partout avec autant de gentillesse non seulement parce que vous êtes ouverts et sympathiques mais aussi parce que vous êtes occidentaux. Si vous aviez été de la classe moyenne (dans la mesure où elle existe) indienne, beaucoup de portes vous auraient été fermées.
C'est normal. Sur les étrangers, on ne sait pas lire les petits signes qui marquent l'appartenance à tel ou tel groupe social. J'ai ainsi vu des japonais ou des américains tout à fait moyens se faire inviter chez des gens très huppés... sans avoir besoin de se faire présenter.

Ecrit par : poilagratter | 08.09.2006

@ Brigetoun
en Inde aussi les classes extrêmes sont inaccessibles: les très pauvres parce qu'ils ne parlent pas anglais, les très riches parce qu'ils fréquentent d'autres lieux

@ Poilàgratter
c'est vrai que notre condition d'occidentaux nous a ouvert des portes, mais la gentillesse des Indiens n'est pas feinte, pas forcée. l'hospitalité est pour eux une vertu essentielle.
et si la classe moyenne indienne existe, la plupart des gens que nous avons rencontrés y appartiennent

Ecrit par : céleste | 08.09.2006

Ah mais il faut que j'y aille ! Moi aussi, pour les mêmes raisons que toi, j'ai besoin de changer mes lunettes ! Et ici, c'est trois mois d'attente. J'aime beaucoup ton art de raconter. A bientôt

Ecrit par : Bluemoon | 08.09.2006

C'est marrant que tu parles de lunettes, j'en reviense de chez Général Optique. Un monde inconnu pour moi, la myopie, mais je sens qu'on va passer pas mal de temps ensemble.

Qui peut s'offrir des lunettes en Inde à part les riches?

Est-ce que les prix sont accessibles?

Biz

Ecrit par : Human | 08.09.2006

@human

les prix sont relativement accessibles, sauf pour les très pauvres, bien sûr
mais c'est vrai que dans la rue, par exemple, les gens portant des lunettes sont rares

merci bluemoon!

Ecrit par : céleste | 09.09.2006

C'est quoi votre projet de House Family ?

Ecrit par : poilagratter | 09.09.2006

c'est une variante d' projet de Namaste, l'association caricative laîque, où nous avons passé une semaine et dont j'ai longuement parlé

il s'agit de louer une maison et d'y installer des mères en grosse difficulté avec leurs enfants et de payer tous les frais, avec obligation de fréquenter l'école...etc
l'idée et d'aider en même temps la mère et les enfants, au lieu de les séparer. dans notre petit groupe d'amis nous sommes 5, pour 50 euros par mois chacun on peut tirer de la misère 3 jeunes femmes et leurs 6 enfants
ces femmes ont été abndonnées par les maris, et, il n'y a pas de hasard, elles sont mères de petites filles

Ecrit par : céleste | 09.09.2006

C'est merveilleux de pouvoir voyager avec vous dans le sous-continent... Mon ami Cerca (de Cercamon, en lien sur mon blog) est un fin connaisseur de l'Inde... et il faisait partie de ceux qui assistaient avec nous aux Fantasques consacrées à Fantômas... sous le ciel de Cap d'Ail... Je ne manquerai pas de lui parler de vous.
A bientôt...

Ecrit par : Christian J. | 09.09.2006

Les commentaires sont fermés.

 
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