30.07.2006
Opulence et misère
Nous continuons l’exploration de Bangalore. Au hasard des rues nous arrivons à Commercial Street, une rue commerçante (comme son nom l’indique), mais qui, contrairement à MG road a gardé un cachet indien.
En Inde, comme en France il n’y a pas si longtemps, (je me souviens encore de la rue des chaussures à Limoges) les quartiers, ou les rues, sont spécialisés: quartier du mobilier, de la ferraille, des chaussures et des sacs, des bijoux ou du textile comme la Commercial Street.
Les boutiques regorgent de tissus somptueux, féériques. C’est la caverne d’Ali Baba version chiffon, et je suis au bord de l’apoplexie devant tant de merveilles. Tout me tente, tout m’attire et je ne suis pas la seule, des centaines de femmes se bousculent dans les échoppes, tâtent les étoffes et négocient les prix. Elles achètent rarement des vêtements prêt-à-porter, préférant confier la fabrication du « suit shalwar », du corsage du sari (appelé blouse), ou de la jupe longue que certaines portent pour les mariages, aux bons soins des tailleurs. Ceux –ci œuvrent dans les rues voisines, penchés sur leurs Singer à pédale. D’autres brodent des motifs en fil de soie brillant sur de longues et fluides écharpes en crêpe.
Les lourds saris de soie incrustés d’or sont les plus prisés, destinés à représenter le statut social et la richesse de la famille, ils sont très coûteux, un peu comme la fourrure en occident mais en infiniment plus beau.
En sortant d’un magasin où je me suis offert le cinquième « suit shalwar » de la saison, une petite merveille en coton orange brodé assorti d’une dupatta en mousseline piquée de sequins dorés, je rejoins Fabio qui regarde sur le trottoir d’en face un mendiant qui le regarde. Ils échangent des sourires. Chaque fois qu’un passant le contourne sans même considérer sa présence il hausse les yeux au ciel, affichant un air fataliste, quand au contraire une obole tombe dans son escarcelle il manifeste sa joie en balançant la tête en direction de Fabio qui balance la sienne par solidarité. C’est un mendiant bien mal en point, estropié des deux jambes, qui gisent inutiles et ratatinées sous son corps difforme, en un mot c’est un cul de jatte.
Bangalore pullule de ces pauvres hères estropiés, aux membres amputés, tordus, brisés, inutilisables. Ils doivent probablement leurs blessures à de sordides maîtres de mendiants qui estropient les enfants afin de solliciter la pitié généreuse des passants. Déposés chaque matin sur un coin de trottoir, récupérés chaque soir, ils reversent leurs gains à leurs tortionnaires.
Comme beaucoup d’occidentaux, projetant en ces créatures disgraciées mes propres angoisses et mes propres peurs, j’ai eu longtemps beaucoup de mal ne serait qu’à les regarder. Je jetais ma piécette précipitamment, sans m’attarder, submergée par une vague et inutile culpabilité. Puis mon regard sur eux a évolué, notamment grâce à l’extraordinaire roman de Rohinton Mistry, « L’équilibre du monde » qui donne la parole à ces êtres différents, qui les fait rire, se disputer et s’amuser d’un rien, qui me permet aujourd’hui de leur parler, de leur sourire, de reconnaître leur dignité.
La mendicité est une institution en Inde, pour les hindous elle est normale, le mendiant, le pauvre, l’intouchable ont mérité cette disgrâce en se comportant mal dans leurs vies antérieures. Point n’est donc besoin de les secourir, leur misère actuelle alliée à un comportement honorable les aidera pour leurs vies futures.
« L’hindou mendie, froidement, avec conviction, avec culot. Considérant cet emploi comme sa destinée. Les hindous, ni bons ni charitables, passent leur chemin et le laissent parce que c’est sa destinée », Henri Michaux « Un barbare en Asie ».
Ce n’est pas cruel, c’est inéluctable. Et il faudra de profonds changements dans les mentalités avant que le sort de ces malheureux ne change.
