23.12.2006
Sonnez hautbois, résonnez trompettes.
A Poipet, ville frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, la misère s’étale comme une plaie purulente.
Des enfants en guenilles, maigres, morveux, pieds nus dans la poussière, mendient quelques piécettes aux touristes occidentaux et aux thaïs qui vont jouer dans les casinos de la ville, agglutinés ensemble dans la file d’attente du poste frontière.
Les premiers se lamentent de la lenteur des opérations, pestent et bousculent pour gagner quelques places, leur plaisir de touristes gâché par cette attente interminable. Ils ont payé pour être là, ils ont un programme à suivre, des monuments à visiter. Pensent-ils à toutes les contraintes que nous, occidentaux, infligeons, à qui, venu, d’un pays pauvre, voudrait essayer de l’être moins en immigrant dans nos contrées?
Si j’en juge à leur attitude indifférente, c’est peu probable.
Les deuxièmes, les thaïs, tous des hommes, ont en tête bien autre chose, venus tenter leur chance au casino, et profiter sans honte de la misère locale pour s’acheter les corps graciles des enfants affamés.
Poipet est le lieu le plus sordide que nous ayons jamais vu, le clinquant des casinos et ses relents d’argent facile dominent des rues défoncées où des hommes décharnés tirent des charrettes à bras lourdement chargés de ballots, où les vendeurs de tout et de rien, se pressent autour de la foule qui attend, où des enfants, beaucoup d’enfants tendent tristement des mains crasseuses.
Une fillette s’est attachée à nos pas. Elle a environ dix ans, sur sa hanche, tenu par un linge sale, elle porte un bébé presque nu, son petit frère. Il est trop lourd pour elle, il pèse sur son côté et le tissu lui blesse l’épaule.
Je lui donne un peu d’argent.
Elle continue à quémander « Maman, papa ! »
Elle montre le bébé baveux « Manger, maman ! »
Je n’ai plus de pièces, je fouille dans mon sac, j’y trouve un stylo, un peigne et un petit miroir, je les lui offre, son visage s’illumine, elle me sourit.
Elle s’éloigne de moi, tendant la main vers d’autres. Un gros homme se rapproche d’elle, je vois sa main épaisse se diriger vers ses petites fesses maigres. Probablement il la touche, car elle s’éloigne brusquement, les yeux enflammés de colère. Je fusille l’homme du regard. Il bat en retraite. Elle revient vers moi.
Je lui parle, en français, je lui dis que malheureusement je ne peux rien faire pour elle, que sa souffrance me touche, qu’elle doit faire attention aux hommes avides, qu’elle doit aller à l’école… je sais qu’elle ne comprend pas le sens de mes paroles, mais elle perçoit la tendresse que j’éprouve pour elle.
Elle ne réclame plus, elle est calme, nous échangeons des sourires. Je soulève le bébé dans mes bras pour la soulager quelques instants de son poids. Je remets le linge en place. Je lui donne des mouchoirs en papier pour essuyer le petit nez qui coule.
Puis arrive notre tour de passer la frontière.
Je lui dis au revoir, et que je ne l’oublierai pas, que ce que je ne peux pas faire pour elle je m’appliquerai à le faire pour d’autres dès que cela me ce sera possible.
J’ai envie de pleurer.
Elle aussi est triste.
Puis elle tourne les talons, et je la vois, petite silhouette déséquilibrée, retourner vers le début de la file pour mendier à nouveau.
Une semaine plus tard nous repassons à Poipet, cette fois pour rejoindre la Thaïlande. Je pense à la fillette, je la cherche du regard.
Soudain j’entends une petite voix « Maman, papa ! »
C’est elle, qui se précipite vers nous, joyeuse de nous revoir, le bébé brinquebalant sur sa hanche.
Mais aujourd’hui elle ne demande rien, elle lève ses mains jointes, très haut devant son visage pour nous saluer. Elle sourit.
Puis une voix l’appelle et elle s’enfuit en courant.
Demain l’occident fêtera Noël.
Pendant qu’une minorité des habitants de la planète s’empiffrera à en vomir, éclairée par une débauche de lampions, pendant que la fête de la consommation et de la gabegie battra son plein dans les vapeurs de champagne et les renvois de foie gras, des millions d’enfants à travers le monde tendront leurs mains pour mendier quelques centimes.
Et pourtant que fête-t-on à Noel, si ce n’est la naissance d’un enfant, venu au monde dans une étable, et dont les parents devront s’exiler pour protéger leur fils de la folie d’un prince qui voulait massacrer les innocents ?
En cette nuit de Noël, la bombance ne sera pas partagée.
Dans le froid glacial de l’Afghanistan personne ne fêtera l’arrivée au monde de fragiles nouveau-nés dont l’espérance de vie sera presque inexistante.
