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19.01.2007

"Cinq choses que vous ne savez pas de moi" (3)

A une autre période de ma vie, j’eus à affronter un certain nombre (un nombre certain) de difficultés. Entre un mariage qui se fracassait et des déboires sentimentaux approximatifs, le tout sur un fond d’huissiers venant saisir les meubles et de factures impayées, j’avais sur le présent et l’avenir une impressionnante série de questions et de doutes que même les discussions avec mes copines et la fréquentation régulière d’une dame revêche assise dans un fauteuil (les bienfaits salvateurs de ces séances se feront sentir bien après, il était encore trop tôt) ne parvenaient  résoudre.

C’est alors qu’une amie me proposa d’aller consulter un marabout.

Un marabout ?

Moi ?

L’athée de service ?

Tourne vire, la curiosité fut la plus forte, je la suivis et j’ai consulté un marabout.

 

Dignement assis sur un tapis, la djellaba plissant sur ses jambes croisées en tailleur, il nous reçut dans son appartement au sein d’une de ces sordides cités HLM où s’entassent ceux que les gens des beaux quartiers (et même des moins beaux) n’ont pas envie de rencontrer dans l’escalier quand ils descendent acheter leur baguette.

Ascenseurs en pannes, murs tagués, poubelles débordantes, carré d’herbe pelé, boîtes aux lettres défoncées, et une petite odeur de soupe froide mâtinée d’urine courant dans les couloirs, tous les ingrédients du ghetto se trouvaient honteusement réunis, sans que cela, visiblement, n’émeuve ni l’office des HLM ni la municipalité de Nice.

Brigitte, courageuse mais pas téméraire, avait garé sa Twingo deux bornes avant et il avait fallu marcher le long de la route sous une vilaine petite pluie battante.

 

Mamadou salua mon amie et, fixant sur moi un œil noir, me lança sans ménagement : « Oh, mais t’i mézante toi, ti veux quitter ton mari ! »

Interloquée, j’ouvris la bouche pour lui signifier que c’était pas ses oignons et que je n’étais pas venue là pour me faire remonter les bretelles, mais pour essayer, stupidement peut-être, de trouver un peu de réconfort dans des promesses, même aléatoires (au point où j’en étais je ne pouvais pas faire la difficile), de bonheur futur. Je n’eus pas le temps d’exprimer ces pensées car, d’un geste de la main, il m’intima le silence. Puis il nous fit comprendre d’un coup de menton  qu’il nous invitait à nous asseoir face à lui sur le tapis, et, fermant les yeux, la mine inspirée, il entama sur ses fesses un mouvement de balancement.

« Il se concentre » me chuchota Brigitte.

Il rouvrit les yeux et nous décocha un magnifique sourire. Suite à quoi il s’informa aimablement de la santé de la mère de Brigitte, une cliente assidue.

Enfin, s’adressant à moi d’un ton péremptoire : « Ti sais bien écrire toi ! Ti sais y faire avec li papiers ! »

Et sans attendre mon approbation, qui visiblement lui importait peu, il tira un formulaire taché d’une pile de documents qui gisait à ses côtés et me le tendit. Il s’agissait d’un courrier des allocations familiales lui demandant d’indiquer combien il avait d’enfants.

Je le lui expliquai.

     " -  Ici ? demanda-t-il.

-         Oui, c’est les allocations familiales, pour avoir de l’argent.

-         Ahhh, li zallocations familiales, ça marche, et il éclata d’un rire joyeux

et communicatif.

-         Ils veulent savoir combien vous avez d’enfants.

-         Ici ?

-         Ben oui, ici, intervint Brigitte, pas ceux que tu as au Sénégal !

-         Ahhhh…, dit-il la mine pensive et plutôt déçue, …ici…

-         Et il faut indiquer leurs âges et joindre des certificats de scolarité, il faut les demander à l’école.

-         Cirtificat… ah voui voui voui, ci pas facile hein !

-         Bon, si vous avez un livret de famille, je peux vous remplir le formulaire. »

 Il me tendit un livret qui avait depuis bien longtemps perdu sa couleur blanche et tandis que je commençais à recopier sur la feuille les coordonnées des quatre enfants qui y figuraient, il expliqua à Brigitte que les difficultés qu’elle avait rencontrées faisaient désormais partie du passé et que son avenir serait radieux.

Il va sans dire qu’il s’exprima d’une manière moins formelle et beaucoup plus imagée, mais le concept de base portait à l’optimisme.

