15.01.2007
Laos : de Luang Prabang à Vang Vieng
Nous quittons Luang Prabang.
Le bus dans lequel nous prenons place, vieux et cabossé, vrombit sur le terre plein de la gare routière. Les bagages sont fixés sur le toit, vaguement recouverts par une bâche en plastique crasseuse qui laisse apparaître le coin de ma valise en toile. Le ciel est nuageux, espérons qu’il ne déversera pas sur nous une de ces giboulées dont il est coutumier sous ces latitudes.
Un jeune couple s’installe à notre droite. Je les reconnais, hier soir ils ont dîné à une table proche de la nôtre, dans une gargote sur le bord du Mékong. En tendant une oreille curieuse, mais pas indiscrète, car le garçon tenait avec deux jeunes anglais une de ces discussions typiques de beaucoup d’anglo-saxons en terre étrangère, c'est-à-dire particulièrement bruyante, j’ai appris qu’il était anglais lui aussi, en mission - mais je ne sais pas de quoi - dans une ville du nord de la Thaïlande.
La jeune fille est d’une beauté touchante, un visage parfait encadré de longs cheveux noirs. J’ai entendu le garçon dire qu’ils se sont connus en Thaïlande, là où elle vit. Pourtant j’ai remarqué qu’elle parlait laotien avec les serveurs des restaurants. Peut-être sa famille, comme 400 000 Laotiens, soit 10 % de la population a-t-elle dû fuir le régime révolutionnaire instauré à partir de 1975. Beaucoup d’entre eux se sont réfugiés dans le nord de la Thaïlande.
Toujours est-il que tandis que son compagnon riait haut et fort avec ses voisins de tablée, elle est demeurée silencieuse, acquiesçant parfois de la tête, ou esquissant un léger sourire. Leur table était encombrée de bouteilles de bière, grand modèle. Le garçon buvait sans arrêt. Puis les autres sont partis et le silence s’est installé entre eux. Il a commandé deux autres bières et encouragé la jeune fille à boire.
Quand peu après nous sommes partis, ils étaient muets, face à face, comme figés.
Ce matin il s’affale dans le siège près de la fenêtre, elle s’installe à ses côtés, encombrée par des paquets qu’elle pose sur ses genoux. Puis elle en sort des feuilles de bananes farcies. Elle lui en tend une. Il la repousse d’un brusque mouvement de la main, lui tourne le dos et s’appuie à la vitre.
Elle fait une petite moue d’une infinie tristesse, et moi je pense à tous ces hommes occidentaux qui profitent sans vergogne de la fraîcheur et de la docilité de ses jeunes filles asiatiques douces et calmes. Malheureusement, cela n’a rien de nouveau, au temps de l’Indochine de nombreux français prenaient des maîtresses, pour ensuite les abandonner avec leurs enfants quand l’appel de la mère patrie se faisait irrépressible.
« Ne pleure pas si je te quitte
Petite Anna, petite Anna, petite Annamite
Tu m'as donné ta jeunesse
Ton amour et tes caresses
T'étais ma petite bourgeoise
Ma Tonkiki, ma Tonkiki, ma Tonkinoise
Dans mon cœur j'garderai toujours
Le souvenir de nos amours »
« Ma petite Tonkinoise » Georges Villard / Vincent Scotto créé par Mistinguett en 1906repris par Josephine Baker en 1930
Le protectorat français n’a en rien amélioré le sort des laotiens, ce qui n’était d’ailleurs pas sa vocation, pire, la culture et la langue lao furent méprisées. Toute l'Administration fonctionnait en français ce qui rendait les démarches quasi impossibles aux autochtones, analphabètes à 90%.