Dans les camps du Darfour des femmes aux seins vidés n’auront plus de lait à offrir à des nourrissons exsangues.
Dans les faubourgs de Bagdad les explosions des bombes raviront à des bébés les adultes qui les aiment.
Dans la bande Gaza des petits Palestiniens découvriront que leur univers est une prison.
Et partout dans le monde, des enfants seront frappés, enfermés, violés, torturés, emprisonnés.
Sonnez hautbois, résonnez trompettes, non pas pour un enfant fils d’un hypothétique Dieu, mais pour tous les enfants du monde.
Pour que chaque naissance soit une joie.
Pour que tous naissent vraiment libres et égaux.
Que ce Noël vous soit, à toutes et tous, empli de joie et de tendresse.
13:00 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent | Commentaires (21) | Envoyer cette note
Commentaires
http://french.epochtimes.com/news_images/2005-1-13-famine-site.jpg
Pas pour gacher les fêtes mais...
pensons à ce pauvre continent que tout le monde oublie.
Ecrit par : Viviane | 23.12.2006
Oui, Céleste
ces enfants qui sourient malgré tout au coeur de leurs joues rondes
que jamais il ne leur arrive ceci
qui est un résumé de l'Afrique...
http://www.nupge.ca/images/famine.jpg
http://www.faqs.org/nutrition/images/nwaz_01_img0092.jpg
Ecrit par : Viviane | 23.12.2006
j'ai oublié de vous remercier pour ce beau reportage
je ne connais pas l'Asie et la découvre à travers vos textes et photos
...
Les regards de ces gosses sont très émouvants
j'aime les portraits d'enfants
les votres sont très beaux.
Ecrit par : Viviane | 23.12.2006
c'est pas gentil Céleste, tu as humecté mes yeux ce qui est improductif pour ces enfants bien sur, il te reste des mouchoirs en papier ?
je ne peux comme toi construire le beau projet de votre maison.
Ne peut qu'avoir des filleuls et de la colère, et détester de toute ma force les "touristes".
ceci dit en France aussi il y aura des enfants pour lesquels Noël sera froid
Ecrit par : brigetoun | 23.12.2006
Tout ceci est terrible, mais ausssi terrible, je trouve aussi, ce "sanglot de l'homme blanc" dont nous ne sortirons jamais et qui, pour ma part, me paralye et me gâche la vie en permanence. Que faire ?
Ecrit par : amarula | 23.12.2006
c'est une jolie prière paienne de noel pour tous ces enfants céleste....je m'y associe pleinement
je repense à te lire, à cette enfant de 12/13 ans à Maurice qui m'avait supplié de l'emmener, de lui écrire, de la faire venir en france, je revois ces yeux immenses
je me sentais lâche
je repnse aussi à cette mère au jradin de pamplemousse qui m' a mis son bébé dans les bars pour que je l'emmène
ce sont des choses que l'on oublie pas
tout le reste n'est rien, que ces enfants de partout et de nulle part
Ecrit par : lesyeux | 23.12.2006
la plus belle des prières pour une athée, c'est sûr...;)
à tous les enfants du monde, bonne nuit
Ecrit par : fanny guillot | 23.12.2006
Quand je lis ton très beau billet, Céleste, je suis presque contente de ne pas célébrer Noël. Mais d'être soulagée de ce passager non-sentiment de culpabilité ne m'empêche pas de penser à tout ce dont tu parles, à tous ceux qui partout dans le monde, beaucoup trop nombreux font les frais de notre confort et de notre mode de vie. Et le seul voeu que j'ai chaque jour, et pour lequel je prie effectivement chaque jour, c'est la paix. Une vraie, puisse-t-elle exister un jour, de nos jours.
Ecrit par : Otir | 23.12.2006
Je m'étais, il n'y a pas longtemps, réfugié chez toi. Comme pour échapper aux vilénies, aux bassesses, aux mensonges, aux turpitudes...pour retrouver une ligne plus marquée dans le flou qui m'envahissait.
Tu m'avais accueilli, sans mot. En sourire.
En partant sans que je m'en sois aperçu, tu avais mis dans mon ce billet d'yeux qui m'interrogent, me demandent sans arrogance, sans faire pitié.
Des yeux qui me regardent.
Ne pas voir le monde tel qu'on le fait dans sa conception économique hideuse, tyrannique ( soit en acteur, soit en allié objectif passif) c'est se mentir. Le voir c'est se détruire.
Il me faut trouver cette ligne mystérieuse entre auto-mensonge et auto-destruction.
Ce billet Céleste est une interrogation, un questionnement ouvert. Mais aussi une possibilité de survie vraie pour celui ou celle qui le lit dans ce qu'il va en faire, dans ce qu'il va en partager, en communiquer, en dire à soi. Aux autres.