Tout en écrivant je mesurai à quel point les tracas administratifs pouvaient être ardus pour qui ne maitrise pas la langue écrite et me disais que certainement, par ignorance et manque d’aide, certains passaient complètement à côté de leurs droits. Depuis des années Mamadou vivait et  travaillait en France mais il ne savait lire que l’arabe.

 Mon heure était arrivée, et Mamadou me demanda ce que je voulais savoir. Ne le sachant trop moi-même, je répondis par un « tout » peu compromettant.

« On sait zamais tout… on sait zuste ce qu’Allah y veut bien dire »

Là-dessus il extirpa d’un repli de sa djellaba un chapelet coranique, cracha dessus à plusieurs reprises et le fit rouler entre ses mains en marmonnant des incantations. Il le jeta délicatement devant lui et me demanda de choisir une perle.

Sait-on jamais, j’hésitai et tergiversai, celle-ci ou celle-là, jusqu’au moment où, un éclair de lucidité me traversant, j’en saisis une au hasard.

Il se racla la gorge d’un air dubitatif et s’empara d’une liasse de feuillets usés par le temps recouverts d’un texte écrit en arabe. Il en choisit un et le leva à hauteur de ses yeux.

Puis il parla…

 

 

Et moi, je passe le relais à Marc, du précieux blog "Méditer, faute de mieux" 

 

Commentaires

Nous ne saurons pas ce qu'il t'a dit, je suppose ? Tu ne diras rien ?

Pffff.

J'ai toujours trouvé qu'il y avait un métier plus passionnant que tous les autres.

Plus passionnant encore qu'enseignant.

Plus passionnant qu'écrivain.

Ecrivain public.

J'aime aller au contact des gens, les aider dans leurs démarches, les appuyer quand je peux. Ecouter leur détresse, leurs joies aussi...

Tout ce que tu décris bien mieux que moi.

Tu es merveilleuse. Voila, c'est tout, c'est dit.

Ecrit par : Bruno Lamothe | 19.01.2007

Merci, Céleste, pour ton invitation. Je réponds dimanche, ce qui ne veut pas dire que je ne passe pas demain pour savoir ce que Tatadou t'a dit...

Ecrit par : Marc | 19.01.2007

c'est pas juste ! comme je ne suis pas la Brigitte de l'histoire, je ne saurais pas .. enfin tu ne dis pas que ce fut utile comme la dame revêche même plus tard.
Je n'aurais pu être ta Brigitte parce que toute athée que je suis j'ai très fort, venue des temps immémoriaux, une frousse aussi bleue qu'inconsciente et donc irréparable, des korigans ou là des djins et esprits de la forêt, et je sais bien il parlait d'Allah ton bonhomme mais on ne sais jamais

Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 20.01.2007

Et alors ? Alors raconte-nous.....! Non je crois juste qu'une chanson disait cela. Tu racontes si tu veux..
Sans aucun rapport : j'aimerais bien voir un boudha que tu sculptes dans le sable, en as-tu jamais photographié ?

Ecrit par : tanette | 20.01.2007

J'adore ces "morceaux de vie".

(et pourla Brigitte de l'histoire, content de la réaction de notre Brige à nous parce que j'ai failli confondre ^^)

Ecrit par : Falconhill | 21.01.2007

Ce qu'a dit Mamadou?

Sur le passé et le présent, la vérité.
Sur l'avenir "Tu rencontreras un homme étranger, et tu iras vivre avec lui dans son pays".

Je suis retournée plusieurs fois le voir, et remplir ses papiers administratif. Un lien amical, s'est créé entre nous, c'est un homme généreux, soucieux d'aider ceux qui viennent le consulter.
Il est aussi plein d'humour.
Je ne l'ai pas revu depuis que j'ai quitté Nice.

Pour répondre à Brigetoun, oui, ce qu'il m'a dit me fut utile, moins que la dame revêche, mais il m'a donné une image de moi positive, conquérante.
Au fond l'essentiel de son message fut :"Tu dois avoir confiance en toi, le monde t'appartient, comme il appartient à tous ceux qui en ont conscience"

Quelques mois après avoir la première entrevue avec Mamadou, j'ai rencontré Fabio


A toutes et tous, si ce type d'expérience vous intéresse, je vous conseille la lecture du merveilleux livre de Tiziano Terzani "Un devin m'a dit"

dont voici le début:

"Dans la vie, il se présente toujours une bonne occasion. Le problème, c'est de savoir la reconnaître et parfois ce n'est pas facile. La mienne, par exemple, avait tout l'air d'une malédiction. Un devin m'avait dit : "Attention! En 1993, vous courrez un grand risque, celui de mourir. Cette année-là, ne volez pas, ne prenez jamais l'avion." Cela s'était passé à Hong Kong. J'avais rencontré ce vieux Chinois par hasard. Sur le moment, ces mots m'avaient frappé, évidemment, mais cela ne m'avait pas tracassé. Nous étions au printemps de 1976, et 1993 me semblait encore très loin. Toutefois, je n'avais pas oublié cette échéance. Elle était restée dans mon esprit, un peu comme la date d'un rendez-vous auquel on n'a pas encore décidé si on ira ou non. 1977... 1987... 1990... 1991. (...) Je me suis vite retrouvé à la fin de 1992. Que faire? Prendre ce vieux Chinois sur le sérieux et réorganiser ma vie en tenant compte de son avertissement, ou faire semblant de rien et continuer en me disant : "Au diable les devins et leurs inepsies?" A ce moment-là, il y avait déjà plus de vingt ans que je vivais en Asie, sans interruption. Tout d'abord à Singapour, puis à Hong Kong, Pékin, Tokyo et pour finir à Bangkok, et j'ai pensé que la meilleure façon d'affronter cette "prophétie" était de le faire à la mode asiatique : ne pas m'y opposer, mais m'y plier. "Alors tu y crois?" se moquaient mes collègues-journalistes, surtout les Occidentaux, habitués à toujours vouloir un oui ou un non, bien net, comme réponse à leurs questions, même à celles qui, comme celle-ci, sont mal posées. Quand le temps est nuageux, on n'a pas besoin de croire aux prévisions du temps pour sortir de chez soi avec un parapluie. La pluie est une possibilité, le parapluie une précaution. Pourquoi provoquer le sort si justement celui-ci te fait signe, te fait une suggestion? (....) Et puis, l'idée de ne pas voler pendant une année entière me plaisait beaucoup, surtout comme défi. Prétendre qu'un vieux Chinois de Hong Kong puisse avoir les clefs de mon avenir m'amusait énormément. J'avais l'impression de faire un premier pas sur un terrain inconnu. J'étais curieux de voir où les pas suivants, dans cette même direction, allaient me porter. Tout du moins, ils m'inciteraient, pendant un certain temps, à vivre une vie différente de celle de toujours...."

Ecrit par : céleste | 21.01.2007

oui vive mamadou - mais je n'y peux rien, j'ai une frousse iraisonnée de tout ce qui est devin ou autre, effet de ma naissance corse, des histoires de korigans de l'enfance bretone ? peur de l'autre monde, auquel officiellement je ne crois pas

Ecrit par : brigetoun | 21.01.2007

Un grand plaisir qui se renouvelle, de te lire, de lire tes récits, je te l'ai déjà dit, mais je ne peux pas passer indéfiniment et le faire sur la pointe des pieds, derrière mon agrégateur !

Tout cela me parle tellement !

Merci Céleste !

Ecrit par : Otir | 21.01.2007

Gniark! Née dans une famille athée de parfaits mécréants, j'ai développé depuis l'enfance une passion pour les contes et les légendes, plus tard pour les mythes, sans doutes parce que mes grands-mères et ma mère possédaient l'art des conteuses dont j'ai (modestement) hérité.

J'aurais pu faire une excellente cartomancienne et gagner pas mal de fric si je n'avais pas eu de scrupules, mais comme je n'aime pas ceux qui abusent de la crédiluté humaine, je ne roule pas sur l'or.

J'ai préféré m'intéresser aux civilisations anciennes et j'ai meme fini par apprendre l'étrusque (si si)!. ça m'a permis de ne pas avoir de problèmes avec l'eau de là, qui ne m'effraie pas outre mesure.

Je regarde tout cela assez froidement, avec l'oeil de l'anthroplogue; j'ai une grande estime pour clarissa Pinkol Estés et Marija Gimbutas.

Ecrit par : Floreal | 21.01.2007

@Floréal

je dois avouer que je ne sais absolument pas qui sont Clarissa Pinkol Estés et Marija Gimbutas


merci à toutes et tous!

Ecrit par : céleste | 22.01.2007

Un régal ce récit ! Je le vois et je l'entends Mamadou !
Un sage qui t'a dit de bonnes paroles.
Un jour, il y a 20 ans allant à un entretien d'embauche en sortant du métro on me distribua un petit papier vantant les mérites d'un marabout. Bon présage pensai-je !
Je décrochai le job.
Depuis je garde tous les petits papiers de marabout que l'on distribue à la sortie du métro !

Ecrit par : Fauvette | 22.01.2007

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