India, le 30 juillet 2006
15:00 Publié dans Chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (5) | Envoyer cette note
Commentaires
Au Chili, il y a des mendiants aussi, mais pas pour des raisons de rédemption, de métempsychose ou de religion... juste la pauvreté.
Et pourtant, il semble aussi que le temps pour changer les mentalités et de ne plus accepter cela, soit tout aussi nécessaire... parce que si en Inde, l'on considère que l'intouchable paye une faute d'une vie antérieure, il semble que dans les pays libéraux, on lui fasse payer les erreurs de la même vie présente !
Ecrit par : bertrand | 30.07.2006
joli le dialogue muet avec le mendiant - et pour la rue c'est le marché Saint Pierre puissance dix ?
Ecrit par : brigetoun | 31.07.2006
Quelle tristesse le sort de ces pauvres mendiants !
Ecrit par : tanette | 31.07.2006
Benchmarking : le mendiant parisien
Si son karma l'a poussé à la rue, c'est à son insu. Il en attribuera plus facilement les causes à une enfance torpillée, à la prison, à la société, et pourquoi pas aux délocalisations... quand il est français. A y regarder de plus près, on peut souvent aussi y ajouter la paresse et l'ivrognerie, quand ce ne sont pas des déficiences cérébrales en tout genre.
De plus en plus, il vient d'ailleurs, du sud, de l'est, fuyant la misère – ou la police - pour échouer sur nos trottoirs dont les poubelles sont de toutes façons mieux garnies que ne l'était son assiette dans son pays.
Dans les rues de Paris, on tient le coup en le buvant. Abondamment. Le parisien passe en regardant ailleurs et ne donne de piécette qu’aux pros, ceux qui se donnent la peine de réaliser une mise en scène appuyée, ou une démarche volontariste et un tantinet agressive. La parisienne, elle, passe carrément sur l'autre trottoir en se bouchant le nez et ne donne qu'aux membres agréés des organisations de mendicité organisée, dont l'étendard est un magazine de rue aux couleurs fanées.
Au plus fort de l'hiver, Médecins du Monde, faisant son boulot d'ONG de culture chrétienne, a distribué des tentes à ceux qui faisaient de la résistance anti-foyer d'hébergement. La mode s'est répandue comme une traînée de poudre... et certains trottoirs répondant à des critères précis tels la proximité d'un jardin public pour les besoins naturels, d'un point d'eau et d'un métro, ont de plus en plus tendance à se transformer le soir d'abord en beuverie, puis en terrain de camping.
Hélas... quelques jours de canicule à 30 degrés, et le bobo, contraint d'ouvrir ses fenêtres pour dormir, a pris conscience... non pas de la misère, mais des nuisances qu’elle crée. Les pétitions et les protestations ont donc envahi le bureau de Bertrand Delanoe qui après l’inauguration du musée chiraquien des Arts Premiers, et avant celle du tramway des Maréchaux, était fort occupé à choisir la cravate qui irait à la fois à sont teint et à la fois avec les palmiers brésiliens du Paris Plage saison 4.
Le conseil de guerre s’est réuni et il question aux dernières nouvelles de ne pas trop froisser l’électeur qui peut s’avérer volatil et de repousser l’ennemi en dehors de la ceinture de la ville, de l’autre côté du périphérique… mais, les Maires concernés, soit sont trop occupés (je viens d’apprendre d’un coup de Monsieur Sarkozy avait récupéré Cécilia, et qu’avant de filer à Arcachon, il avait fait témoin au troisième mariage de Jean Reno…juste après avoir offert un goûter à une centaines d’enfants libanais et rattrapé in extremis une mère de famille guinéenne expulsée par zèle bureaucratique…), soit disent qu’ils ont déjà donné en matière de pauvreté…, soit font la sourde oreille… A suivre.
Ecrit par : Poilagratter | 31.07.2006
@ poil a gratter
joli style, plein d ironie, bravo!
bisous
Ecrit par : celeste | 02.08.2006
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