Pendant que mes pensées vagabondent dans les méandres indochinois, un autre jeune couple vient s’asseoir derrière nous. Eux aussi je les connais de vue. Ils sont français, très jeunes, une vingtaine d’années. La première fois que je les ai vus, il y a quelques jours, ils descendaient d’un canot après une promenade sur le Mékong. Lui, balourd, s’est pris le pied dans le siège et est tombé dans l’eau en entraînant leur sac dans sa chute. Elle a crié « Antoine, merde, tu peux pas faire attention ! »
Donc il s’appelle Antoine, elle je ne sais pas, mais je sais qu’elle le houspille sans cesse, apparemment non sans raison car il a oublié le guide de voyage dans la chambre d’hôtel et il est trop tard pour retourner le chercher. Il subit les réprimandes sans mot dire, grimace, puis se tourne vers d’autres passagers français pour entamer joyeusement la conversation.
La différence entre les deux couples est saisissante.
L’autobus démarre enfin. Un homme prend place à côté du chauffeur, il pose entre ses jambes une kalachnikov, les routes sont peu sûres au Laos.
Le bilan de ses attaques, de cette guerre tenue secrète, serait d’environ 350 000 morts.
Par mesure de répression, le gouvernement du Laos a massivement déporté les populations Hmong montagnardes dans les plaines (il a en aussi expédié bon nombre dans des camps). Les Etats-Unis ont continué à apporter une aide occulte aux Hmongs et la guérilla perdure depuis des années.
Une semaine après notre passage à Vientiane, une bombe explose à la gare routière, faisant plusieurs victimes.
Le bus cahote entre des montagnes d’une époustouflante beauté. Les vallées et les monts recouverts de forêts denses, d’un vert brillant se succèdent entre les nuages.
Les villages sont des alignements de pauvres cabanes de planches devant lesquelles jouent des enfants sales et dépenaillés. Ils sont habités par ces populations déplacées, venues des montagnes et qui ont trouvé refuge le long de la route en espérant trouver un peu de travail, leur sort est particulièrement douloureux.
Et la nature qui les entoure, un véritable piège. Une grande partie des bombes déversées par les B52 qui vidaient leurs soutes avant de rejoindre leurs bases thaïlandaises, n’ont pas encore explosé et la forêt en est infestée.
165 kilomètres et 5 heures plus tard, nous arrivons, fourbus et moulus à Vang Vieng, petite ville tranquille, célèbre pour ses fumeries d’opium clandestines.
En vidéo : les routes du Laos
10:15 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (9) | Envoyer cette note | Tags : laos
Commentaires
ce qu'il y a de merveilleux c'est qu'on a un peu l'impression (en faux tant pis) de voir les lieux, de connaître les gens et en même temps tu éclaires dans les mêmes phrases le contexte - merci à toi - je vais voir la vidéo
Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 15.01.2007
Je savais pour le Cambodge mais pas que le Laos avait souffert autant aussi
Ecrit par : amarula | 16.01.2007
La bonne distance, comme toujours. Et je ne parle pas que de celle qui sépare Luang Prabang de Vang Vieng.
Ecrit par : Marc | 16.01.2007
mais le charme de la danse du parapluie et le rire du garçon et de son frère
Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 16.01.2007
Très beau tour aventureux rêvé.
Seul le rêve le rend léger.
Heureusement qu"à chaque pluie
de la brume affrnchie, la vie sourit
Ecrit par : martingrall | 16.01.2007
le regard et le visage de ta première photo sont terriblement pénétrants
Ecrit par : lesyeux | 16.01.2007
La derniere partie du tryptique sera-t-elle sur la Birmanie ?
Ecrit par : amarula | 17.01.2007
@Amarula
non, je n'y suis pas encore allée, mais c'est prévu, peut -être pour cet été.
merci toutes et tous
Ecrit par : céleste | 18.01.2007
Bravo pour ce passionnant carnet de voyages : beaucoup d'humilité, d'humanité et d'humour!
Si vous retournez en Asie du Sud Est, n'hésitez pas à cliquer sur
http://www.uhasie.org ...
Bon vent ! Amicalement, Rémi.
Ecrit par : Rémi | 02.10.2007
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