Etonné, qu'il n'y ait, en ce que j'en peux déduire, que des commentaires féminins.
Où sont les Hommes?
Ecrit par : GPMarcel | 24.12.2006
j'ai erré quelque temps dans ce pays de sourire, des bordels de patpong aux jungles de Mae Sae, j'y ai vu des gros américains ou allemands affublés de mineurs qu'ils payaient la semaine, j'y ai vu aussi à Piçit les parents vendrent leurs enfants aux rabatteurs de Pataya et me dirent que nulle misère ne peut être pire que celle de la boue et du demi bol de riz - dans ma conscience bien assise d'occidental j'en voulais à ces mères d'abandonner ainsi le fruit de leurs entrailles et puis j'ai connu Malee, dix neuf ans, prostituée depuis l'age de quatorze qui longuement m'a expliqué qu'elle préférait se donner que d'être la fille de plus dans ce campement du nord-est de la thaïlande ou la misère atteint des paradoxes - le sourire de ces enfants et l'écoeurement à l'encontre de ces consommateurs d'innocence m'habitent toujours
a lire : Royaume de Siam de Gérard Manset et Nyctalope de Xavier Coton
Ecrit par : daniel | 24.12.2006
Ton billet résume à lui seul certaines de mes aigreurs devant la frénésie qui s'empare de nos sociétés de consommations en occident durant cette période de NOËL qui est avant tout une fête religieuse. Etant issu d'une culture où cette fête est absente, je ne peux pourtant me réjouir de voir tant de gaspillage et d'orgies alors que dans la rue végétent tous ces sans abris.
De susrcroît, les fêtes musulmanes ne sont pas à l'abri de ces travers notamment durant l'aid el kébir où certains de mes coreligionnaires oublient la charité et l'aûmone envers les plus nécéssiteux.
Ecrit par : mohamed | 24.12.2006
@Céleste,
Ton récit est un mélange de tristesse, d'espoir, d'amour, de colère.
Cette petite fille qu'on voudrait aimer, prendre dans ses bras, protéger.
Elle si loin.
Moi, je n'ai plus de petite fille mais je me sens capable d'aimer encore et pour le meilleur une autre petite fille qui ne serait pas la mienne mais qui serait heureuse d'avoir une maman.
Noël me file le blues.
Il manque une petite fille à ma vie.
C'est ainsi, des enfants meurent et d'autres vivent sans amour, sans écoute, sans attention ailleurs.
Tout est injuste.
Tout est démesuré.
Bises ma douce amie virtuelle à toi et ton homme.
Ecrit par : corinne | 24.12.2006
Bonsoir Céleste
Je te souhaite de super beaux moments de plaisir à partir de maintenant et tout au long de l'année 2007
Au plaisir de te rencontrer à nouveau.
Jacques
Ecrit par : jacquesb | 24.12.2006
Paix sur ta terre et celle des tiens en ce jour, Céleste. Om Shanti!
Marc
Ecrit par : Marc | 25.12.2006
Ûn grand merci!...
Ecrit par : Le Moralisateur Masqué | 25.12.2006
merci à toutes et tous...
Passez une belle journée.
Point n'est besoin de culpabiliser, le monde est tel qu'il est, il convient de le regarder en face, et d'essayer, encore et toujours, de l'améliorer, avec nos moyens, si dérisoires semblent-ils;
Mais les gouttes d'eau forment des fleuves et il faut toujours croire qu'un monde meilleur est possible et que nous pouvons aider à sa création.
Toute mon amitié à vous qui passez...
Ecrit par : céleste | 25.12.2006
Merci
de nous aider à rester lucide même (surtout) en ce jour de fête
merci aussi de ces illuminations qui valent mille fois celle qui consomment l'énergie des centrales et qui s'affichent comme des rires forcés dans toutes les rues des villes
celles que tu nous donnes (ces sourires d'enfants) sont belles, vraies et chantantes d'espoir.
Ecrit par : le bateleur | 25.12.2006
que les jours à venir te soient doux, éclairés par ton sourire
Egoïstement je me dis que le cap de la première fête est franchi.
Ecrit par : brigetoun | 25.12.2006
Bonnes chère Celeste
Ecrit par : Human | 25.12.2006
pas si courant d'aler de belles photos avec un texte informatif ainsi.
félicitation et merci
Ecrit par : objectif-plume | 25.12.2006
Combien d'enfants ai-je croisés ainsi le long des avenues d'Abidjan ou de Dakar, enfants élevés pour mendier, parfois même estropiés pour mieux faire pitié.
Tantie, c'est ce que j'étais pour certains d'entre-eux, que je voyais grandir dans la rue, entre mains tendues, colle, drogue dure et petits larçins.
Noël est passé, pas pour tout le monde.
Ecrit par : Dom | 29.12.2006
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